Mercure à l’aplomb de la Grande Pyramide de Chéops, Vénus à l’aplomb de Khéphren et Saturne à l’aplomb de Mykérinos, la rumeur dit que les trois planètes devraient s’aligner au-dessus des trois Pyramides de Guiza le 3 décembre 2012. Une photo truquée publiée sur les réseaux sociaux représentant ce phénomène a débridé l’imagination des internautes, qui en ont notamment déduit que la construction et l’emplacement des Pyramides étaient liés à l’alignement de ces planètes. L’interprétation fantasque a poussé les astronomes à étudier de près la question. Quant aux égyptologues, ils la refusent tout simplement. L’histoire a commencé il y a un an et demi, précisément en avril 2011, quand le géophysicien Charles Marcello, l’un des auteurs du blog.world-mysteries.com publie une recherche intitulée « 2012 and the Pyramids at Giza … » (2012 et les Pyramides de Guiza). Il y fournit une explication détaillée du fait que cet alignement planétaire correspond à la disposition des trois grandes Pyramides. « Cette convergence planétaire ne se produit que tous les 2 737 ans », rapporte-t-il dans son étude. Il se base sur la position des salles intérieures de la Grande Pyramide qui, écrit-il dans sa recherche, « semblent être pointées vers d’autres étoiles dans le ciel nocturne ». Selon lui, sa découverte explique que les Pyramides ont été construites pour commémorer ou avertir d’un temps spécifique marqué par cette convergence planétaire. La position des planètes pourrait ainsi être utilisée comme une horloge idéale, qui marquerait une date dans le temps (passé ou futur) pouvant être reconnue par des êtres intelligents quelle que soit la langue qu’ils parlent. « Le 03/12/2012 : Mercure, Vénus, Saturne et les Pyramides de Guiza seront réunies », conclut Charles Marcello. Cette étude est enrichie de plusieurs photos, parmi lesquelles la fameuse photo qui circule sur les réseaux sociaux.
Examens détaillés
La publication de cette recherche a suscité la perplexité des experts en astronomie. Tandis que quelques-uns l’ont purement et simplement rejetée, d’autres ont préféré se livrer à un examen approfondi. L’astronome Phil Plait rapportait ainsi dans son blog Bad astronomy blog (le blog de la mauvaise astronomie) du magazine Discover, que la photo en question est un tour d’illusioniste : « Déjà composée à travers le programme Photoshop, cette photo a été prise d’un faux angle. Elle a été prise du sud-ouest. Or, pour voir l’alignement des planètes, elle aurait dû être prise du nord-ouest des Pyramides ». Les trois planètes ne seront en outre pas strictement alignées, et cet alignement ne sera pas horizontal. Le professeur Plaint va, quoi qu’il en soit, saisirl’occasion et se rendra sur le plateau de Guiza pour observer le phénomène ... Il fait cependant remarquer que l’observation sera rendue difficile par la pollution et la brume qui couvrent le ciel du Caire. Si le professeur Plait a succinctement fait part de son avis sur le phénomène, l’astronome égyptien Mossallam Chaltout, professeur des recherches solaires et spatiales à l’Institut national des recherches astronomiques et géophysiques de Hélouan et adjoint du directeur de l’Association des sciences de l’espace et de l’astronomie, a mené une étude plus profonde. Il indique que ces planètes se sont déjà alignées en 2005 : « Mais cet alignement n’avait aucun lien avec les Pyramides ». Chaltout, après avoir terminé l’examen de ce phénomène en utilisant des programmes sophistiqués, souligne que « 95 % de la perpendicularité (c’est-à-dire le fait d’avoir une planète à l’aplomb du sommet d’une pyramide) des trois planètes est illusoire ». Quant aux 5 % restant, ils pourraient éventuellement permettre de voir un alignement. Mais au grand dam des internautes, il indique aussi que « les planètes ne pourront pas être observées parce que le phénomène se produira pendant le jour ». Il ajoute qu’il est très simple aujourd’hui de savoir si ce phénomène s’est déjà produit depuis 5 000 ans, et que tel n’est pas le cas.
Preuves astronomiques et archéologiques
« Jusqu’à présent, nous n’avons aucune preuve archéologique d’un lien entre ce phénomène et la construction des Pyramides », affirme l’égyptologue et préhistorien, Khaled Saad. Il rappelle qu’il existe bien un lien entre la position des Pyramides et la position des astres dans le ciel, mais pas spécifiquement avec cet alignement. « Les quatre côtés du groupe pyramidal sont conformes aux quatre points cardinaux » indique-t-il en exemple. Un avis partagé par l’astronome Achraf Chaker, chercheur de galaxies à l’Institut national des recherches astronomiques et géophysiques à Hélouan, qui certifie le rapport entre la position des Pyramides de Guiza et la constellation d’Orion, représentée par un géant qui porte une ceinture et tient une épée en main : « Les trois Pyramides forment un cercle, aligné sur la ceinture d’Orion qui est composée de trois étoiles ». L’alignement de ces trois planètes avec trois Pyramides qui ne sont elles-mêmes pas alignées est donc doublement illusoire. Le chercheur insiste aussi sur la distinction entre les mouvements des planètes et ceux des astres. Les positions des planètes se modifient sans cesse, tandis que les mouvements des étoiles sont plus lents et que le ciel astronomique est relativement stable depuis la présence humaine sur terre. Le préhistorien Khaled Saad le rejoint sur ces points. Il explique que les ancêtres des pharaons, ceux des époques préhistoriques, avaient inventé des sciences dites secrètes, dont l’astronomie. Ces sciences étaient transmises d’une génération à l’autre uniquement entre les prêtres des temples, et ce, jusqu’à l’époque gréco-romaine. Et pourtant, « nous avons des preuves archéologiques qui indiquent leur habileté dans ces sciences, et même leur capacité à suivre l’évolution des phénomènes astronomiques. Ils regroupaient déjà les étoiles en constellations et pouvaient reconnaître les galaxies », renchérit-il. C’est ce que prouvent les dessins préhistoriques de ces premiers astronomes, montrant la lune, le soleil et les astres, mais aussi montrant et prévoyant certains phénomènes et cycles astronomiques.
Ils indiquaient déjà les étoiles les plus brillantes dans le ciel, Canicule et Sirius, connaissaient les constellations d’Orion et de la Grande Ourse, sans oublier celles du Cheval, du Guerrier et Phénix et bien d’autres. Saad précise que ces étoiles et leurs mouvements ont été reliés aux différents cultes religieux et aux traditions populaires, pour composer un calendrier astronomique. Des phénomènes astronomiques réguliers, comme l’apparition ou la disparition d’une étoile, ont pu ainsi être rattachés à des événements précis, à l’instar des fêtes populaires, de la saison des moissons, de celle des plantations et des crues du Nil, liant étroitement la vie quotidienne à l’astronomie. Ces phénomènes ont aussi été utilisés pour décider des célébrations historiques, comme l’accession au pouvoir du souverain. Les mouvements des astres ont également été la matière fertile de fables et de légendes, et l’Egypte Ancienne accordait une importance extrême aux sciences, en particulier aux sciences secrètes, dont l’astronomie. « L’avenir nous livrera encore bien des secrets astronomiques, encore ignorés aux temps préhistorique et pharaonique », estime Khaled Saad.
Lien court: