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Alexandrie, une mosaïque architecturale

Doaa Elhami , Mercredi, 06 novembre 2024

La conférence annuelle « Journées du patrimoine alexandrin » organisée par le Centre des études alexandrines vient mettre en évidence la richesse architecturale de cette ville millénaire. Focus.

Alexandrie, une mosaïque architecturale
(Photo : Hicham Mortada)

Malgré les trente siècles écoulés depuis sa création, Alexandrie reste toujours exceptionnelle grâce à son trésor architectural abondant qui témoigne d’un patrimoine inédit. Ce patrimoine débute avec l’une des sept merveilles du monde, l’emblématique Phare d’Alexandrie de l’époque gréco-romaine, passant par les citernes, forts, citadelles et mosquées de l’âge islamique, ainsi que les bâtiments européens de la ville cosmopolite du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, jusqu’aux premières années du 2e millénaire, avec la création du mur symbolique de la Bibliotheca Alexandrina érigé en 2002.

Si le Phare d’Alexandrie, comme toute la ville gréco-romaine, était victime d’une série de tremblements de terre, il a un intérêt particulier, puisqu’il est l’une des sept merveilles du monde ancien. Erigé sous le règne de Ptolémée Philadelphe en 270 av. J.-C., par l’architecte grec Sostratos de Cnide, le phare a complètement disparu et la plupart de ses blocs de pierre ont coulé dans la mer au XIVe siècle. Et malgré tous ces siècles passés, le phare garde toujours une ambiguïté qui incite les historiens, les archéologues et les architectes à effectuer beaucoup de recherches et d’études pour la clarifier. Il illumine encore la ville côtière en inspirant les architectes pour réaliser de nouvelles oeuvres architecturales.

Les blocs de pierre ont servi à la construction du célèbre fort de Qaïtbay. « Al-Achraf Qaïtbay (1468-1496) fit construire une haute tour carrée, en réemployant les blocs qui étaient amoncelés sur le terrain », retrace l’archéologue et architecte du CEAlex Kathrin Machinek dans son article « 2 citernes hypostyles dans le fort de Qaïtbay ». Le sultan Qaïtbay a installé une enceinte protective pour cette tour et l’a fortifiée en l’équipant de quatre canons qu’il avait achetés des Vénitiens. Pour elle, l’architecture militaire avait une grande importance aux époques mamelouke et ottomane à Alexandrie. Les fortifications et les élargissements successifs du fort de Qaïtbay l’indiquent.


L’immeuble d’Aguillon, oeuvre d’Antonio Lasciac. (Photo prise des écrits d’Ezio Godoli) 

Un patrimoine islamique toujours présent

Avis partagé par Tamer Zaki, inspecteur d’archéologie au ministère du Tourisme et des Antiquités qui dénombre une série de forts distribués partout dans la ville côtière. Citons, à titre d’exemple, les forts de Kosa pacha à Abou-Qir, Al-Yousr à Qabbari, Al-Nahhasine à Challalat. « Les murailles qui entouraient la cité font partie de l’architecture défensive militaire, ainsi que les tours est et ouest de la ville », reprend l’archéologue, assurant que le patrimoine architectural islamique à Alexandrie est aussi présent jusqu’à aujourd’hui par les édifices civils, à l’instar du caravansérail Abdel-Baqi Al-Chourbagui, érigé en 1757 au quartier turc près de la place Manchiya, qui fonctionne jusqu’à maintenant.

Il y a également le bain public Al-Masry, situé à Mina Al-Bassal, qui est le seul et dernier bain public encore présent d’un total de 4 000 disparus. Parmi les bâtiments civils de l’époque islamique surgissent aussi les citernes qui nourrissaient toute la ville de l’eau potable. Celles d’Ibn Al-Nabih à Sultan Hussein, Al-Nabahna à Kom Al-Dekka, Kom Ismaïl à l’hôpital Dar Ismaïl, Ibn Battouta, Al-Bab Al-Akhdar, Al-Bosseiri, et un groupe de citernes au sein de la forteresse de Qaïtbay en sont l’exemple par excellence. « Jusqu’à maintenant, on peut trouver les vestiges d’une ou deux citernes. Ces citernes étaient remplies de l’eau du canal Chedia, l’actuel Mahmoudiya et ses branches qui s’écoulaient sous les murailles de la cité et ses rues. Il y avait des citernes générales qui versaient l’eau aux autres secondaires plus petites, ainsi que les citernes appartenant aux sultans qui représentaient le stock stratégique de la ville », souligne l’inspecteur. Ces citernes étaient soumises aux opérations de nettoyage et de préservation. D’ailleurs, l’architecture religieuse prédomine durant l’époque ottomane.

