Al-ahram Hebdo : Vous venez d’être élu à la présidence du syndicat des Journalistes. Quelles seront vos priorités pour la prochaine période ?
Yéhia Qallach : Ma priorité sera de régler le problème des salaires des journalistes qui ont baissé. J’ai dit plusieurs fois que le métier de journaliste a sa spécificité. Celui qui ne gagne pas son pain n’est pas libre. Le journaliste est comme le juge. Ma priorité sera donc d’améliorer la situation économique et sociale des journalistes. Nous avons un projet de logement à la Cité du 6 Octobre, c’est un projet très important, surtout pour les jeunes journalistes qui paient de l’argent depuis des années sans avoir de résultats. Outre les salaires, il y a bien entendu le dossier des législations qui concernent la pratique du métier.
— Comment voyez-vous la liberté de la presse aujourd’hui en Egypte ? Que fait le syndicat pour améliorer le climat des libertés ?
— La situation n’est absolument pas satisfaisante. Le métier de journalisme ne peut pas se développer sans liberté. Notre objectif, au cours de la prochaine période, est d’entrer en contact avec les instances de l’Etat, afin que le droit à la liberté d’expression soit respecté. Mais je crois qu’en même temps, il est important de faire pression, en vue de promulguer des lois garantissant les droits des journalistes et leur fournissant un climat sûr. Nous réclamons, par exemple, l’annulation des peines d’emprisonnement dans les délits d’opinion.
— Pensez-vous que l’Etat soit disposé à donner plus de liberté aux journalistes ?
— La liberté est un droit que le citoyen a obtenu au moyen de deux révolutions. L’Etat a tout intérêt à avoir une presse libre et indépendante. Plus l’autorité exécutive saura ce qui se passe dans le pays, et plus ses décisions et sa vision seront justes. Les médias, qu’ils soient écrits ou audiovisuels, représentent l’opinion publique et donc la liberté des médias, c’est la liberté de tout le monde.
— Il est question en ce moment d’une nouvelle loi sur la presse. Qu’en est-il exactement ?
— Après l’approbation de la Constitution en janvier dernier, il était question d’élaborer une nouvelle loi sur la presse, en accord avec les principes de la nouvelle Constitution. Nous avons attendu 10 mois jusqu’à ce que le président Abdel-Fattah Al-Sissi ordonne la formation d’un comité pour élaborer cette loi. Il y a beaucoup d’avantages dans la nouvelle Constitution que nous pouvons traduire en législations. A mon avis, la nouvelle loi sera bien meilleure que la loi actuelle. Il est question de prolonger l’âge de la retraite à 65 ans pour les journalistes au lieu de 60 actuellement. Il y aura une instance qui sera responsable de la presse publique. Le comité travaille aussi sur la loi sur la libre circulation des informations. On ne doit ni perdre de temps ni laisser à un ministère le soin d’élaborer seul cette loi.
— Pensez-vous que les demandes des journalistes soient satisfaites ?
— Bien que je m’attende à des négociations difficiles sur cette nouvelle loi, je pense que l’Etat a intérêt au cours de la prochaine période à nous aider pour traduire les avantages de la Constitution en législations. Il est important de noter que la liberté de la presse n’est pas seulement dans l’intérêt des journalistes, mais aussi dans l’intérêt de la société. En plus, j’imagine qu’après les révolutions du 25 janvier et du 30 juin, l’ancienne philosophie de l’Etat envers les médias va changer.
— Y a-t-il une volonté de modifier la loi du syndicat des Journalistes qui date de 1970 ?
— Cette loi doit changer car nos besoins aussi ont changé. Nous avons besoin d’une loi qui donne une plus grande indépendance financière au syndicat et qui nous aide à améliorer nos ressources pour réaliser notre indépendance.
— Pour beaucoup de jeunes journalistes, le syndicat n’a pas de véritable rôle. Qu’en pensez-vous ?
— C’est l’une des raisons qui m’ont incité à me présenter aux élections. Ces jeunes sont l’avenir du syndicat et du métier. Malheureusement, ils se cantonnent dans leurs journaux loin du syndicat et cela est très dangereux. J’ai fait pendant les élections le pari de ramener ces jeunes au sein du syndicat. J’ai parlé de cette génération durant ma campagne et je pense que la grande participation des jeunes au scrutin était un important message. Je vais travailler pour créer des mécanismes afin de garantir leur retour. Je vais faire en sorte que les jeunes participent à toutes les réunions relatives aux législations, pour qu’ils présentent leur points de vue.
— Qu’entendez-vous faire pour les journalistes licenciés ?
— Le phénomène du licenciement a commencé par des cas individuels, puis c’est devenu un phénomène collectif, surtout dans les journaux privés. Cela est très dangereux. L’une des tâches du syndicat consiste à protéger les journalistes. Nous avons des garanties dans la loi du syndicat et la loi de la presse, qui nous permettent d’intervenir pour régler les questions.
— Beaucoup de journalistes ont été agressés durant l’exercice de leur métier. Que faites-vous pour les protéger ?
— Il faut dire que beaucoup de ces journalistes agressés ne font pas partie du syndicat. La raison est qu’ils travaillent pendant des années comme stagiaires sans être membres du syndicat. Cela est inacceptable. Je pense qu’il faut fixer un délai au terme duquel le journaliste doit être titularisé, afin qu’il bénéficie de la protection du syndicat. Il y a deux jours, une stagiaire du site Veto a été agressée par un agent de sécurité au gouvernorat du Caire. Nous avons fait une plainte et dressé un procès-verbal bien que la journaliste ne soit pas syndiquée. En 2005, lorsque les hommes de main de l’ancien Parti national démocrate ont agressé des femmes journalistes qui n’étaient pas membres du syndicat, et j’étais à l’époque secrétaire du syndicat, je suis allé avec elles au bureau du procureur général pour présenter une plainte et nous les avons soutenues jusqu’au bout. C’est le devoir du syndicat.
— Comment entendez-vous résoudre le problème de l’emprisonnement dans les délits d’opinion ?
— Comme je l’ai déjà dit, il faut supprimer les peines d’emprisonnement à l’égard des journalistes. En attendant que les lois changent, nous présentons le maximum de soutien aux journalistes qui ont été condamnés à des peines de prison. C’est notre responsabilité. Nous avons formé un comité qui comprend des juristes, des membres du conseil du syndicat et des journalistes. Ce groupe est chargé d’examiner les cas d’emprisonnement et de les répertorier. Il y a des membres du syndicat et des stagiaires, ainsi que des personnes qui travaillent dans les chaînes satellites, mais qui sont membres du syndicat. Ce comité est chargé de contacter le procureur général, le ministère de l’Intérieur et le Conseil national des droits de l’homme, pour essayer de régler ces affaires. J’ai rencontré le ministre des Affaires étrangères cette semaine, je lui ai dit que ce dossier entache la réputation de l’Egypte. Il m’a promis de parler avec le ministre de l’Intérieur de cette question.
Lien court: