Youssef Wardany,
Adjoint du ministre de la Jeunesse et du Sport
Depuis 2013, l’Egypte témoigne d’une révolution globale des politiques publiques en faveur de la jeunesse, marquant ainsi une rupture historique avec le passé proche ou lointain, que ce soit au niveau des valeurs elles-mêmes régissant le processus de réforme ou au niveau des politiques et des plans opérationnels adoptés, ou encore des indices d’autonomisation numérique effectifs. Autonomiser les jeunes ne se limite pas uniquement à la génération Y (1980-1994), mais également aux jeunes issus de la génération Z, qui représentent environ 38,8 % de la population, conformément aux chiffres publiés par l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS) en mars 2020. En effet, cette génération renferme trois segments de la population : l’enfance, l’adolescence et la jeunesse (voir tableau). Et comme chaque génération a ses circonstances propres, il est difficile de comprendre les caractéristiques de la génération Z sans connaître les contextes qui l’entourent et le lien qui la relie à la génération suivante ou précédente.
Le président Sissi entouré de jeunes lors de la Conférence de la jeunesse nationale.
La génération Z s’est épanouie à l’ombre d’un régime politique éclipsé et un autre transitoire (1995-2013). Par la suite, elle a vécu sa jeunesse après l’âge de 18 ans sous un système politique en train de se dessiner, celui de l’après-Révolution du 30 Juin 2013. Autrement dit, il s’agit d’une génération qui a grandi dans son intégralité — à l’exception des deux dernières années de sa vie — sous une stabilité formelle des politiques et des interactions de la vie économique et sociale. Cependant, elle s’est soudainement retrouvée, en intégrant la vie pratique — que ce soit pour étudier à l’université ou pour travailler —, devant un environnement différent, qui se caractérise par la fluidité et la rapidité du rythme au niveau de tous les domaines. Cette génération est née dans une société qui a connu une série de transformations rapides depuis le début du XXIe siècle. Ce qui a entraîné des secousses dans son système de valeurs, approfondies plus tard par les événements du 25 Janvier 2011.
Cette situation a affecté les caractéristiques de ce segment de jeunesse, car il est encore au stade de la formation et de la cristallisation, et est plus enclin à la rébellion. Et, par conséquent, il devient plus sensible aux changements et aux revirements de la vie politique et sociale.
Priorités et aspirations différentes
Cette génération s’est trouvée, au lendemain de la Révolution du 30 Juin, devant une situation économique alarmante avec un taux de chômage ayant atteint 28 % du nombre total des jeunes (18-29 ans) en août 2013 et un taux de pauvreté parmi les jeunes de 51,08 % selon les chiffres de l’étude sur les revenus et les dépenses de 2012-2013. Ont également émergé avec force les problèmes du système éducatif et son incapacité à aller de pair avec les exigences du marché du travail.
Tout cela a été accompagné d’un usage accru de la technologie des télécommunications et de l’information par cette génération, très active sur les réseaux sociaux, surtout Facebook et Twitter. La révolution des télécommunications et de l’information, ainsi que l’ouverture des jeunes sur le monde extérieur ont conduit évidemment à un changement des priorités, des besoins et des aspirations des jeunes. De plus, les satellites, Internet et les réseaux sociaux ont atteint aujourd’hui les villages, les bourgs et bien sûr les cafés publics. Ce qui a conduit les jeunes à se familiariser avec d’autres cultures et modes de vie qu’ils ne connaissaient pas auparavant.
Cela a abouti à une « révolution » dans leurs aspirations, qui dépassent souvent leur potentiel, à tel point d’engendrer parfois un sentiment d’insatisfaction. Mais aussi à une interaction négative avec leur environnement, qu’ils rejettent sans pour autant pouvoir le changer. Cette situation s’est accompagnée de l’émergence de défis liés à la préservation de l’identité culturelle, des valeurs religieuses et des traditions sociales, c’est-à-dire de la spécificité culturelle et civilisationnelle de la jeunesse.
Face à ces circonstances complexes, il était normal que le gouvernement traite différemment avec cette génération nommée les Zoomers, cette appellation attribuée à l’usage excessif de l’application Zoom pendant la crise du Covid-19. Cette différence ne réside pas uniquement dans les politiques suivies, mais aussi dans la vision du changement elle-même.
Autonomisation et intégration
L'Etat compte sur les jeunes, qui constituent 60 % de la population, dans les plans de développement.
Sur le plan politique, la tendance, après 2013, était de créer et de promouvoir une élite de jeunes qui injecterait du sang nouveau au sein de l’Etat égyptien après des années de vieillissement au niveau des idées et des dirigeants. Par conséquent, il n’était donc pas étrange que le communiqué du 3 juillet 2013 soit clair et net sur l’intégration des jeunes dans toutes les institutions étatiques pour qu’ils soient des partenaires à part entière dans la prise de décision, en tant qu’assistants des ministres, des gouverneurs et dans de divers postes dans l’appareil exécutif. La Constitution de 2014 a stipulé la représentation des jeunes auprès du Conseil des députés et le fait de consacrer 25 % des sièges dans les municipalités à la tranche d’âge de 21 à 35 ans, soit l’équivalent d’environ 13 000 sièges.
