Les enfants jeûneurs
Les enfants en Afrique accueillent le Ramadan à leur manière, en décorant les rues avec des lanternes et papiers colorés. Mais chaque pays a sa spécificité. Aux îles Comores, la préparation au mois sacré commence à partir de la moitié de celui qui le précède, Chaaban. Les enfants battent les tambours quelques jours avant l’arrivée du Ramadan et fredonnent des chansons religieuses pour exhorter les gens à jeûner. Dans ce pays de l’Afrique de l’Est, les enfants se rendent aux plages dans la première nuit du Ramadan avec leurs familles, portant des flambeaux et battant sur des tambours pour célébrer le début du mois.
Le jeûne pour la première fois est un souvenir inoubliable et un moment de fierté pour tout enfant. En Algérie, les parents célèbrent le premier jeûne de leurs enfants d’une manière spéciale pour les encourager à continuer. Lors d’une célébration joyeuse, au moment de l’iftar (la rupture du jeûne), les filles portent leurs plus belles tenues et s’assoient comme des reines. De nombreuses familles algériennes préfèrent circoncire leurs fils dans la 27e nuit du Ramadan, connue sous le nom de la « nuit du destin », rappelant celle de la première révélation au prophète Mohamad. En Mauritanie, Chaar Ramadan (les cheveux de Ramadan) fait partie des traditions populaires liées au mois béni. Cette tradition consiste à laisser pousser les cheveux des garçons pendant les quelques mois précédant le Ramadan pour les raser à la veille du premier jour du mois sacré. La coutume, connue également en Mauritanie sous le nom de Zoghbat Ramadan ou la coupe du Ramadan, est souvent pratiquée jusqu’à l’âge de 10 ans. Les pères aussi se font complètement raser les cheveux avant le Ramadan pour commencer le mois avec de nouveaux cheveux.
Le mois sucré
En général, les musulmans échangent les félicitations et les voeux à l’occasion de l’arrivée du mois sacré. Mais en Afrique, l’échange de félicitations se distingue par certaines traditions insolites. Au Sénégal, l’une des particularités est d’offrir du sucre dans un panier aux proches. Ce panier est appelé « Soukeurou koor » (sucre du Ramadan). Pourquoi le sucre ? Parce que le soir, au moment de rompre le jeûne, l’essentiel des aliments est sucré : le café, le dessert, les boissons, etc. En effet, le sucre a une place centrale dans l’alimentation des jeûneurs sénégalais. Chaque année, à l’approche du Ramadan, les marchés sénégalais débordent de paniers en osier remplis d’aliments sucrés pour rompre le jeûne : sucre, dattes, café, confiture, chocolat, lait en poudre … Sur les réseaux sociaux aussi, les offres sont multiples. Mais, ces dernières années, ce panier est devenu beaucoup plus onéreux, comprenant bijoux en or et en argent, parfum, tissus, vaisselle et tapis de prière. Il est devenu une source de stress, exerçant une pression psychologique et financière notamment sur les femmes mariées qui économisent toute l’année pour offrir des paniers sucrés à leurs bellesmères, beaux-pères, mais aussi aux belles-soeurs. Certaines demandent l’aide de leurs familles ou font des prêts bancaires.
Néanmoins, d’après l’Association des consommateurs du Sénégal (ASCOSEN), le spectre d’une pénurie de sucre risque de poser problème sur le marché sénégalais pendant ce Ramadan 2023. La capacité actuelle de 120°000 tonnes de sucre ne couvrirait pas le besoin habituel de 180°000 tonnes.
En Algérie encore, le mois sacré est aussi sucré. Les Algériens sont parmi les peuples grands consommateurs de sucre dans le monde. Un Algérien consomme en moyenne 42 kg de sucre par an, soit plus que le double de la moyenne mondiale de 20 kg. En 2021, le gouvernement algérien a décidé d’imposer une taxe sur le sucre afin de préserver « la santé du citoyen » d’une consommation excessive.
Sur la table algérienne du Ramadan, le sucré est roi. Parmi les plats algériens très connus figure le « lham lehlou » (tadjine lehlou) ou viande sucrée. Il s’agit d’un plat sucré à base de viande d’agneau, de pruneaux, de raisins secs et d’amandes parfumés à l’eau de fleurs d’oranger. Ce plat est présent à partir du premier jour du Ramadan jusqu’à la fin du mois. Même pour le repas du sohour, à la fin de la nuit, les Algériens mangent majoritairement des plats sucrés comme « elmasfouf », composé de couscous avec des raisins secs, des dattes et des noix, servi avec du rayeb (lait caillé) ou du yaourt.
La mode vestimentaire
L’habit traditionnel est révélateur de la culture et de l’identité de chaque pays. Le Ramadan est également une occasion idéale pour honorer la tradition vestimentaire africaine. En effet, l’avènement du mois sacré est accompagné dans certains pays d’un changement de style vestimentaire. Et la confection de ces habits traditionnels devient un métier florissant au cours de ce mois sacré. Chaque année, les maisons de mode africaines tentent de donner des touches modernes à ces habits. Au Maroc, la djellaba, le caftan et la gandoura sont les tenues les plus convoitées pendant le Ramadan. Les Marocains sont habitués à acheter de nouveaux vêtements traditionnels qui reflètent la richesse de couleurs et de broderies et la variété de l’artisanat du pays. Au Cameroun, le « danchiki » est le vêtement traditionnel des grands événements, notamment le Ramadan. Pour la femme, cet habit est composé de trois pièces : un chapeau, une robe et une jupe. Dans l’Afrique de l’Ouest, au Burkina Faso, au Mali, au Niger et au Sénégal, le « boubou », une longue robe ample et colorée, est la tenue traditionnelle la plus prisée pendant ce mois et la plus portée par les femmes et les hommes.
