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Le Caire khédivial fait peau neuve

Nasma Réda, Mardi, 21 octobre 2014

Un projet de restauration du Caire khédivial sera prochainement mis à exécution. Cinq ministères travaillent sur cette initiative pour rendre au centre-ville son aspect mythique d'autrefois.

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Des pancartes seront placées sur quelques bâtiments expliquant leur histoire et leur importance architecturales.

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Des pancartes seront placées sur quelques bâtiments expliquant leur histoire et leur importance architecturales.

« Paris d’Orient », ou Le Caire du khédive Ismaïl, jouit d’un patrimoine architectural unique. Mélangeant styles européen, arabe et islamique, le centre de la capitale de l’Egypte, qui en illustrait la splendeur aux XIXe et XXe siècles, est tombé dans l’anarchie et la négligence depuis des années, notamment durant les trois dernières années après le déclenchement de la révolu­tion du 25 janvier 2011. « Le centre-ville du Caire documente un patrimoine culturel qui résume une partie importante de l’histoire de l’Egypte », déclare Mamdouh Al-Damati, ministre des Antiquités. Il était donc néces­saire d’accorder une importance à cette région abandonnée.

Selon lui, il s’agit d’un grand projet visant une urgente restauration des monuments, des bâtiments et des rues du centre-ville, afin de pouvoir lui rendre son aspect original. Il s’agit d’un travail collectif impliquant plusieurs ministères, dont les plus importants sont ceux de la Culture et des Antiquités, en plus de l’Organisme national de l’harmonisation urbaine. Le gou­vernorat du Caire, quant à lui, a déjà pris l’initiative de déblayer le terrain. Juste après l’évacuation des marchands ambulants et le retour du calme au centre-ville, il a com­mencé à repeindre d’une couleur sobre, mais unifiée, tous les bâtiments donnant sur la place Tahrir.

« Ce n’est pas une question de peinture, mais c’est un travail d’experts beaucoup plus compliqué », déclare Salah Zaki, ingénieur, professeur d’urbanisme et membre de l’Organisme national de l’har­monisation urbaine. Le gouvernorat a aussi commencé à asphalter certaines rues et à en réparer les carrelages abîmés. Les panneaux de signalisation ont également été soignés.

« Tout le travail exécuté jusqu’à mainte­nant n’est qu’un pas en avant. On fait le nettoyage nécessaire avant de commencer le vrai travail. Notre grand défi était les mar­chands ambulants qui occupaient tous les rues et les trottoirs du centre-ville », explique Riham Arram, responsable du département des antiquités au gouvernorat du Caire. Ce n’est pas le seul problème. Ce qui inquiète l’architecte Salah Zaki c’est que 30% des bâtiments du centre du Caire, dont la mainte­nance est quasi absente, sont occupés par des bureaux d’organismes gouvernementaux. Ils ont été réutilisés comme sièges de banques ou de cabinets gouvernementaux. « Ces éta­blissements ne restaurent pas régulièrement les bâtiments qu’ils occupent, ce qui explique l’état de délabration où ils se trouvent », souligne-t-il.

Selon Arram, l’Organisme national de l’harmonisation urbaine a des idées intéres­santes pour le développement du centre-ville. « Dans le cadre de la préservation du patri­moine, des plans ambitieux de restauration et de rénovation du centre-ville ont été soi­gneusement étudiés depuis des semaines par le gouvernorat, visant une vraie renaissance du quartier historique », souligne-t-elle.

Un comité d’experts s’est réuni la semaine dernière avec le premier ministre, pour choi­sir parmi les anciens projets déjà présentés. « Le comité chargé va choisir le meilleur projet en excluant ceux qui ne conviennent plus », affirme Riham Arram.

Ce n’est pas la première fois que des projets soient lancés pour le réaménage­ment et la restauration du centre-ville. Mais aucun n’a été amené jusqu’au bout. « A mon avis, un nouveau départ devrait se baser sur le travail déjà effectué, par exemple reprendre les projets de réaména­gement des places Ramsès et Khazindar, des rues Alfi et Saray Al-Ezbekieh, entre autres, il ne faut pas partir à zéro et faire table rase de ce qui a été fait », souligne Galila Al-Qadi, professeur à la faculté d’ingénierie de l’Université du Caire, et directeur à l’Institut français de recherches pour le développement (IRD).

