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Robert Solé : « Je ne pense pas que l’Egypte soit passée du jour au lendemain de la dictature à la liberté »

Dina Kabil, Mardi, 29 janvier 2013

De visite au Caire, l’ex-éditorialiste du Monde, et écrivain consacrant son oeuvre à l’histoire du pays des pharaons, Robert Solé débroussaille un nouveau projet d’essai sur Sadate. Il nous livre ici sa lecture de l’Egypte d’aujourd’hui, deux ans après la révolution.

Robert Solé

Al-Ahram Hebdo : Quel est le but de votre visite au Caire quelques jours avant le 25 janvier ?

Robert Solé : Une des raisons principales de ma visite au Caire est l’invitation de l’ambassade de France en Egypte pour assister à une conférence-débat sur le dossier éco­nomique. Mais depuis deux ans, je suis venu 5 fois. Ce n’est pas la même chose que quand on suit les événements de loin. C’est curieux de trouver que pendant les 18 jours de la révolution, les médias ne parlaient que des choses positives, tandis qu’aujourd’hui, on ne parle que de tout ce qui est négatif.

— Pensez-vous que les médias amplifient véritablement les aspects négatifs qui règnent aujourd’hui ? Comment voyez-vous aujourd’hui l’évolution de l’image de l’Egypte, 2 ans après la révolution ?

— L’image de l’Egypte en Europe, la fascination depuis le temps des pharaons, a beaucoup évolué. Depuis le 25 janvier 2011, on s’intéresse à nous, au peuple, et non pas aux ancêtres, pas uniquement à l’His­toire. L’image a changé. L’image du sable, des croisières, celui de l’Egypte éternelle qui rassure dans un monde qui évolue de plus en plus vite a certes changé. Les télévisions diffusaient la révolution en direct : ce n’est pas l’Egypte qu’on connaît, mais un peuple jeune qui donne l’impression de surgir, qui se prend en charge, c’est Oum Al-Donia qui se réveille. Le civisme, sans leader, mais des protestations organisées. Pas d’idéologie, ni d’islamisation. Mais une unité nationale qui donnait lieu à un phénomène dans les médias, et ça devient normal qu’on choisit ce qui conforte l’image vou­lue. L’image a été inversée depuis un an et demi, et de loin, on a l’impression que contre le civisme, il y a une division de lea­dership, contre l’ab­sence d’idéologie, on ne cesse d’évoquer la cha­ria et l’islamisme, contre la liberté, l’on assiste aux arrestations et aux châtiments.

Les médias occiden­taux sont comme tous les médias du monde, ils amplifient l’image très négative. Car une image ne correspond pas à la réalité. Il existe un déca­lage entre image et réa­lité. La France, par exemple, son image est la gastronomie, la tour Eiffel, et non pas la grande puissance indus­trielle. Mais l’image est quand même impor­tante, puisqu’en Egypte, l’on connaît les problèmes du tou­risme et des investissements, une image qui inquiète. Mais c’est un pays qui continue à vivre au-delà de sa coupure en deux, des difficultés économiques, de l’affaiblissement de l’Etat, de l’armée, et de toutes ses institutions.

— Mais est-ce que vous gardez toujours le même optimisme qui vous animait avant la révolution, comme vous l’avez dit : « J’ai confiance en ce pays et en son ave­nir » ?

— L’Egypte est un grand pays à richesse humaine. Un pays qui pour­rait faire, mais à condition d’avoir un Etat, des élus incontestés, de combattre l’injustice sociale, d’être un Etat de droit et de démocratie. Un Etat civil où l’avenir ne peut être dans un Etat religieux.

Robert Solé
Anouar Sadate en 1956. Une figure de star qui a tenté Solé dans son prochain livre.

— Après de nombreux livres sur l’histoire lointaine, dont le dernier en date est Champollion, vous retournez à l’histoire contempo­raine avec Le Pharaon renversé, et un nouveau projet sur Sadate. Pourquoi ce changement, vous qui êtes partisan du recul temporel ?

— Je continue à penser à l’Egypte sous tous les angles. Je suis un géné­raliste, chaque détail me permet de comprendre l’actualité par l’His­toire. Que ce soit sous l’angle de l’essai, ou celui du roman. Dans Le Pharaon renversé, je raconte via de nombreux témoignages les 18 jours qui ont précédé la chute de Moubarak. C’est un enjeu en Egypte, l’histoire immédiate. Et surtout après 40 ans de journalisme dans Le Monde et autres, je m’intéresse à l’Histoire qui est en train de s’écrire. Quant à Anouar Sadate, les onze années de son règne m’intéressent beaucoup. Car en creusant, je cherche à mieux comprendre ce qui a suivi. C’est plus facile quand on a du recul, mais la personne de Sadate est tellement complexe, cet homme simple qui vient du village et qui devient la star des médias. Sans à priori, j’aborde le sujet non pas comme un militant, mais comme un historien.

— La majorité de l’oeuvre litté­raire en liste au Salon du livre aujourd’hui est liée d’une manière ou d’une autre à la révolution égyptienne. Que pensez-vous de ce « phénomène » ? Est-ce que cela vous tente d’écrire un roman qui s’en inspire ?

— Ce n’est pas comme ça que j’aborde mes romans. Parce que généralement, je suis l’actualité de très près, alors, il faut que le roman que j’écris me fasse rêver. Quant aux productions littéraires à présent dans le marché et qui s’approchent de l’actualité, je pense qu’en littérature, il n’y a pas de règles. Je me souviens que j’ai dirigé le supplément litté­raire dans Le Monde, et j’avais tou­jours eu l’idée qu’on peut tout faire en littérature.

Les révolutions, ce sont des pro­cessus longs, l’Histoire est égale­ment un processus long, et nous vivons dans une vie à la hâte. C’est important de remonter à partir de 1919 à la lutte nationale du pays, puis au coup d’Etat de 1952, puis au soulèvement populaire de 2011. Ce sont là trois événements distincts, des processus longs, et je ne pense pas que l’Egypte soit passée du jour au lendemain de la dictature à la liberté. Je pense que beaucoup de choses s’expliquent aussi par la défaite de 1967, celle qui a déplacé le centre de gravité de la région arabe, puis la religion a pris une place énorme dans la vie en Egypte.

— Pensez-vous que l’image de l’islam politique au pouvoir aujourd’hui puisse influencer les rapports avec la France, vous qui avez tant parlé de l’égyptomanie ?

— La France est un pays laïque qui n’interdit pas aux religions d’exister, tout comme les autres pays européens. Mais il existe des choses qu’elle permet et qu’ici, on n’accepte pas, comme la démocratie ou l’égalité entre hommes et femmes.

De même, l’islamisme a différentes facettes : ce qui se passe avec les djiha­distes au Mali, l’image négative d’un certain isla­misme a une influence sur l’islamisme même, et l’is­lam en général. La question de l’image devient très importante. Ce qui se passe relève d’une image inac­ceptable qui rejaillit sur l’islamisme non violent et sur l’islam. Et ça c’est mal­heureux.

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