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Misr Al-Qadima traitée avec dédain

Doaa Elhami, Mardi, 06 novembre 2012

Rien n’est fait pour inciter les touristes à se rendre à Al-Fostat. Malgré la richesse archéologique dont jouit le Vieux-Caire, aucun organisme public ne lève le petit doigt pour le mettre en valeur.

Misr
(Photos : Doaa Elhami)

« En comparant le nombre de bus touristiques qui visitent la zone d’Al-Fostat à celui qui va au Musée égyptien ou sur le plateau des Pyramides, on est écoeuré. Sans compter que, ici, leur circuit de visite ne comprend que 3 sites alors qu’il y en existe plus d’une dizaine. Les visiteurs ne se rendent qu’à la mosquée de Amr ibn Al-Ass, à l’église suspendue et au temple de Ben Ezra : un monument pour chacune des religions du Livre, et c’est tout », souligne furieusement Hani Zarif, chef de la section de l’information au Musée copte.

En plus de leur valeur religieuse, chacun de ces sites possède une valeur historique, archéologique, architecturale et esthétique unique et inédite dans le monde. Al-Fostat, qui se situe au sein du quartier de Misr Al-Qadima au sud du Caire, concentre de nombreux sites archéologiques qui offrent aux touristes une vision radicalement différente de l’Egypte.
On y dénombre 7 églises antiques, un musée copte, un souk, un centre de poterie et un musée de la civilisation en cours de construction (voir encadrés). Pourtant, Al-Fostat est délaissé par les touristes et par les guides. Viviane Fawzi, inspectrice à l’église suspendue, nous informe que le nombre de visiteurs, déjà modeste, a encore baissé en 2012 : « En octobre dernier, malgré l’instabilité politique, l’église suspendue accueillait encore quelques groupes. On ne voit plus ça aujourd’hui, et quand on voit des guides, ils sont accompagnés de 2 ou 3 touristes seulement », déplore-t-elle.
Les excursions de touristes égyptiens ont, elles, complètement cessé. Viviane Fawzi assure pourtant que les travaux de restauration suivent leur cours normal, tout en précisant que ces travaux n’ont jamais entravé les visites ni même les prières quotidiennes. Pour Hani Zarif, cette situation touristique déplorable reflète en réalité une véritable crise, dont la zone souffre depuis déjà longtemps, et à laquelle vient s’ajouter la crise qui secoue le pays depuis la révolution.
Selon Zarif, Al-Fostat est un endroit qui n’a jamais exploité son potentiel touristique malgré sa richesse et sa valeur. Il ajoute que les guides n’y accordent que très peu de temps et y emmènent généralement les groupes au terme d’une journée de visites déjà bien chargée. Epuisés, les touristes visitent les 3 sites à la hâte, parfois en seulement 30 minutes parce que le bus est resté coincé dans les embouteillages. « Que peut voir le touriste ? Et qu’est-ce qu’il va comprendre ? », s’exclame Zarif, indigné. Il estime que la visite de la zone requiert et mérite au moins une journée, alors qu’elle est traitée par les guides comme par les agences, comme un extra.
Ignorance
Le manque de temps n’est pas le seul obstacle au tourisme à Al-Fostat. Un nombre considérable de guides n’est pas en mesure de donner les explications correspondant ni aux monuments coptes, ni aux pièces que renferme le Musée copte : ils ne savent rien, ni des fresques, ni des icônes, ni des gravures, ni encore de l’emploi des couleurs dans cette tradition.
« L’art copte est un art populaire et symbolique. Les guides touristiques qui ne connaissent rien à ce sujet esquivent tout simplement la visite du Musée copte par exemple, exploitant en fait l’ignorance des touristes », déplore Zarif. Or, le Musée copte offre à ses visiteurs une richesse esthétique et archéologique rare, puisqu’il présente l’évolution de l’art copte à travers les époques depuis les débuts du christianisme. Pour combler cette lacune, Zarif avait proposé au syndicat des Guides touristiques d’enrichir leurs connaissances par des conférences sur l’art copte présentées par des experts. Mais il n’a obtenu aucune réponse.
Malgré l’importance des activités organisées par le musée, la zone est globalement ignorée et ne bénéficie de quasiment aucune publicité. On la trouve rarement sur les programmes touristiques, et le ministère du Tourisme ne lui réserve que quelques courts paragraphes sur son site Internet. « Mais personne ne l’ouvre et il n’est pas actualisé », précise Zarif.
Quant au ministère d’Etat pour les Antiquités, son projet de site Internet dédié à cette zone est, semble-t-il, tombé aux oubliettes. L’initiative récente de ce ministère, qui a créé un nouveau département du développement culturel et de sensibilisation à l’archéologie, dont la mission vise le grand public comme les touristes, pourrait à terme soutenir le tourisme à Al-Fostat.
Dalia Al-Gohari, directrice générale du département du développement culturel et de sensibilisation à l’archéologie à Misr Al-Qadima, indique cependant que « nous ne sommes concernés que par les monuments. Nous accompagnons les visiteurs pour voir en principe l’église suspendue, le temple juif et la mosquée de Amr ibn Al-Ass, et parfois les 7 églises antiques ». Ce département n’est en outre en relation ni avec le musée — qui dépend d’une autre administration — ni avec les autres sites aux alentours, à l’instar du souk Al-Fostat et du Centre de production de poterie. Si l’on ajoute à cela que la zone n’est pas mentionnée sur les cartes touristiques, la question cruciale reste : Comment les touristes peuvent-ils demander à se rendre sur des sites dont ils ne connaissent même pas l’existence ?
Manque de publicité
Al-Fostat a besoin d’une promotion touristique sérieuse afin d’attirer la clientèle considérable qu’elle mérite. Ismaïl Mohamad Ali, guide touristique, souligne qu’il faut modifier la carte touristique de l’Egypte « pour encourager les touristes à rester au Caire 3 jours au moins ».
Les autorités impliquées doivent également publier des brochures et des guides de poches qui comprennent des informations suffisantes sur la zone et ses richesses, et s’occuper de les distribuer largement. Ces brochures renverraient aux sites Internet correspondant qui comprendraient des photos et des vidéos explicites. Il serait également possible de faire la promotion de ces sites à travers la presse, écrite comme télévisuelle. Bref, tous les moyens qui sont employés à la promotion d’autres sites touristiques doivent être employés aussi pour Al-Fostat. Zarif souligne enfin qu’il faut viser à la fois les touristes étrangers et les touristes égyptiens et « encourager les citoyens à visiter leurs monuments, afin qu’ils prennent conscience des richesses historiques de leur pays ».
Cependant, un projet d’une telle ampleur ne peut se faire efficacement que s’il est mené par des autorités compétentes, ce qui suppose aussi que le ministère du Tourisme et celui des Antiquités coordonnent leur action. Mais pour l’heure, c’est le statu quo qui règne.
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