AL-AHRAM HEBDO : Quelle évaluation faites-vous de la situation politique en Egypte, deux ans après la révolution ?
Ahmad Al-Borei : Il existe une sorte d’action politique dans le pays. Mais je suis navréde dire qu’aucun objectif de la révolution n’a étéréalisé. En revanche, personne ne peut nier que le peuple égyptien n’a plus peur. Il est devenu libre et s’exprime avec beaucoup de courage. Malheureusement, il y a des doutes sur la durée, car les Frères musulmans ont l’intention de restreindre les libertés. Mais je pense qu’ils ne pourront pas réussir.
— La police, l’opposition et les Frères musulmans sont les trois principaux acteurs de la révolution du 25 janvier. Où en sont-ils aujourd’hui ?
—L’idée qui régnait au ministère de l’Intérieur avant la révolution était que la police était chargée de la sécuritédu président et non de celle du peuple. Une idée enracinée dans cette institution depuis 60 ans. Il faut travailler sur la restructuration du ministère, aussi bien au niveau financier que sur le plan intellectuel. Chaque policier doit être convaincu que la police est au service du peuple. Et pour atteindre cet objectif, il faut travailler avec les jeunes policiers qui sont proches des citoyens et connaissent leurs problèmes et leurs souffrances.
— Et les Frères musulmans ?
Pas grand-chose àdire. Les Frères ont rattrapéla révolution sans pour autant y avoir participédès le départ. Ils se sont joints aux révolutionnaires avant de les quitter pour s’emparer des postes àresponsabilités.
Actuellement, les Frères musulmans jouent le même rôle que celui du Parti national démocrate (parti dissous de l’ancien régime) qui croyait qu’il était le seul àavoir le droit d’imposer sa volontéau peuple. Cette idée les rapproche des régimes fascistes.
— Quel est le poids de l’opposition ?
—Avant la révolution, l’opposition était une opposition de pure forme, actuellement elle est bien réelle. Elle sait bien ce qu’elle veut et est inséparable du peuple égyptien. Mais certains observateurs ont un autre point de vue. Il y a un fosséqui sépare l’opposition des jeunes révolutionnaires. Le problème est que les jeunes sont plus révolutionnaires que nous. Ils s’inquiètent pour leur avenir. Ils sont pressés.
D’ailleurs, il faut reconnaître que nous sommes lents. C’est peut-être dûàl’éducation de notre génération, basée sur l’oppression. Cela nous oblige àrechercher des moyens pacifiques et politiques pour régler les problèmes. Mais il paraît que ces moyens conduisent àune impasse. Malgrécette différence entre les deux générations, j’espère que ces deux points de vue se rapprocheront pour trouver un compromis entre la raison et la révolution.
— N’existe-t-il pas de contradiction entre la position du Front du salut national qui se prépare aux élections législatives et l’appel des révolutionnaires à la chute du régime actuel ?
—Qui a dit que le Front se préparait aux élections ? On n’a pas encore annoncénotre décision finale. Nous avons posédes conditions en fonction desquelles nous déciderons d’y participer ou non. Le régime les a refusées. Je pense donc que nous allons les boycotter. On se retrouvera devant un Parlement similaire àcelui de 2010 dominépar un seul parti politique et qui a menéau déclenchement de la révolution.
— Et le deuxième anniversaire de la révolution ...
—On va bien sûr y participer avec nos revendications, afin de récupérer la révolution et de réaliser ses objectifs. Nous annoncerons notre refus de la déclaration constitutionnelle. Nous réclamerons la nomination d’un nouveau procureur général. Nous exprimerons surtout notre rejet de la Constitution.
— Pour certains, cette journée se réduira à quelques manifestations et marches qui prendront fin dans la soirée ...
—A mon avis, il s’agira d’une nouvelle révolution. Je pense que cette révolution a déjàcommencélorsque nous avons refuséles mesures prises par la présidence et que nous avons fait appel àla justice. Il s’agit des premiers pas vers une nouvelle révolution. Elle ne survient pas tout d’un coup. C’est exactement le même scénario qu’en 2011. Mais le pire est que les Frères musulmans entravent la loi, notamment en assiégeant la Cour constitutionnelle afin d’empêcher les juges de travailler .
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