Les responsables au gouvernorat, lequel se chargera du financement de tout le projet, ont l’intention d’adopter une approche prudente. « Une zone sera restaurée en guise de projet pionnier, une fois terminée, l’équipe de tra­vail reproduira l’expérience dans d’autres endroits », a déclaré Riham Arram. Le gou­vernorat cherche aussi à placer dans les rues et les bâtiments importants des plaques expliquant leur valeur historique, afin de sensibiliser les habitants.

De petites initiatives ont déjà donné le ton : il y a quelques mois, le ministère des Antiquités a restauré la Banque Misr, rue Mohamad Farid, tandis que la Banque du Caire a financé la restauration de la statue du grand économiste Talaat Harb, située à la place portant son nom.

« La place Ataba, à elle seule, renferme plus de 20 monuments », dit Mahmoud Abbas, directeur du secteur des monuments modernes au ministère des Antiquités. Une question cruciale pour le développement du centre-ville, celle de transformer Le Caire khédivial en zone piétonne. L’idée évoquée par le premier ministre est partagée par Salah Zaki. « Les gens veulent se balader tranquil­lement dans la vieille ville du Caire pour contempler ses bâtiments et son architecture unique », dit-il. L’idée est intéressante, mais son aspect pratique reste à démontre.

Le khédive Ismaïl

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Le khédive Ismaïl.

Né au quartier du Caire au palais Al-Mossafer Khana à Gamaliya en 1830, Ismaïl a été nommé par le sultan ottoman à Istanbul khé­dive de l’Egypte. Son règne a duré de 1863 à 1879. Eduqué en Autriche, Ismaïl termine ses études en France, à l’Ecole militaire. Il retourne en Egypte lors du règne de son oncle Saïd. Après la mort de celui-ci, Ismaïl le suc­cède. Sa place lui a per­mis de réaliser ses ambitions de faire de l’Egypte un pays moderne et du Caire la ville la plus belle au monde. L’urbanisation était son plus grand projet, après le creusement du Canal de Suez. Nommé le « Brave chevalier », il offre son règne à son fils Tewfiq en 1879 et meurt en 1895 à Istanbul, en Turquie.

Le centre-ville du XIXe siècle « Paris d'Orient »

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L'ancien club Mohamad Ali, actuellement club des diplomates égyptiens.

Lorsque Ismaïl est devenu khédive de l'Egypte, en 1863, le centre du Caire était en état périlleux. Ismaïl a donc entrepris une vraie révolution urbaniste. Il voulait faire du centre-ville une partie de l'Europe où il avait fait ses études. La planification et le début de ce grand projet ont duré cinq ans. En 1872, le khédive a inauguré la rue de Mohamad Ali (entre Ramsès et la Citadelle), de 2,5 km de lon­gueur. Une rue célèbre par ses bâtiments de style classique avec des arcades pour les piétons. Ensuite, il a construit l'Opéra du Caire en 1867.

Puis c'était important de se débarrasser des lacs et étangs qui causaient de graves maladies et qui s'éparpillaient au Caire. « Ismaïl était nommé Aboul-Sebae (l’homme des lions). Il a décoré l’entrée du centre-ville par quatre lions énormes, des deux côtés du pont de Qasr Al-Nil. Sur les façades de quelques bâtiments du centre-ville ou dans les rez-de-chaussée, on trouve également les têtes de cet animal féroce. Cela montre qu’Ismaïl était un homme fort et remarquable », explique Mahmoud Abbas, chef du département des monuments des époques modernes.

Ce khédive a également étendu les réseaux routiers, d’eau potable, d’électricité. La superficie du Caire khédivial était de 2000 feddans (pour 350000 habitants). « On doit être fier en passant par le centre-ville. Ismaïl ne s’était pas contenté d’importer un style urbain moderne, mais il a réussi un métissage avec les styles arabe et islamique, ce qui en fait l’originalité exceptionnelle. Des ingénieurs de plusieurs pays euro­péens, surtout les Italiens, ont contribué à réaliser ce mariage architectu­ral », dit Abbas.

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