Prisé par tout le monde, surnommé l’or brun, la production du cacao cache des réalités d’ordre écologique et économique. En Afrique, le cacao est produit essentiellement par les pays de l’Afrique de l’Ouest. Il s’agit de la Côte d’Ivoire et du Ghana qui occupent les première et deuxième places respectivement dans la production mondiale. Ensuite viennent le Nigeria, le Cameroun et l’Equateur. Ensemble, ces pays exportent plus de 70 % du cacao mondial. Pourtant, ils bénéficient seulement de 3 % des revenus. En fait, la production de l’or brun est un enjeu économique de grande envergure. La reine incontestée de cette production du cacao africain est la Côte d’Ivoire qui assure 44 % de l’approvisionnement mondial, dont 54 % sont destinés au marché européen et 33 % au marché américain, selon une étude effectuée par la Banque mondiale. « La production ghanéenne, deuxième sur l’échelle mondiale, satisfait plus de 75 % de la demande américaine et plus de 20 % de la demande européenne », affirme la Banque mondiale dans son rapport, en soulignant que près de 20 % du PIB de la Côte d’Ivoire et du Ghana proviennent des revenus du cacao.
Le goût amer du chocolat
Amer comme le goût du cacao brut est le fait que « les pays producteurs africains ne reçoivent que 3 % des revenus de la filière chocolat », selon les données de l’Organisation internationale du cacao (ICCO). La Côte d’Ivoire n’a reçu contre sa production que 3,3 milliards de dollars en 2017, contre 22 milliards de dollars pour les producteurs américains. De plus, « sur les 100 milliards de dollars générés par l’industrie chocolatière à travers le monde, les pays producteurs ne gagnent que 6 % de cette somme, tandis que les petits cultivateurs aux pays africains ne bénéficient que de 2 % de cette culture », toujours selon l’étude de l’ICCO. Cette situation est générée « à cause du contrôle exercé par les multinationales sur le marché mondial du cacao », comme l’explique Samar Al-Bagoury, professeure assistante en économie à l’Université du Caire et directrice du Centre des études du bassin du Nil. En fait, il s’agit d’une multitude de facteurs empêchant les pays africains producteurs du cacao de profiter de cette manne. « L’exportation du cacao africain sous sa forme brute constitue un défi majeur, puisqu’elle réduit la capacité des pays africains à augmenter la valeur ajoutée dans ce secteur et à augmenter, par conséquent, son prix de vente », souligne Al-Bagoury.
En outre, la déforestation et l’usage de la main-d’oeuvre enfantine, ces pratiques prohibées par les pays occidentaux, sont deux autres obstacles qui empêchent les pays africains de bien tirer profit de ce secteur. « Plus de 1,8 million d’enfants africains travaillent dans la production de la fève brune », explique Al-Bagoury. Et ce, parce que la production du cacao en Afrique s’effectue dans de petites fermes et chacune est gérée par une famille dont tous les membres y travaillent, y compris les enfants qui, le plus souvent, assument les tâches les plus dangereuses comme l’usage de la machette, le port des charges lourdes et l’exposition constante aux pesticides. La déforestation est aussi très mal vue par les grands consommateurs du cacao africain, surtout à l’heure du réchauffement climatique. Pour devenir l’un des premiers producteurs de cacao, la Côte d’Ivoire a perdu presque 90 % de la superficie de ses forêts. La même superficie de forêts a disparu au Ghana pour la même raison. Soit au total 14 000 hectares de forêts disparues, l’équivalent de 15 000 terrains de football d’après une étude effectuée par l’ONG Mighty Earth.
Et le malheur ne s’arrête pas là. « Les petits cultivateurs africains utilisent toujours la méthode traditionnelle d’agriculture qui exige un usage excessif de pesticides, a contrario avec les méthodes les plus sophistiquées d’agriculture utilisées par les sociétés multinationales qui, évidemment, obtiennent la part du lion des profits de cette production », souligne Al-Bagoury. Récemment, l’Union européenne a déclaré son intention de cesser toute importation du cacao récolté d’une méthode traditionnelle. La Suisse, la géante de la production chocolatière, a affirmé son intention d’acheter du cacao des multinationales qui utilisent les méthodes les plus modernes et les plus respectueuses de l’environnement.
Les solutions
« L’application d’une telle décision nuira sans doute aux pays africains, surtout aux petits cultivateurs », explique Al- Bagoury. En fait, les pays africains producteurs de l’or brun sont tout à fait conscients de la répercussion de cette décision sur leurs économies. C’est ainsi que la Côte d’Ivoire et le Ghana ont joint leurs efforts pour faire entendre leurs voix. C’est le 26 mars 2018 que le président ivoirien, Alassane Ouattara, a signé avec son homologue ghanéen, Nana Akufo, la déclaration d’Abidjan instaurant une « OPEP » du cacao. Celle-ci a déjà réussi sa première tâche en 2019, en instaurant un mécanisme de récompenses aux petits cultivateurs. Cette politique a porté ses fruits lorsque l’industrie chocolatière a accepté le principe d’une prime de 400 dollars par tonne sur tous les contrats de vente ; après que la suspension de la vente de la production de ces petits cultivateurs a lourdement pesé sur les cours mondiaux et par la suite sur l’industrie chocolatière.
Conscients de l’importance de respecter le facteur de durabilité dans leurs productions, ils ont commencé leur transformation en une production plus respectueuse de l’environnement tout en évitant la déforestation et l’usage des pesticides. Par ailleurs, « le Ghana a lancé une plateforme économique qui regroupe toutes les informations concernant les petits cultivateurs et la superficie cultivée afin de pouvoir la gérer d’une façon plus durable », conclut Al-Bagoury.
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