Al-ahram hebdo : Vous êtes l’un des meilleurs joueurs de l’histoire du football saoudien et l’un des footballeurs saoudiens les plus expérimentés dans les domaines technique et tactique. Pourtant, vous n’avez pas travaillé dans l’entraînement ou dans la direction technique. Pourquoi ?
Nawaf Al-Temyat : Je n’avais pas le choix. Avant d’arrêter ma carrière de football, je me suis gravement blessé au genou et j’ai subi sept opérations. J’étais incapable de devenir entraîneur ou d’assister à des entraînements, puisqu’il ne faillait pas prendre le risque de me blesser de nouveau au genou. J’ai alors travaillé dans l’analyse des matchs de football à la télévision. L’expérience que j’ai acquise dans les domaines technique et tactique en travaillant dans l’analyse des matchs a été bien plus grande que celle que j’aurais acquise si j’étais devenu entraîneur. Dans les studios, j’ai épaulé des grands experts de football, comme José Mourinho et Arsène Wenger. Les discussions avec eux ont enrichi mes connaissances et m’ont donné une grande expérience. Après de longues années de travail au Qatar, j’ai décidé, à la fin des matchs de la Ligue des Champions d’Europe en 2017, d’arrêter le travail à la télévision et de rentrer dans mon pays pour travailler au profit du développement du football, et ce, dans le cadre de la Vision 2030 de l’Arabie saoudite. J’ai alors lancé un grand projet, soit la création d’une grande académie sportive saoudienne, qui portera mon nom et aidera beaucoup le développement du sport saoudien. La première phase du projet s’achèvera en 2019 et il y aura un grand centre médical. Quelques jours après mon retour en Arabie saoudite, j’ai aussi été désigné membre du Comité de développement du football saoudien. Et récemment, j’ai été nommé vice-président de la Fédération saoudienne de football. J’ai ainsi commencé mon travail dans le domaine de l’administration et de la gestion du sport. L’administration sportive est devenue le moteur du développement du sport en général et du football en particulier. Sans une bonne gestion, le football national ne pourra jamais se développer. Je suis en ce moment en Egypte pour assister à un programme de management sportif animé par le Centre International d’Etude du Sport (CIES) en partenariat avec la FIFA et l’Université du Caire. Le sport est devenu une science. Une bonne équipe ne repose pas seulement sur le talent de ses joueurs, mais aussi sur une bonne gestion. Sans une bonne gestion et une bonne planification, les organisations sportives ne peuvent pas réussir. Même les joueurs de football doivent avoir de bons agents pour bien gérer leur carrière. Les joueurs de football sont d’ailleurs devenus des modèles à suivre pour les jeunes supporters, pas seulement sur le terrain, mais surtout en dehors du terrain. Par exemple, la star égyptienne Mohamad Salah est l’idole de milliers d’enfants et de jeunes arabes. Ils imitent Salah, non pas seulement dans sa façon de jouer, mais aussi dans sa façon de se coiffer et de se comporter. L’influence d’un grand joueur comme lui est énorme, en Egypte, mais aussi en Arabie saoudite et dans tous les pays arabes.
— Avez-vous des fans de Salah chez vous en Arabie saoudite ?
— Bien sûr. Mohamad Salah a des fans en Arabie saoudite. Il a des fans dans le monde entier. D’après moi, la clé de la réussite de Salah ne réside pas seulement dans sa bonne performance sur le terrain, mais aussi dans sa simplicité en dehors du stade. Il est simple dans sa façon de parler, de s’habiller et de se coiffer. Même après être devenu un grand et riche footballeur, Salah n’a pas oublié les pauvres et il fait souvent des dons de millions de L.E. à des instituts de charité. En Arabie saoudite, nous aimons beaucoup Salah et nous lui souhaitons bonne chance pour tous ses matchs, sauf pour son match contre l’Arabie saoudite au Mondial (sourire).
— En parlant du Mondial, comment l’Arabie saoudite se prépare-t-elle ?
— Tout d’abord, la qualification de l’équipe nationale saoudienne pour la Coupe du monde témoigne de l’évolution du football au cours des dernières années dans tous les domaines. Grâce au grand support du prince Mohamad bin Salman, la Fédération saoudienne de football a mis en place un plan de développement pour le football saoudien. Pour rendre ce plan efficace, elle a pris beaucoup de décisions, qui ont pour objectif l’amélioration du niveau technique des clubs pour bien servir le football saoudien en général et l’équipe nationale en particulier. Par exemple, la fédération a décidé d’augmenter le nombre de joueurs étrangers dans chaque club du Championnat saoudien, qui passe de 4 à 6 joueurs. Cette décision a pour objectif d’augmenter le nombre de joueurs saoudiens qui évoluent à l’étranger. Ils vont ainsi acquérir de nouvelles expériences en jouant dans d’autres championnats, avec d’autres cultures footballistiques. De même, le fait d’avoir de grands entraîneurs comme l’Argentin Ramon Diaz, entraîneur d’Al-Hilal et ancien entraîneur de Puka Junior, River Plate et de l’équipe nationale du Paraguay, augmente sans aucun doute le niveau technique des compétitions. Le fait d’avoir de grands joueurs a amélioré le niveau technique du championnat. Je pense notamment au Brésilien Carlos Eduardo de Oliveira Alves, ancien joueur des grands clubs de Porto et de Nice, et au milieu défensif portugais Ricardo Machado, ancien joueur du club Dinamo Bukarest. Il y a aussi de bons joueurs arabes qui évoluent au Championnat saoudien, comme le Syrien Omar Al-Somah, et de nombreux joueurs égyptiens.
— Pourquoi les joueurs égyptiens sontils de plus en plus demandés par les clubs saoudiens ?
— Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, le football égyptien a beaucoup évolué et le niveau technique des joueurs égyptiens s’est amélioré de façon remarquable. Des joueurs comme Ahmad Al-Cheikh, Mahmoud Kahraba, Mohamad Abdel-Chafi, Mahmoud Chikabala, Moemen Zakariya et Essam Al-Hadari sont des stars dans leurs clubs saoudiens. En plus, les joueurs égyptiens sont plus flexibles que les joueurs européens et brésiliens dans leurs déplacements. En effet, un joueur brésilien mettra beaucoup plus de temps pour aller jouer un match international au Brésil avec son équipe nationale qu’un joueur égyptien. De plus, les Egyptiens s’adaptent vite aux clubs saoudiens et il y a une grande communauté d’Egyptiens qui viennent dans les stades pour encourager les joueurs égyptiens lors des matchs du championnat, ce qui augmente le nombre de supporters.
— Vous dites que le niveau du football égyptien a beaucoup évolué. L’Egypte et l’Arabie saoudite seront dans le même groupe, avec la Russie et l’Uruguay, lors du Mondial …
— (Rire) Oui, c’est pourquoi j’ai dit qu’en Arabie saoudite, nous souhaitons bonne chance à Mohamad Salah pour tous ses matchs, sauf pour celui contre l’Arabie saoudite au Mondial. Sans doute, la mission de l’Arabie saoudite et de l’Egypte ne sera pas facile, car la Coupe du monde regroupe les meilleures équipes de la planète. Le pays qui se qualifie pour le Mondial ne doit pas craindre les noms de grands pays comme l’Uruguay, la Russie ou n’importe quel autre pays.
— D’après vous, quelles sont les chances de l’Arabie saoudite et de l’Egypte au Mondial ?
— Il est difficile de faire des pronostics pour des matchs en Coupe du monde. Mais je pense que le résultat du premier match de l’Arabie saoudite et de l’Egypte sera très important pour le parcours des deux équipes dans la phase de poule. La mission des Saoudiens sera plus difficile que celle des Egyptiens lors du premier match. Nous allons, en effet, jouer le match d’ouverture contre la Russie — pays hôte du Mondial — et devant 81 000 supporters dans les tribunes et des centaines de millions devant leurs postes de télévision. C’est normal que les joueurs soient stressés dans un match pareil. Si nous réussissons à faire un bon résultat, à le gagner ou même à faire match nul, nous pourrons aller loin dans le Mondial. Les Saoudiens doivent se rappeler que les joueurs russes sont beaucoup plus forts physiquement, alors nous devons garder le ballon sur le terrain et éviter les duels aériens, car ils seront en faveur des Russes. Pour ce qui est du premier match de l’Egypte, contre l’Uruguay, les Egyptiens ne doivent pas craindre leur adversaire. L’Uruguay est une bonne équipe, bien organisée, mais ils ont un rythme de jeu plus lent que les Egyptiens. Si Hector Cuper réussit à réduire les espaces, à évoluer avec un plan purement défensif — avec un marquage strict pour Luis Suarez et Edinson Cavani — et à faire des contre-attaques en profitant de la vitesse de Mohamad Salah, il pourra arracher les trois points du match. Salah aura un grand rôle dans le plan de jeu des Pharaons, mais Cuper doit lui donner plus de liberté. Il doit changer sa position sur le terrain et ne pas le faire évoluer seulement sur le couloir droit. Je regarde les matchs de Salah depuis qu’il était au FC Bâle. Sa force s’est dédoublée a Liverpool, lorsque le coach allemand Jürgen Klopp l’a libéré tactiquement avec les Reds. Maintenant, Salah évolue sur les deux couloirs, derrière les attaquants et parfois, il monte pour épauler les attaquants et marque des buts. Il est, en ce moment, le deuxième meilleur buteur de la Premier League, bien qu’il ne soit pas un attaquant de pointe. Si l’Egypte arrive à faire un résultat positif au premier match face à l’Uruguay, elle sera motivée et aura de grandes chances d’aller loin au Mondial.
— C’est votre première Coupe du monde en tant que membre de la Fédération saoudienne de football, mais pas votre première participation. Est-ce correct ?
— (Sourire) Oui. C’est ma quatrième Coupe du monde avec l’Arabie saoudite. J’ai participé en 1998, 2002 et en 2006. Mon premier match était à l’âge de 21 ans, contre l’Afrique du Sud, en 1998 en France, sous la direction du grand coach brésilien Carlos Alberto Parreira. C’était le 24 juin 1998 et nous avons fait match nul 2-2. Nous avions mené 2-1 jusqu’à la dernière minute du match, avant que Bartlett n’égalise le score grâce à un pénalty. De 1998 à 2002, j’étais titulaire à l’équipe nationale. J’ai remporté la Coupe d’Asie des clubs champions avec mon club Al-Hilal en 2000, j’étais finaliste de la Coupe d’Asie en 2000 avec l’Arabie saoudite et j’ai gagné, la même année, le prix du meilleur joueur de football en Asie et du meilleur joueur arabe. Mon plus mauvais souvenir est notre large défaite contre l’Allemagne, 0-8, en Coupe du monde 2002. J’ai joué mon dernier match en Coupe du monde lors du Mondial 2006, contre l’Espagne. C’était le 23 juin 2006. Nous avons fait un bon match contre l’Espagne, malgré la défaite 0-1. J’espère que mon meilleur souvenir en Coupe du monde sera en Russie en 2018, mais cette fois en tant que vice-président et non en tant que joueur. Nous possédons une bonne équipe. Si les joueurs se concentrent bien et que nous arrivons à faire un résultat positif au match d’ouverture, nous aurons de fortes chances de nous qualifier pour le deuxième tour.
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