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L’intégration africaine, des enjeux et des interrogations

May Atta , Lundi, 24 juillet 2023

Comment réussir l’intégration continentale ? Telle était la question au centre des discussions de la 5e réunion de coordination de l’Union Africaine (UA), tenue la semaine dernière à Nairobi. Compte rendu.

L’intégration africaine, des enjeux et des interrogations

Accélérer l’intégration continentale était au coeur de la 5e réunion de coordination semestrielle entre l’Union Africaine (UA), les Communautés Economiques Régionales (CER) et les Mécanismes Régionaux (MR) qui a eu lieu du 13 au 16 juillet 2023 dans la capitale du Kenya, Nairobi. Cette réunion a été convoquée sous le thème de l’UA pour l’année 2023 : « Accélération de la mise en oeuvre de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf) ». Il s’agit d’une rencontre entre le bureau de l’assemblée de l’UA et les CER, avec la participation des présidents des CER, de la Commission de l’UA et des MR. L’Egypte y a participé en tant que président actuel de l’Agence de développement de l’Union africaine (NEPAD).

La réunion de coordination a été conceptualisée en 2017 comme le principal forum permettant à l’UA et à ses CER d’aligner leurs travaux et de coordonner la mise en oeuvre du programme d’intégration continentale. Ainsi, plusieurs sujets cruciaux étaient au menu des discussions, dont l’examen de l’état de l’intégration en Afrique conformément au traité d’Abuja et l’état de l’avancement de la ZLECAf, ainsi que les mesures prises pour coordonner et harmoniser les politiques de l’UA et des CER en vue d’accélérer le processus d’intégration de l’Afrique. « Cette réunion intervient dans un contexte international marqué par d’importantes mutations géopolitiques et économiques et qui a généré des effets négatifs sur les économies de nos Etats membres. Si à cette situation géoéconomique nous ajoutons la dégradation de l’état sécuritaire caractérisé par les conflits et la montée en puissance du terrorisme, nous obtenons un tableau global du continent qui ne prédispose pas à une mise en oeuvre optimale de nos programmes et projets de développement », a déclaré le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, dans son discours inaugural. Et d’ajouter : « Malgré toutes ces difficultés, l’UA essaie d’aller au bout de ce qu’elle entreprend. Pour cela, le but de cette réunion est d’évaluer le chemin parcouru, afin de souligner les avancées enregistrées et identifier les obstacles qui continuent de joncher le chemin d’une intégration à la fois efficace et productive ». De son côté, le président de la République du Kenya, William Ruto, a souligné que « la ZLECAf est un pilier essentiel de l’intégration régionale », et que « l’intégration africaine ouvrira les portes à une transformation socioéconomique inédite ».

La ZLECAf, des avantages à venir

Trois ans après son lancement, quel est le bilan de la ZLECAf ? En effet, la ZLECAf est un vieux rêve qui est en train de se réaliser. Depuis les premières années de l’indépendance des pays africains, les dirigeants africains reconnaissent l’importance de la création d’une communauté économique africaine unique. Envisagée dès le sommet inaugural de l’OUA, ancêtre de l’UA, en mai 1963, la ZLECAf était l’un des projets les plus emblématiques de l’Agenda africain. Les pères fondateurs sont Kwame Nkrumah, ancien président du Ghana, Gamal Abdel-Nasser, ancien président d’Egypte, Hamani Diori, ancien président du Niger, et autres. Entrée en vigueur le 30 mai 2019, la ZLECAf devient ainsi le plus grand espace d’échange commercial au monde.

Selon beaucoup d’analystes, l’Afrique a la capacité de faire réussir cette zone pour plusieurs raisons. L’une des caractéristiques de la ZLECAF c’est qu’elle renferme une diversité de situations économiques, géographiques et démographiques, allant des plus petites aux plus grandes, avec un PIB de 350 milliards de dollars. L’Afrique est le deuxième plus grand continent du monde et le deuxième plus peuplé avec une population estimée à 1,27 milliard de personnes et qui devrait atteindre 1,7 milliard d’ici 2030 et 2,5 milliards d’ici 2050, soit 26 % de la population mondiale en âge de travailler, et près de 70 % de cette population a moins de 30 ans.

Selon la Banque mondiale, la mise en oeuvre de cette zone permettrait de sortir 30 millions d’Africains de l’extrême pauvreté et d’augmenter les revenus de près de 68 millions d’autres personnes qui vivent avec moins de 5,5 dollars par jour. Elle aide à augmenter les revenus de l’Afrique de 450 milliards de dollars d’ici 2035 (soit une progression de 7 %), tout en ajoutant 76 milliards de dollars aux revenus du reste du monde, à accroître de 560 milliards de dollars les exportations africaines, essentiellement dans le secteur manufacturier.Elle aide aussi à favoriser une progression salariale plus importante pour les femmes (+10,5 %) que pour les hommes (+9,9 %) et à augmenter de 10,3 % le salaire des travailleurs non qualifiés et de 9,8 % celui des travailleurs qualifiés.

Des obstacles toujours existants

« S’agissant de la ZLECAf, sa mise en oeuvre s’est poursuivie à un rythme satisfaisant comme l’atteste l’adoption des protocoles sur l’investissement, la concurrence et la propriété intellectuelle. Les protocoles en cours de finalisation portent sur le commerce numérique et sur l’implication des femmes et des jeunes dans le commerce », explique Moussa Faki, soulignant que « de tels progrès ne sauraient occulter les contraintes structurelles qui ont toujours handicapé notre processus d’intégration ». Parmi ces contraintes figurent deux questions cruciales : le déficit de financement pour la mise en oeuvre du programme d’infrastructures à l’échelle continentale, ainsi que la dégradation de la situation de la paix et de la sécurité en Afrique.

Selon Samar Al-Bagouri, professeure adjointe au département d’économie à la faculté des études supérieures africaines de l’Université du Caire, les Etats membres devront relever les défis de l’intégration, notamment de « l’insuffisance des ressources financières, des réseaux d’infrastructures médiocres, du terrorisme et de l’instabilité politique ». « Le manque d’un équilibre économique entre les pays africains est l’un des grands défis. C’est-à-dire qu’il existe une différence entre le taux de croissance des pays africains, le développement industriel et la capacité des infrastructures. Par exemple, l’Egypte est le seul pays à avoir achevé sa partie du projet continental de l’autoroute Le Caire-Le Cap. Les autres pays qui participent à ce projet souffrent des conflits, des guerres et d’un manque de financement ». Ainsi, « pour que le système de la ZLECAf soit pratique pour tous les pays africains, ils doivent avoir un plan commun pour développer et améliorer leur infrastructure », ajoute Samar Al-Bagouri. Selon un rapport récemment publié par la Commission de l’Union africaine et la Banque africaine de développement, « l’Afrique reste contrainte par d’énormes déficits d’infrastructures, dont le besoin de financement annuel est estimé entre 130 et 170 milliards de dollars ».

Le retard dans les ratifications du protocole sur la libre circulation des personnes et des biens figure également parmi les handicaps de l’intégration. « Je réitère mon exhortation aux présidents en exercice des CER qui ne l’ont pas encore fait, de procéder aux ratifications au niveau de leurs régions respectives. Il nous faut de toute urgence sortir de cette flagrante contradiction de vouloir la liberté du commerce et de refuser la mise en oeuvre de la libre circulation des personnes et des biens », conclut Moussa Faki.

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