Abu-Dhabi, Emirats arabes unis,
De notre envoyée spéciale —
Al-Ahram Hebdo : Abu-Dhabi a accueilli en octobre le sommet international « Eye On Earth », auquel vous avez assisté. Que représente ce sommet pour la protection de l’environnement dans notre région ?
Achim Steiner : D'abord, il faut expliquer que « Eye on Earth » est un mouvement mondial, visant à améliorer la disponibilité et l’accessibilité aux données environnementales, sociales et économiques pour appuyer la prise de décisions relative au développement durable. Cette initiative a pour objectif de répondre aux besoins de la région en informations sur les ressources naturelles, l’air, l’eau, le sol et les côtes.
Maintenant les pays arabes accordent plus d’importance aux aspects environnementaux mais aussi à une approche scientifique basée sur les normes et l’information. Globalement, l’intérêt accordé aux données a fait de ce sommet une opportunité de créer une sorte de marché pour les idées relatives aux données. Le sommet a également encouragé les spécialistes internationaux à transférer leur expertise en matière de base de données.
— La 21e édition de la Conférence onusienne sur le climat (COP21), qui se déroule à Paris du 30 novembre au 11 décembre, doit aboutir à un accord global sur la réduction des émissions à effet de serre. A quoi ressemblerait, d’après vous, un accord idéal ?
— Le Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Evolution du Climat (GIEC), qui publie tous les 5 ans un rapport sur le climat mondial, a déjà défini l’accord idéal. C’est simplement celui qui réussit à maintenir à 2 degrés la hausse de la température globale, jusqu’à la fin du siècle. Pour réaliser ce but, le monde doit aller vers une économie à bas carbone, pour ramener à zéro les émissions totales de Gaz à Effet de Serre (GES) avec la fin du siècle. C’est-à-dire que la quantité de dioxyde de carbone libéré dans la seconde moitié du siècle ne doit pas dépasser ce que nous pouvons capturer et stocker à nouveau, soit grâce à une infrastructure écologique ou à travers peut-être de nouvelles technologies.
Pratiquement et pragmatiquement, Paris doit déboucher sur un accord qui nous permet d’accélérer les efforts, d’avoir de plus en plus de pays adhérant à ces efforts et de mettre en place les éléments financiers et technologiques qui permettraient aux pays les plus pauvres d’agir et d’aller plus vite dans l’adaptation et l’atténuation des GES.
La première semaine du mois d’octobre 2015 était le deadline fixé pour la présentation des contributions prévues déterminées au niveau national (INDCs). Il s’agit d’actions pour atténuer les émissions des GES et s’adapter aux changements climatiques que chaque pays se montre capable de réaliser. Presque 150 des 195 pays ont présenté leurs INDCs. C’est un niveau de participation sans précédent, il correspondrait à 87 % des taux d’émissions à réduire. Donc dans un sens, nous avons réussi à universaliser la Convention, à travers une approche volontaire.
En effet, nous savons aussi que les INDCs ne limitent pas aux 2 degrés escomptés, mais visent à parvenir à nouveau à des scénarios encore plus ambitieux pour l’avenir.
— Vous avez déjà mentionné qu’on ne devait pas séparer l’adaptation aux changements climatiques de l’atténuation des émissions des GES, pourquoi ?
— Du point de vue justice climatique et gestion des impacts que nous commençons à subir, nous devons nous préparer à un moment où le niveau de la mer s’élèvera d’un mètre. En cas d’échec, ceci est prévu vers la fin du siècle avec d’énormes conséquences sur le monde entier : événements météorologiques extrêmes, incendies de forêts, inondations et précipitations extrêmes. De pareils événements climatiques risquent de peser sur les économies, de provoquer des déplacements de populations, avec tous les risques de conflits et de tensions que cela implique. Nous devons, donc, relever le défi d’un réchauffement global qui a commencé à avoir des impacts. Pour y réussir, les stratégies d’adaptation et d’atténuation doivent aller de pair.
— Et qu’en est-il du financement ?
— La communauté internationale doit réaliser que le financement de ce projet ambitieux n’est pas un acte de charité, mais plutôt un investissement dans la capacité collective de répondre aux conséquences du réchauffement climatique.
En fait, quand on investit dans une action de changement climatique, on ne traite pas seulement le problème, mais on réalise aussi des gains : l’efficacité énergétique, par exemple, est d’avoir le même niveau de développement économique sans dépenser tellement sur l’énergie. Un autre exemple : l’introduction des énergies renouvelables peut représenter une opportunité dans un continent comme l’Afrique, dont les trois quarts de sa population n'ont pas accès à l’électricité. On crée ainsi un accès à l’énergie propre, cela est dans l’intérêt des pays en développement qui sont toujours à la chasse de ces opportunités, mais aussi des pays industrialisés parce que c’est l’énergie de l’avenir. Il faut dire que le financement demeure un véritable défi et le financement public devient un élément essentiel surtout aujourd’hui. Il est temps aussi de chercher à mobiliser le système financier du secteur privé.
— L’accord du sommet de Paris remplacera le Protocole de Kyoto, entré en vigueur en 2005, et qui visait également la réduction des émissions des GES. Comment évaluez-vous ce protocole que la Chine et les Etats-Unis ont refusé de ratifier ?
— Le Protocole de Kyoto était un succès au moment où il a été adopté, parce qu'il a souligné la responsabilité des pays industrialisés dans le réchauffement climatique, et montré que ce sont justement ces pays qui ont à la fois la possibilité et l’obligation de mener la lutte contre ce phénomène. Le Protocole de Kyoto a également donné quelques outils nécessaires pour s’orienter vers les technologies énergétiques bas carbone, donc renouvelables. Mais en fin de compte, le Protocole de Kyoto n’a jamais été susceptible de faire bouger le monde assez vite afin d’atteindre le niveau d’action prévu. Mais, comme première étape, je pense que le Protocole de Kyoto a donné un coup d’envoi important, mais le monde a reconnu que Kyoto doit céder sa place à la nouvelle génération d’instruments et d’accords. C’est exactement ce qu’on va faire à Paris.
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