Al-Ahram Hebdo : Vous êtes la première tenniswoman égyptienne à décrocher sa place au Championnat de Roland Garros. Que représente pour vous cet exploit historique ?
Mayar Sherif : J’ai décroché ma place pour le tout premier Grand Chelem de ma carrière. Je vis actuellement l’un des plus beaux chapitres de ma vie et de ma carrière. Je me rappelle quand j’avais 13 ans tandis que je suivais avec mes parents le tournoi de Roland Garros, je leur disais qu’un jour j’y serai. C’est une sacrée fierté pour moi de marquer l’histoire de mon pays en décrochant ma place pour les tours principaux d’un championnat si prestigieux tel Roland Garros. J’essaie de savourer cet exploit, car il s’agit pour moi d’une expérience inoubliable qui m’a donné une grande confiance en soi et une détermination pour le reste de ma carrière. Il s’agit pour moi d’un titre émouvant car j’ai honoré mon pays au sein de ce rendez-vous qui groupe les stars de la discipline. Je prends cet exploit non seulement comme un succès, mais aussi comme une étape en vue de rentrer dans les 100 meilleures au monde sur le circuit WTA. Ce qui m’a également émue c’est que j’ai reçu des mots d’encouragement et de félicitation de la part du footballeur Mohamad Salah sur ma page Facebook et Twitter. En plus, sur le site web de Roland Garros, ils ont cité mon nom en mentionnant que je suis le premier ressortissant du pays des pharaons à gagner dans un match de Grand Chelem.
— Pouvez-vous nous donner un aperçu de votre parcours à Roland Garros ?
— A vrai dire, j’étais confrontée dès le début de la compétition aux meilleures joueuses mondiales qui sont très bien classées. Et cela a exigé beaucoup d’énergie pour être compétitive. Lors des tours qualificatifs, j’ai joué mon premier match avec la Colombienne Maria Camila Serrano (188 WTA), et je l’ai battue sur le score de 2 à 0. Ce qui m’a aidée à dominer ce premier match c’est le fait que j’ai pu lire rapidement le point faible de mon adversaire, à savoir la vitesse. J’ai envoyé des revers très rapides qui l’ont troublée. Les deux autres matchs étaient plus difficiles. J’ai joué contre l’Américaine Catherine McNaly, classée 48e WTA, et je l’ai battue sur le score de 2 à 0. Cette joueuse était plus jeune que moi mais mieux classée. J’avais des coups trop rapides et forts et j’ai profité du fait que mon adversaire était très tendue. J’ai joué le troisième match qui m’a qualifiée aux tours principaux contre l’Italienne Giulia Gatto-Monticone, classée 156e WTA, et je l’ai battue sur le score de 2 à 0. J’ai disputé ce match avec une grande concentration car j’étais consciente qu’il s’agissait d’un match décisif qui contribuerait à décrocher ma place en grand tableau de Roland Garros. Aux tours principaux, j’ai affronté la Tchèque Karolina Pliskova, classée 4e WTA, qui m’a battue sur le score de 2 à 1. J’ai joué le premier set sans pression au point de le remporter. Pliskova a pris les devants en dominant les deux autres sets, car elle est plus expérimentée. Mais en général, je suis satisfaite de ma performance. La presse française a mentionné à la suite du match que j’ai mis en difficulté Pliskova pendant deux heures et qu’elle a souffert pour pouvoir me battre.
— Vous avez pu, pour la première fois, valider votre ticket olympique. Pouvez-vous nous en parler ?
