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Une basilique à l’histoire unique

Charbel Hechema , Mercredi, 08 janvier 2025

Au coeur du Caire se dresse la basilique franciscaine Notre-Dame de l’Assomption, surnommée la « mère des églises catholiques en Egypte ». Vieille de 170 ans, elle a retrouvé son éclat d’antan grâce à un impressionnant processus de restauration. Focus à l’occasion de l’Epiphanie catholique, fêtée le 6 janvier.

Une basilique à l’histoire unique
Le maître-autel est surplombé par des vitraux aux couleurs éclatantes. (Photo : Doaa Elhami )

L’Eglise Notre-Dame de l’Assomption et l’ancien bâtiment du couvent possèdent une histoire fascinante. Ils ont été construits sur un terrain ayant appartenu, quatre siècles plus tôt, au consulat de Venise. Pour y accéder, il faut traverser l’avenue bruyante et animée de Port-Saïd, encombrée par les activités commerciales du quartier agité de Moski, proche de la place Ataba, avec ses nombreux kiosques. En descendant légèrement, on aperçoit la basilique. Pour atteindre le couvent où se trouve le Centre franciscain des études orientales chrétiennes, il suffit d’emprunter une large ruelle parallèle bordée d’arbres qui sépare l’édifice de la rue principale. A l’intérieur, on découvre un spacieux couloir transformé en un petit musée où sont exposés plusieurs grands tableaux chrétiens récemment restaurés, ainsi que des figures pharaoniques.

En 1632, Giovanni Donato, consul de Venise (Bondoqiya en arabe), a offert aux Franciscains un feddan appartenant au consulat pour y construire un couvent et une église. La première église construite sur ce site date de la première moitié du XVIIe siècle. Démolie vers 1720, elle fut remplacée par une autre, restée longtemps la seule église catholique du Caire. Vers 1850, jugée trop exiguë pour accueillir les fidèles, étrangers et égyptiens, il a été décidé de la remplacer par une église plus grande.

En effet, certains coptes, éloignés de l’Eglise orthodoxe, étaient attirés par les Franciscains et assistaient à leurs prières. Par ailleurs, des Italiens, Français, Maltais et autres nationalités, souvent venus chercher refuge en Egypte en raison des troubles dans leurs pays, fréquentaient également l’église.

La première pierre de la basilique actuelle, conçue par deux moines architectes, Serafino Da Pacino et Nicolo de Malte, a été posée le 29 février 1852. Le khédive Abbas Helmi Ier contribua à l’élargissement du projet en achetant un terrain supplémentaire et en offrant un million de pierres pour sa construction.

Structure et peintures

Inaugurée en 1854, la basilique, d’une surface de 1 500 m², accueillait des fidèles de toutes les confessions catholiques. Elle est dotée d’une structure basilicale, avec une nef et quatre bas-côtés situés de part et d’autre du vaisseau central. Son clocher conique, s’élevant à 42 mètres, est surmonté d’une croix et abrite quatre cloches.


Saint Antoine de Padoue portant l’Enfant Jésus. (Photo : Doaa Elhami)

 L’abside, une niche semi-circulaire, est décorée d’une voûte hémisphérique verte ornée d’un ange à l’intersection des quatre lignes jaunes qui marquent l’intérieur de la basilique.

Derrière l’autel, un chef-d’oeuvre capte l’attention : une grande toile de l’artiste autrichien Giovanni Endler représentant l’Assomption de la Vierge Marie, portée par des anges vers le ciel, don de l’empereur austro-hongrois François-Joseph.

A droite de l’église, deux autels latéraux sont dédiés à saint François d’Assise, avec une toile représentant le saint recevant les stigmates, et à sainte Thérèse de Lisieux. A gauche, un autel honore saint Antoine de Padoue portant l’Enfant Jésus, tandis qu’un autre est consacré à l’icône miraculeuse de la Vierge Marie, mère de la divine grâce. Depuis 1949, un grand orgue à tuyaux, offert par la compagnie allemande Walker, est installé dans la tribune au-dessus du narthex de l’église.


La Pietà, Marie avec Jésus descendu de la Croix.​ (Photo : Doaa Elhami)

Couvent et Custodie

Le couvent, d’une superficie de 2 700 m², fut conçu par l’architecte Moscardelli. Relevant de la Custodie de Terre Sainte en Palestine, il est actuellement le seul en Egypte rattaché à cette institution catholique franciscaine qui, depuis le XIIIe siècle, gère les intérêts de l’Eglise catholique en Terre Sainte.

Le couvent a accueilli des figures religieuses notables au fil des siècles. En 1867, l’évêque Daniel Comboni, futur fondateur de l’église Cordi Jesu en 1880, y séjourna. En 1981, Mère Teresa de Calcutta inaugura un centre de services pour les soeurs indiennes dans une aile du couvent. Depuis 1990, les autres églises et couvents franciscains d’Egypte ont été confiés par la Custodie aux Franciscains d’Egypte.