Tous ces efforts doivent être accompagnés par la création d’un nouvel environnement pour autonomiser les jeunes de la génération Y (1980-1994) dans les années à venir. Plusieurs indicateurs l’affirment, dont le plus important est la tenue des Conférences des jeunes, auxquelles le président et un grand nombre de dirigeants d’Etat ont tenu à assister aux côtés des jeunes. A été lancé également le programme présidentiel pour la formation des jeunes leaders et cadres en décembre 2015 qui a, jusque-là, formé 1 500 jeunes appartenant à la tranche d’âge de 20 à 30 ans. L’Académie nationale de la formation des jeunes a vu le jour, à l’instar de l’Ecole Nationale de l’Administration (ENA) en France, pour entraîner les jeunes aux postes exécutifs et législatifs. D’ailleurs, 23 adjoints aux gouverneurs et aux ministres sont des jeunes de moins de 35 ans.
Des entités, comme la Coordination des jeunes des partis et des politiciens, ont contribué à faire ressentir aux jeunes qu’ils peuvent avoir une participation effective au sein de leurs partis loin de la domination de la génération du 3e âge, surtout que 40 de ses membres ont remporté des sièges dans les deux chambres parlementaires en 2020.
Cette nouvelle atmosphère a poussé les différents ministères à adopter des politiques pour l’autonomisation de la génération Z. La plus importante est la transformation du modèle de simulation du parlement des jeunes exécuté par le ministère de la Jeunesse et du Sport en un modèle qui ressemble typiquement au Conseil des députés du point de vue de la formation, des prérogatives et des commissions de travail. Le fait qui a permis à 20 000 jeunes hommes et jeunes femmes de tous les gouvernorats d’entrer en concurrence pour rejoindre ce modèle, afin de former d’autres modèles de simulation comme le parlement des jeunes des universités, le parlement des jeunes des écoles ou des instituts d’Al-Azhar, le modèle de simulation de l’Etat, et pour planifier l’exécution du modèle des conseils populaires locaux afin de préparer les jeunes aux prochaines élections.
Préparer au marché du travail
Le ministère de l'Education a lancé en 2018 un plan de réforme du système éducatif national
appelé « Education 2.0 » axé sur le numérique.
Dans le domaine économique, pour naviguer de concert avec la 4e révolution industrielle et ses nombreuses mutations, sont apparus de nouveaux programmes pour préparer les jeunes au nouveau marché du travail. C’est ainsi qu’a fortement augmenté le nombre des incubateurs créés par les ministères, les appareils de l’Etat, les universités et les compagnies privées pour parrainer les idées des jeunes et les transformer en start-up dans des domaines en besoin permanent d’innovation et de développement. De plus, les montants consacrés au financement des Petites et Moyennes Entreprises (PME) et des micro-entreprises des jeunes ont largement augmenté, comme il s’est avéré dans l’initiative de la Banque Centrale 2016-2020 qui a offert des prêts favorables aux jeunes avec des taux d’intérêt de moins de 5 %.
Vu que la formation ne commence pas seulement à l’âge de la jeunesse, le ministère de la Jeunesse et du Sport a commencé à former les enfants aux talents de l’entrepreneuriat via des programmes comme les entrepreneurs de l’avenir et leur a accordé des bourses pour mettre en exécution leurs petits projets.
Dans le domaine social, le gouvernement a introduit de grands amendements aux politiques de l’enseignement pré-universitaire qui comprend 23,5 millions d’élèves et 1,3 million d’enseignants.
Le ministère de l’Education a ainsi lancé en 2018 le système éducatif « 2.0 », essentiellement basé sur l’utilisation de la technologie, afin de remplacer le système du par coeur par l’enseignement actif. Ce système s’applique à 8 millions d’élèves dans les classes de la maternelle et jusqu’à la 3e primaire. Le ministère a également accru le nombre des écoles de l’enseignement élémentaire, réduit la densité des classes, investi dans l’infrastructure des écoles secondaires et étendu l’expérience des écoles japonaises à de nombreux gouvernorats.
Par ailleurs, le gouvernement a compris que les jeunes cherchent des cadres non officiels pour renforcer leur participation et trouver un autre « domaine public » comme les modèles de simulation, les initiatives sociales, les troupes artistiques et les festivals. Partant, il a introduit un chapitre relatif au bénévolat dans la loi n°149 pour l’année 2019 relative à l’organisation du travail civil. Dans ce contexte, le ministère de la Jeunesse a lancé un programme de financement visant à soutenir les initiatives des jeunes sous le nom de « Idak Maana » (aide-nous), ainsi que d’autres programmes de financement avec le ministère de la Solidarité sociale ou avec l’Agence nationale pour la coopération internationale (GIZ).