Toute une série de mosquées ottomanes, dressées dans le quartier turc, qui est actuellement celle de la place Manchiya et ses environs. De celles-ci, citons à titre d’exemple celles de Abdel-Baqi Al-Chourbagui et Ibrahim Terbana datée de 1684, Al-Bosseiri et Anja Hanim. « La base du minaret de la mosquée Ibrahim Terbana se compose de deux colonnes de granit et de chapiteaux dont l’un est gravé d’une tête humaine. Ces éléments architecturaux sont dérivés des vestiges des temples gréco-romains ou des anciennes églises », renchérit Zaki.


L’immeuble Venice, témoin du tournage du film Miramar. (Photo : Tamer Zaki)

 Planification respectée

Selon lui, la planification de la cité était respectée tout au long de l’histoire alexandrine, notamment à l’époque mamelouke comme l’indique le document d’Al-Maqdesi, daté de l’époque du sultan Qaïtbay (1468-1496) qui a mis les règlements de la construction, de l’altitude des bâtiments et de leur alignement régulier, les couloirs qui séparent les édifices, ainsi que les larges rues. Le sort de tout bâtiment qui ne respecte pas ces règlementations était la destruction sous les ordres du sultan en personne. Ce système était respecté à Alexandrie, même pendant le règne de la famille alide, grâce à la loi Ortega d’Alexandrie. Ce respect ferme de la planification réalisée durant plusieurs siècles reflète la persistance du patrimoine architectural alexandrin, notamment pendant le règne de la famille alide.

A cette époque, Alexandrie était le carrefour de plusieurs nationalités et religions, elle connaissait des activités variées, notamment économiques, comme la Bourse et le commerce. Une telle ambiance prospère a donné naissance à un nombre infini d’édifications composant une mosaïque architecturale magnifique. De cette oeuvre surgit le bâtiment Venice, dressé sur la corniche alexandrine. Ses propriétaires sont les commerçants de textile, Farah et Sélim. « Erigée en 1929, la façade de cette construction est l’oeuvre de l’Italien Giacomo Alessandro Lorea », souligne l’historien et expert en théorie architecturale Ibrahim Maarouf. Il explique que le style architectural de cet édifice est divisé en deux. Alors que la partie inférieure se compose d’appartements, la supérieure est inspirée du style architectural des bâtiments de la ville italienne Venise. « C’était le lieu de tournage du film Miramar de l’écrivain mondial Naguib Mahfouz », renchérit l’expert, ajoutant que le spectateur remarque dans l’une des scènes du film la pâtisserie « Délice » près du bâtiment Venice. Vu sa beauté architecturale, la façade a été choisie comme étant la plus belle de l’année 1929.

Un deuxième bâtiment d’une importance particulière se distingue dans cette mosaïque architecturale, c’est celui de la résidence de la Fondation Al-Ahram dressée à la croisée des rues Al-Nabi Daniel et Fouad. C’est l’édifice de la famille Aguillon, planté vers les années 80 du XIXe siècle. « C’est l’oeuvre de l’Italien Antonio Lasciac, qui a embelli la façade avec des colonnes réalisant alors le style architectural néo-classique », indique l’expert, expliquant que l’édifice a été soumis à des opérations de modification à plusieurs reprises. Néanmoins, le bâtiment garde toujours sa beauté architecturale.


(Photo : Mohamad Al-Banna)

Un mur qui résume l’Histoire

Tous les styles architecturaux alexandrins se sont réunis harmonieusement dans le mur emblématique de la nouvelle Bibliotheca Alexandrina. Selon Hicham Mortada, directeur du secteur de l’ingénierie de la Bibliotheca Alexandrina, la superficie du mur est de 6 000 m2. De granit gris, dérivé des carrières d’Assouan, ce mur pèse 2 400 tonnes et se compose de deux parties, dont l’une est à la surface et l’autre au-dessous de la terre. « Ce mur est gravé de 4 000 signes couvrant toute la culture humaine », souligne Ahmed Mansour, directeur du Centre des écrits et des manuscrits à la Bibliotheca Alexandrina, expliquant que ces signes varient entre anciennes écritures, signes musicaux ou symboles pour les sourds-muets, et même des graffitis rupestres datant de plus de 10 000 années. Pour lui, ce mur, réalisé par l’artiste néerlandaise Jorunn Sans en coopération avec le sculpteur suédois Christian Plystad, est créé pour assurer que ces 4 000 signes reflètent l’idée selon laquelle la Bibliotheca Alexandrina est une réflexion de la culture au monde entier, révélant le symbole lumineux du Phare d’Alexandrie, thème de la conférence « Journées du patrimoine alexandrin 2024 ».

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