
Dr Mohamad Gomaa, analyste au Centre d’Etudes Stratégiques et Politiques (CEPS) d’Al-Ahram au Caire
Al-Ahram Hebdo : Comment expliquez-vous l’avancée si rapide du groupe Etat Islamique (EI) sur le terrain et la conquête de deux villes-clés en Iraq et en Syrie ?
Mohamad Gomaa : Les combattants de l’EI ont réalisé de grandes avancées qui ont été un coup dur pour la coalition internationale anti-Daech, mais à mon avis, cette victoire ne reflète pas vraiment la puissance militaire de Daech. Au contraire, Daech est plus faible que jamais. La prise de la ville de Ramadi en Iraq est un retrait planifié des partisans de l’Iran dans l’armée iraqienne et dans les institutions sécuritaires de l’Etat. L’objectif de ce plan est de montrer que l’armée iraqienne est incapable de mener la guerre contre Daech toute seule et qu’elle a besoin de l’aide et du soutien de la force des gardes révolutionnaires iraniennes. Ces partisans veulent profiter de l’avancée de Daech pour une réintégration des milices de la mobilisation populaire chiite dans la lutte à côté des forces iraqiennes, après avoir été écartées par le gouvernement de Bagdad. Ces milices, financées et armées par l’Iran, suivent exactement les commandements iraniens. Ce plan a réalisé ses objectifs, puisque tout le monde, même les Etats-Unis, vient d’admettre que ces milices chiites devaient jouer un grand rôle dans cette guerre.
— Et pour la Syrie ?
— En Syrie, il est vrai que l’EI a occupé Tadmor facilement, mais ce n’est pas parce qu’il a mené d’intenses combats contre les forces armées syriennes. C’est dû à la politique du régime syrien. Le président syrien a eu recours à un plan B qui vise à protéger les villes les plus importantes de son pays où se trouvent les Alouites, à Damas, Lattaquié, Homs et Hama jusqu’aux frontières libanaises. Autrement dit, le régime syrien est incapable de combattre sur plusieurs fronts à la fois contre tous les groupes armés, financés et soutenus par d’autres et qui menacent le pays. Alors, il a cédé et s’est retiré de Tadmor. De plus, le régime syrien a voulu envoyer un message au pays de la région : Tadmor est située aux frontières jordano-syro-saoudiennes, alors les pays arabes doivent l’aider, car l’EI présente une menace désormais pour tous ces pays qui devront cesser d’aider les rebelles. Ce retrait du régime mènera un jour à des affrontements entre tous les groupes armés présents en Syrie.
— Pourquoi insistez-vous tant sur la faiblesse de Daech ?
— La faiblesse de Daech est facilement remarquable. Pour occuper Ramadi en Iraq, l’EI a dû retirer des combattants, des équipements et ses forces en Syrie et en Libye. C’est la première fois que cela ait lieu. En outre, Daech a perdu au cours de cette année plus de 6 800 combattants. C’est un nombre important, car même si des personnes tentent de rejoindre Daech, elles ne sont pas si nombreuses et ont besoin d’un long entraînement et formation pour devenir des vrais combattants. Aussi, il faut noter que Daech survivra dans la région tant que le conflit confessionnel existera. Tant que les régimes iraqien et syrien soutiennent les chiites et refusent d’accorder des privilèges aux sunnites, et même les privent de leurs droits, Daech trouvera toujours des aides et soutiens des tribus sunnites qui souffrent de l’injustice des chiites.
— En quoi a consisté la réunion de la coalition la semaine dernière à Paris ?
— La réunion de Paris n’a discuté d’aucun changement de stratégie. Elle a seulement été consacrée au financement et à l’armement de la coalition. Pour éviter les critiques et les accusations de la communauté internationale, dès le début de la guerre anti-Daech les Américains ont annoncé à plusieurs reprises que cette guerre prendrait beaucoup de temps. Il faut comprendre la politique américaine dans ce conflit, et ses orientations. La stratégie des Américains dans la guerre contre Daech est de maintenir l’équilibre dans ce conflit et non d’anéantir Daech. La politique de Washington est la coexistence avec Daech pendant longtemps, et non de trouver une solution rapide et efficace pour démolir l’EI. Les Américains profitent de la guerre contre Daech pour épuiser notamment les puissances et les richesses des pays impliqués dans le conflit. Washington ne permettra qu’un camp ait plus de puissance que l’autre. Par exemple, l’Iran soutient militairement et financièrement les combattants en Iraq et en Syrie. Le régime du président syrien Bachar Al-Assad est tiré entre les feux de Daech, de l’armée syrienne libre, du front d’Al-Nosra et plusieurs autre factions qui le combattent. Alors Assad n’arrive pas à contrôler son pays, et l’Iraq est de plus en plus plongé dans le chaos.
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