Au début du XXe siècle, le couvent abritait une vingtaine de moines franciscains, et environ 25 000 fidèles assistaient aux messes à Notre-Dame de l’Assomption. Avant les années 1950, ce nombre dépassa les 45 000, incluant Italiens, Maltais, Autrichiens, Slaves, Français et Orientaux.


Saint François d’Assise recevant les stigmates. (Photo : Doaa Elhami)

Le couvent de Moski était alors la plus grande paroisse latine du Caire, avec trois succursales : les cathédrales Saint-Joseph au centre-ville, Notre-Dame du Mont-Carmel à Boulaq et l’église de Maadi. Les sermons étaient prononcés en italien, français, maltais et arabe. Aujourd’hui, le nombre de fidèles a considérablement diminué.

Mise à jour

A la suite des rénovations précédentes de 1929 et 1991, le père William Labib, curé de la paroisse et supérieur du couvent, a entrepris une rénovation complète du couvent, ainsi qu’une restauration minutieuse de la basilique. Ce processus, qui a duré trois ans, a permis de lui redonner toute sa splendeur d’antan. Pour cela, le père William Labib a fait appel à des spécialistes en art et en décoration afin de révéler les motifs, reliefs et ornements qui ornaient jadis l’église, recouverts depuis 1987 par une peinture monochrome. Les tableaux et les quatorze anciennes icônes du Chemin de croix ont également été restaurés.


Mamdouh, serviteur fidèle à l’église, devant sainte Rita.  (Photo : Doaa Elhami)

Cette modernisation s’est avérée essentielle, le couvent de Moski étant une source de rayonnement et un point de départ pour les confessions et ordres religieux catholiques orientaux souhaitant établir leurs sièges en Egypte. Les moines du couvent ont joué un rôle-clé dans la formation du clergé des coptes catholiques. Ils les ont aidés à se rendre en Italie pour leurs études, puis les ont soutenus à leur retour en Egypte pour fonder des paroisses. Les Franciscains ont également cédé leur belle église de Darb Al-Guéneina (rue du jardin), baptisée Sainte-Famille, aux coptes catholiques, et se sont installés dans l’église Saint-Antoine de Padoue, qu’ils ont construite à Daher.

Toujours à Moski, les soeurs du Bon Pasteur ont ouvert une école en 1845, tandis que la Congrégation des Frères des Ecoles Chrétiennes a inauguré en 1854 sa première école, Saint-Joseph, à Khoronfich. Avec l’église et le couvent, ces institutions forment un ensemble cohérent, homogène et uni. Pour l’avenir, le père William envisage d’exploiter un petit terrain appartenant au couvent pour y établir un centre culturel international.


Les airs de l’orgue à tuyaux enchantent les fidèles. (Photo : Doaa Elhami)

 Saint François d’Assise et l’Egypte

Saint François d’Assise, fondateur de l’ordre des Franciscains, a rencontré en 1219 le sultan ayyoubide Al-Malek Al-Kamel, frère aîné de Saladin, à Damiette. Le sultan lui a accordé une autorisation écrite pour prêcher en Egypte et visiter les Terres Saintes, alors sous domination égyptienne.

Plus tard, un ancien annuaire indique qu’en 1323, un frère franciscain nommé Simon séjourna au Caire pour obtenir la permission de se rendre à Jérusalem. Aux XVe et XVIIe siècles, des moines et prêtres franciscains se rendaient régulièrement en Egypte pour offrir leurs services spirituels aux fidèles catholiques, notamment aux commerçants étrangers, en particulier ceux de Venise. Ces religieux étaient souvent hébergés chez des consuls ou des commerçants et y célébraient des messes.

En 1597, un prêtre franciscain a été envoyé pour s’occuper de l’église Saints-Serge-et-Bacchus (Abou-Serga), située dans le Vieux Caire et réputée être un lieu de passage de la Sainte Famille en Egypte. Grâce aux dons des commerçants vénitiens, il est parvenu à restaurer l’église, et un couvent a été construit pour héberger les moines qui y servaient.

 Moski et son héritage

Le quartier populaire de Moski tire son nom du prince Ezzeddine Mosk, cousin du sultan Saladin. Ce quartier, réputé pour son activité commerciale, attirait un grand nombre de commerçants vénitiens.

Inauguré en 1954 par le président Mohammed Naguib, le Centre franciscain d’études chrétiennes orientales occupe une partie du couvent de Moski. Selon le père William Labib, citant le président Naguib, « ce centre représente un pont entre l’Orient et l’Occident ». La grande bibliothèque du centre abrite plus de 150 000 volumes, ainsi qu’une riche collection de manuscrits orientaux en arabe, syriaque, copte, arménien, turc et persan.

Spécialisé dans l’étude des différentes confessions chrétiennes du Moyen-Orient et de leur patrimoine religieux, historique et social, ce centre publie chaque année la revue Collectanea, qui rassemble des recherches et des documents produits par les étudiants, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, ayant accès à la bibliothèque.

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