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Omar Al-Béchir : Le monde arabe traverse l’une des pires périodes de son histoire.

Osman Fekri, Mardi, 31 mars 2015

Le président soudanais, Omar Al-Béchir, évoque les relations bilatérales, le dossier du barrage de la Renaissance sur le Nil et les différentes crises du monde arabe.

Omar Al-Béchir

Al-Ahram Hebdo : Monsieur le pré­sident, comment évaluez-vous l’état actuel des relations entre l’Egypte en l’Ethiopie et que pen­sez-vous du récent accord entre les deux pays sur le barrage de la Renaissance ?

Omar Al-Béchir : Les relations entre l’Egypte et l’Ethiopie se sont récemment beaucoup améliorées. Cette amélioration est très positive pour le Soudan et pour l’ensemble des pays africains.

Pour ce qui est du barrage, les Ethiopiens y voient un projet national, alors que l’Egypte a exprimé ses craintes à cause du Nil. Le récent document a supprimé les craintes des deux parties, notamment celles de l’Egypte. Nous, au Soudan, nous comprenons parfaitement la sensibilité de l’Egypte vis-à-vis de tout ce qui concerne le Nil, car l’Egypte est le don du Nil. Et notre premier souci est que le barrage ne touche pas aux droits égyptiens quant aux eaux du Nil. Le barrage de la Renaissance a pour seul objectif de produire de l’électricité. Et l’essentiel est qu’il y ait constamment une coordination avec les Ethiopiens pour s’assurer de cela et pour s’assurer qu’aucun danger ne menace l’Egypte ou le Soudan. Au contraire, nos deux pays vont profiter de ce projet. Et il n’est pas vrai que les Ethiopiens vont désor­mais contrôler le débit des eaux du Nil.

— Comment évaluez-vous les relations égypto-soudanaises actuellement ?

— Les relations entre l’Egypte et le Soudan sont très bonnes. Et la récente visite du prési­dent Abdel-Fattah Al-Sissi au Soudan est une initiative directe et une réaffirmation de l’im­portance des relations entre nos deux pays. Car les relations entre l’Egypte et le Soudan n’ont pas uniquement rapport aux liens historiques. Il existe également de nombreux et d’impor­tants intérêts communs entre nos deux pays. C’est pour cela que nos liens sont uniques. Il existe ainsi une commission ministérielle mixte chargée de mettre en place les plans communs aux deux pays. Le Soudan détient de grands potentiels et d’importantes ressources naturelles. L’Egypte, quant à elle, a l’expé­rience et les compétences dans tous les domaines. C’est pour cela que j’appelle les pays du Golfe à se joindre à nous : les investis­sements des pays du Golfe, plus les compé­tences et l’expérience égyptiennes, plus les potentiels du Soudan. Déjà, nous avons au Soudan un certain nombre d’investisseurs égyptiens qui jouissent d’un statut spécial et qui ont beaucoup de facilités que les investis­seurs d’autres nationalités n’ont pas.

— Vous avez auparavant déclaré que l’or­ganisation soudanaise des Frères musul­mans n’a aucun lien ni avec les Frères musulmans égyptiens, ni avec l’organisation internationale. Qu’en est-il ?

— A vrai dire, c’était une réponse à une question posée par un journaliste et j’avais alors dit que certains pays arabes et les pays du Golfe considèrent que l’organisation des Frères musulmans représente un danger pour eux. Je confirme une fois de plus que chaque pays possède ses propres circonstances et spécifici­tés. Quant à la mouvance islamique au Soudan, elle n’a aucun rapport avec les Frères musul­mans et n’appartient pas à l’Organisation inter­nationale des Frères musulmans.

— La situation dans le monde arabe est critique, notamment avec tout ce qui se passe en Syrie, en Libye et en Iraq. Comment évaluez-vous ces crises et quels sont, selon vous, les moyens de combattre Daech ?

— En effet, le monde arabe traverse l’une des pires périodes qu’il ait jamais vécues. En fait, c’est probablement la pire depuis les croi­sades contre le monde musulman. La situation en Syrie, par exemple, est vraiment regrettable, et la crise a pris de graves proportions. Aujourd’hui, on ne peut envisager une solution à la crise syrienne qu’à travers le dialogue, l’option militaire ayant prouvé son échec total. Il est nécessaire de trouver une solution poli­tique qui inclut les différentes parties y com­pris le président syrien Bachar Al-Assad. C’est là le seul moyen d’en finir avec cette crise. Certains appellent à écarter Bachar Al-Assad, alors qu’une telle option conduira à davantage de chaos. Il faut donc parvenir à un compromis politique entre l’opposition et le président syrien qui commence par une période de tran­sition au cours de laquelle il faudra rédiger une Constitution et organiser des élections avec la présence d’observateurs arabes et internatio­naux. La lenteur des initiatives politiques à l’égard de la Syrie a compliqué la situation et a conduit, avec d’autres facteurs, notamment ce qui se passe en Iraq, à la montée de Daech.

Quant à la situation en Libye, je pense que le chaos va se poursuivre. Malheureusement, ce sont les milices libyennes armées qui ont imposé le changement, contrairement aux autres pays du Printemps arabe. Ces milices qui ont conduit à la chute de Kadhafi se consi­dèrent les maîtres de la Libye. En même temps, Kadhafi a laissé un pays sans institutions. Aujourd’hui, la solution passe par la mise en place d’une armée et il existe actuellement des contacts égypto-algéro-soudanais pour un règlement politique de la crise libyenne et l’anéantissement de Daech. Car les luttes internes et la militarisation des milices créent un climat favorable à l’extension de l’Etat Islamique (EI).

Nous, au Soudan, nous avons une expérience réussie en ce qui concerne les moyens de lutter contre les idées extrémistes. Il est nécessaire de prévenir l’enrôlement des jeunes à ces idées. Car il y a des jeunes du monde entier qui adhèrent à l’EI.

Aujourd’hui, il est nécessaire que les Etats arabes coopèrent pour faire face à l’EI. Certes, les pays arabes sont tous d’accord sur la lutte antiterroriste, mais il faut traduire cela en termes concrets et pour cela, il faut régler les différends entre les parties iraqiennes, que ce soit les sunnites, les chiites ou les Kurdes. C’est une condition sine qua non dans la lutte anti-Daech.

L’Occident veut une dislocation du monde arabe pour préserver les intérêts d’Israël et aussi pour imposer une hégémonie sur la région. Car celui qui veut maîtriser le monde doit d’abord maîtriser le Moyen-Orient.

— Que pensez-vous du rapprochement entre Téhéran et Washington à ce moment précis et quels sont ses objectifs ?

— Le Soudan n’a aucun intérêt à ce que se poursuive l’inimitié entre les Etats-Unis et l’Iran. Mais nous refusons qu’un quelconque accord entre eux ait pour objectif la création d’une force régionale qui déstabilise la région. Cela ne m’étonne pas que renaisse l’alliance stratégique entre l’Iran et les Etats-Unis. L’Iran redeviendra le plus grand allié américain dans la région comme c’était le cas auparavant.

— Quelle est la situation sécuritaire et politique au Soudan à l’aube des élections présidentielles ?

— Vous l’avez vu vous-mêmes, la situation au Soudan est stable. Il est vrai que nous avons eu certains problèmes sécuritaires dans cer­taines régions, mais aujourd’hui, la situation au Darfour est plutôt calme.

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