La cuisine retrouve son éclat
Au Ramadan, la femme est le membre le plus important de la famille. C’est elle qui prépare l’iftar et le sohour pour la famille et les invités, décore et nettoie la maison. Et puisqu’elles passent la plupart de leur temps pendant le Ramadan à la cuisine, les femmes tiennent à renouveler ou acheter de nouveaux ustensiles comme un bon présage. Il s’agit d’une habitude héritée des grand-mères. Au Soudan, comme en Tunisie, pour célébrer l’arrivée du mois béni, les femmes blanchissent les ustensiles de cuisine en cuivre, même si cette tradition leur coûte cher. En Libye, malgré la crise politique et sécuritaire, de nombreuses familles ont l’habitude de repeindre entièrement la cuisine en prévision du mois du Ramadan, pour donner un nouveau look à l’endroit le plus important de la maison.
Les crieurs des rues
« Boutbila », « nafar », « messaharati ». Ce crieur des rues, qui cherche à réveiller les gens pour qu’ils prennent leur sohour avant la reprise du jeûne, change de nom d’un pays à l’autre sur le continent. Ces personnes jouent un rôle important dans l’identité culturelle de l’Afrique. La tradition du « réveilleur » des jeûneurs est un métier ancestral qui risque de disparaître avec le temps. En Tunisie, le boutbila (le tambourinaire) est le personnage qui se déplace d’une maison à l’autre en battant sur un tambour afin de réveiller les musulmans pour le sohour en chantant « Hayya Tsaharou ». Alors qu’au Maroc, le nafar (joueur de cor), vêtu d’une robe marocaine traditionnelle, de pantoufles en cuir et d’un chapeau, marche dans les rues en soufflant du cor pour avertir que l’aube approche.
Boissons ramadanesques
Le mois de jeûne est aussi un moment de beaucoup de changement dans les habitudes alimentaires. Chaque pays ne rompt pas le jeûne de la même manière. En effet, la cuisine africaine est riche en boissons délicieuses incontournables à l’heure de l’iftar pour se rafraîchir et compenser les pertes en eau. Au Mali, le « banihari » (l’eau de santé) est l’une des boissons les plus prisées au Ramadan, surtout à Tombouctou et Gao. Cette boisson est préparée à base d’eau, de cumin, de sel, de piment, de lait caillé et du fruit d’acacia nilotica. La graine d’acacia nilotica, appelée également « nep nep », qui se retrouve principalement en Afrique de l’Ouest, est connue pour ses vertus médicinales très efficaces contre les troubles digestifs après la rupture de jeûne.
Sur la table soudanaise du Ramadan, « hulu-murr », qui se traduit par douce-amère, est une boisson traditionnelle riche en antioxydants. Elle est faite principalement de farine de sorgho et d’autres ingrédients sucrés comme le sucre, le miel et le pop-corn, ainsi que beaucoup d’épices. Selon les historiens, cette boisson a été découverte pour la première fois dans la vallée du Nil bleu en 1833, puis elle a été transmise d’une génération à l’autre. La tisane de Kinkéliba ou le café Touba est une boisson très convoitée sur la table sénégalaise à l’heure de l’iftar, alors que la « zoom koom », ce jus sucré à base de mil, connue sous le nom de l’eau de bienvenue, est la boisson la plus consommée pendant le Ramadan au Burkina Faso. Elle a été inscrite en 2017 au patrimoine culturel immatériel de ce pays.
Mariage et fiançailles
Dans certains pays de l’Afrique, le Ramadan rime avec mariage. Au Bénin, en Guinée et en Mauritanie, le nombre de mariages connaît une hausse avec l’approche de ce mois sacré. Des dizaines de jeunes couples attendent l’arrivée du Ramadan pour se marier. Ils pensent que le mois béni peut porter chance pour les jeunes mariés. Ce sont souvent les jeunes célibataires qui vivent loin de leurs familles qui cherchent à se marier avant le Ramadan. Bien que cette tradition ramadanesque ne soit pas courante et n’émane pas d’une recommandation religieuse, rien dans l’islam n’interdit de se marier pendant cette période. Cependant, ces mariages décidés principalement à la hâte, à la veille du mois béni, font souvent long feu ; les couples n’ont suffisamment le temps ni de se connaître ni de se préparer à la vie conjugale.
Aussi au Mali, le Ramadan est en passe de devenir le mois des mariages. Surtout à Bamako, le mois sacré incite plusieurs familles à organiser le mariage de leurs enfants. La raison derrière ce phénomène est plutôt sociale. Les familles maliennes s’emploient à renforcer l’effectif féminin en cuisine, tout en empêchant les jeunes de sortir pendant le mois béni.
Le fanous, icône du Ramadan
Le « fanous » (lanterne du Ramadan), avec ses différentes formes, tailles et couleurs, est le symbole décoratif incontournable du mois sacré en Egypte. Quelques jours avant l’arrivée du mois, les Egyptiens ajoutent une touche festive pour son accueil. Les maisons, les rues, les marchés et les lieux du travail sont tous illuminés et décorés avec des lanternes colorées. Les enfants sortent dans la rue, leurs fanous à la main, et chantent joyeusement « Wahawi ya Wahawi ».
L’histoire du fanous remonte à l’époque des Fatimides lorsque les Egyptiens, en l’année 969, sont sortis dans les rues le cinquième jour du Ramadan portant des lampes pour accueillir le calife Al-Moez li Dine Allah. Fabriquées en plastique, en bois ou en verre, les lanternes continuent jusqu’à nos jours à illuminer les nuits du Ramadan, offrant un beau mélange de folklore égyptien et de style islamique.
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