— Il s’agit d’un vrai exploit pour le tennis égyptien, car ce ticket olympique démontre bien que le tennis égyptien dispose d’un bon niveau en validant pour la première fois de son histoire sa qualification pour les Jeux Olympiques (JO) de Tokyo 2020. Je me suis qualifiée avec le tennisman Mohamad Safwat, classé 141e ATP ; j’ai composté mon ticket en occupant la première place aux derniers Jeux africains du Maroc en août 2019. Au Maroc, j’ai fait un parcours très brillant, car j’ai remporté tous les matchs dès les 8es de finale jusqu’à la finale. En demi-finale, j’ai battu l’Egyptienne Lamis Salama sur le score de 2 à 0. A la finale, j’ai battu la Sud-Africaine Chanel Simmonds sur le score de 2-0. Grâce à cet exploit, l’Egypte a pu composter pour la première fois de son histoire son ticket olympique.
— Parlez-nous de votre parcours, comment avez-vous atteint ce niveau ?
— A vrai dire, j’ai fait beaucoup de sacrifices pour devenir une joueuse de tennis de haut niveau. Beaucoup de moments difficiles à surmonter mais par expérience personnelle, je n’ai jamais regretté. Il est vrai que j’ai beaucoup donné au tennis, mais aujourd’hui le tennis me le rend très bien. Au début, j’ai commencé à pratiquer le tennis et le badminton pour imiter ma soeur aînée. Mais j’étais plus passionnée par le tennis à tel point de décider de me concentrer à cette discipline. A l’âge de 15 ans, j’ai commencé à réaliser de bons résultats en junior dans mon club Ahli. Et pour développer mes compétences, je passais l’été en Espagne pour m’entraîner avec mon entraîneur actuel, l’Espagnol Justo Gonzalez Martinez. Après l’obtention de mon bac, j’ai commencé à étudier la médecine sportive à l’Université de Pepperdine à Malibu Californie aux Etats-Unis. Et durant mes années d’études, j’ai réalisé de très bonnes performances aux Championnats universitaires des Etats-Unis, lors desquels j’ai atteint le stade des demi-finales. Ce n’est qu’en 2018, précisément après avoir terminé mes études universitaires, que j’ai commencé ma carrière professionnelle. Au début de l’année 2019, je n’étais pas encore classée, mais c’était également la même année où j’ai commencé à briller en remportant la médaille d’or en simple lors des Jeux africains du Maroc qualificatifs pour les JO de Tokyo. J’ai décroché aussi l’or en double et par équipe. J’étais aussi la première Egyptienne à participer aux tours qualificatifs de l’Open d’Australie. J’étais également la première Egyptienne à entrer dans le top 200 au classement mondial de tennis.
— Quels sont vos projets pour la période à venir ?
— Ce succès me rappelle comment l’objectif final est encore loin et combien il faut encore travailler. A chaque étape passée, il faut regarder la suivante et refixer un nouvel objectif. Mon entraîneur espagnol est assez sévère sur ce point-là. Au niveau d’entraînement, je continuerai mes entraînements avec mon entraîneur espagnol pour bien me préparer et performer aux JO de Tokyo. Bien sûr, je vais réviser avec lui mes techniques de jeu à Roland Garros pour travailler mes points faibles et développer mes points forts. J’aspire aussi améliorer mon classement mondial pour atteindre le top 100.
— Comment évaluez-vous le niveau de tennis égyptien ?
— Je pense que le tennis égyptien a évolué ces dernières années. Il y a de nombreux joueurs et joueuses de tennis qui ont intégré le top 200, comme Mohamad Safwat et d’autres jeunes qui ont intégré également le classement mondial junior. La fédération fait de son mieux pour aider les tennismen égyptiens à progresser et à atteindre un niveau professionnel. La fédération organise depuis 2013 le Championnat international de Charm Al-Cheikh, l’un des tournois Future, afin d’aider les joueurs à récolter un bon nombre de points sans se déplacer à l’étranger. Mais le manque des moyens financiers reste un handicap. Dans mon cas, c’est mon père et mon club Ahli qui ont assumé une grande part de mes frais de déplacements et d’entraînement pour atteindre ce niveau. Je suis sûre que les joueurs égyptiens peuvent atteindre un niveau international si on leur donne les moyens.
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