Partant du principe de la responsabilité collective, les différents ministères ont présenté leur aide aux jeunes les plus démunis comme ce fut évident dans le programme Takafol wa Karama (solidarité et dignité) pour le développement des zones sauvages, ainsi que les programmes Ahl Misr pour le développement des jeunes des gouvernorats frontaliers et l’initiative Haya Karima (vie décente) relative aux gouvernorats les plus démunis de la Haute-Egypte.
Conscient du danger que représente le phénomène de « la génération du confinement », l’Etat a tenté d’établir un équilibre entre les conditions nécessaires à la protection contre le coronavirus et la persistance des diverses activités sportives et sociales, tout en respectant la distanciation sociale. Et ce, afin de vaincre les répercussions psychologiques destructives du confinement dont souffre dernièrement une grande partie de la génération Z.
Plusieurs défis
Cependant, les politiques de l’autonomisation de la génération Z, comme de nombreuses autres politiques publiques, affrontent encore quelques défis. Et ce, comme celui de les inclure dans une politique sociale globale pour former cette génération dans les différents domaines de sorte à les relier aux autres politiques publiques, notamment celles relatives au développement des enfants, à l’amélioration de la qualité des services publics présentés, l’amélioration de l’enseignement technique et industriel et la création d’offres d’emploi appropriées aux jeunes. Il est également important que ces politiques prennent en considération la non-homogénéité entre les tranches des adolescents et des jeunes. Il est aussi important de répartir les politiques relatives à leur développement sur plusieurs ministères et organismes de sorte que les jeunes participent à leur élaboration, leur suivi et leur évaluation.
Un autre défi, celui d’englober toutes les catégories des jeunes, notamment ceux des villages et des bourgs, surtout que la tranche des jeunes s’étend de 18 à 29 ans et représente 21 % de la population en 2020, soit 20,6 millions de personnes. Si nous élargissons la définition des jeunes pour s’étendre de 15 à 39 ans, les jeunes représenteront alors 41,3 % de la population, soit 39,2 millions d’habitants. La question devient de plus en plus dangereuse avec le défi de la croissance démographique, surtout que l’Egypte fait désormais partie des pays qui affrontent le défi de l’explosion démographique des jeunes qui impose de nombreuses pressions sur les politiques et les services publics et qui influence fortement la stabilité sociale et politique. Une influence qui s’étendra jusqu’en 2030 où le nombre de jeunes de 18 à 29 ans devrait atteindre 26 millions de personnes.
Pour relever ces défis, la réussite de ces politiques dépend du degré de la concordance entre le dynamisme de la jeunesse qui ne connaît ni contraintes ni barrières, et la lenteur de la bureaucratie étatique. A cet égard, il convient de noter que le succès des efforts de réforme de l’appareil administratif en cours, notamment dans le domaine de l’utilisation des techniques de transformation numérique et des applications de l’intelligence artificielle, aura un impact significatif sur l’intégration de la génération Z dans le dynamisme de l’Etat et le renforcement du sentiment d’appartenance chez elle.
Ce succès dépend également de la mesure dans laquelle la société accepte l’esprit de rébellion qui caractérise la génération Z et qui se présente sous de nombreuses formes en termes de langue utilisée, de type de culture populaire et d’apparence vestimentaire. En fait, la période 2012-2020 a été témoin d’une rébellion qui se manifestait dans plusieurs domaines. Après s’être limitée au style d’écriture et au langage utilisés sur les réseaux sociaux à la fin de la première décennie du XXIe siècle, cette rébellion se manifeste également sur TikTok, dans les chansons de rap, les festivals, la musique underground et les films mobiles, le théâtre de rue, le karaoké et autres formes de médias alternatifs par lesquels les jeunes ont précédé l’Etat pour s’exprimer et transmettre leurs idées.
Génération Alpha, encore du nouveau
Le ministère de l'Education a lancé en 2018 un plan de réforme du système éducatif national
appelé « Education 2.0 » axé sur le numérique.
Après la génération Z, une autre génération vient de prendre forme et elle a ses propres caractéristiques et défis, à savoir la génération Alpha (2013-2025). L’Etat a prêté attention à l’importance de traiter tôt avec cette génération, il a ainsi lancé un nouveau système éducatif 2.0 depuis septembre 2018. Ce système repose sur l’utilisation de la technologie dans le processus éducatif et favorise une méthode d’apprentissage actif au lieu du fait d’apprendre par coeur. Cette évolution, qui va se poursuivre, parmi tant d’autres politiques publiques, permet l’arrivée de nouvelles générations capables de garantir un avenir meilleur pour l’Etat dans les décennies à venir.
Quelle que soit la génération dont nous parlons, il est important de réaliser que « la nature ne connaît pas de vide » et que les jeunes sont aujourd’hui plus exposés à des pressions différentes et opposées, d’où l’importance d’élaborer des politiques publiques destinées aux jeunes et de les transformer en plans opérationnels, ainsi que de mesurer ses résultats afin de pouvoir exercer un rôle influent sur les valeurs des jeunes dans cette période transitoire.
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