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Récit d’une fabuleuse équipée dans le Delta

Nathan Le Guay , Samedi, 31 août 2024

Un groupe d’étudiants francophones au Caire s’est engagé dans une course à travers le Delta, traversant campagnes et villages à pied, en autostop, à microbus ou même à dos d’âne, dans l’espoir de remporter de fabuleuses récompenses. Témoignage.

Récit d’une fabuleuse équipée dans le Delta

 Nous étions trois au départ, mais par un prompt renfort, nous étions quarante en arrivant au port. Etudiants de l’Institut Français d’Egypte (IFE), avec 500 L.E. en poche, un sac à dos et un arabe approximatif, nous avions décidé de nous lancer dans une course de 24 heures dans le Delta, le Masr Express.

Le principe est simple : Partir du Caire pour parcourir le Delta, en microbus ou en autostop, en passant par un maximum de villages pour arriver à la fin à notre destination. Chaque village rapporte des points : il nous suffit d’envoyer au jury une photo de l’équipe, avec un habitant si possible (pour les points bonus), et une localisation GPS. Taxis et Uber sont interdits, il faut se débrouiller. L’épreuve commence à 18h le jeudi soir et se termine à 18h le lendemain : l’équipe qui a parcouru le plus de villages gagne. L’idée ce n’est pas tant d’arriver premier que de marquer des points.

Quant à la destination, elle est tenue secrète : nous savons seulement qu’il s’agit d’une villa au bord de la mer. Port-Saïd, Damiette, Alexandrie, Rosette … nous avons pour seule piste des indices laissés par l’honorable jury ; messages cryptiques postés au compte-gouttes sur un groupe WhatsApp tenu strictement secret pour échapper à la vindicte de l’IFE, qui aurait sûrement condamné une entreprise aussi imprudente.

A 18h, par groupe de deux ou trois, nous nous retrouvons dans le quartier de Mounira, au sud de Saad Zaghloul, pour nous lancer dans cette aventure rocambolesque dans un environnement insolite, voire hostile pour des jeunes citadins mondialisés biberonnés aux transports en commun, la campagne égyptienne !

Nous sommes trois dans mon équipe, et décidons de prendre un microbus depuis Ramsès pour n’importe quelle ville du Delta. Nous voilà donc en route pour Tanta. Ma jambe gauche bloquée contre le siège de devant, la circulation coupée au niveau du genou pendant plus d’une heure, je pousse un soupir de soulagement quand ma coéquipière propose de descendre pour le premier village.

Nous arrivons, vers 20h30-21h, dans un café de la petite localité d’Abou-Machour pour siroter un café turc, le premier d’une longue série. De là, nous allons faire un petit tour nocturne des villages en périphérie de Tanta, qui sont assez nombreux.

L’autostop marche exceptionnellement bien, nous n’attendons jamais plus de cinq minutes pour voir quelqu’un s’arrêter. La première voiture à s’arrêter est conduite par un jeune garçon qui n’avait pas 15 ans, ni son permis de conduire selon toute vraisemblance. Très gentil au demeurant, surtout très inquiet pour notre sécurité : les rues, le soir, seraient mal famées !

Sur le moment, nous ne savions trop quoi en penser, mais nous aimerions bien sympathiser avec les habitants, dans l’espoir qu’ils nous inviteront à dîner chez eux, voire à dormir quelques heures. Cet espoir sera vite réduit à néant. Les habitants ne sont pas du tout réceptifs : ils nous regardent avec des mines incrédules, un peu circonspectes, comme si notre entreprise était une perte de temps.

Dans notre quête pour trouver un endroit où dormir, nous parvenons à monter dans l’un de ces énormes camions poids-lourd qu’on rencontre sur les autoroutes. Au fond de la cabine, nous sommes assis sur le lit du conducteur. La radio est allumée sur du Oum Kalsoum, nous lui demandons si elle est toujours aussi populaire chez les jeunes. C’est alors qu’il arrête la radio et se lance dans un solo de la cantatrice a cappella parfaitement exécuté ! On sentait les longues heures de pratique. Il tient à nous emmener jusqu’à notre destination, nous lui indiquons une localité au-dessus de Tanta où nous espérons trouver un hôtel ou une auberge de jeunesse.

Après les habituelles mises en garde contre les dangers des rues le soir de la part de notre Abou-Kalsoum, nous entrons dans la petite localité. Il est environ 1h30 du matin. Nous nous faisons rapidement interpeller par des policiers en civil, nous leur répondons que nous cherchons un endroit où dormir. L’un d’eux, un vieil homme avec un chèche et un fusil, finit par nous escorter vers ce qu’il décrit comme un fondouk (petit hôtel). Pas de chance, c’est une résidence étudiante où, nous dit-on, nous n’avons malheureusement pas le droit de rester.

Dépités, nous quittons la petite municipalité, il est bien 2h du matin. Il ne nous reste plus que le système D, autrement dit dormir dans les champs. Nous nous établissons donc dans un champ de blé qui venait d’être moissonné. Nous nous couchons donc sur des bottes de paille, contre toute attente, très confortables. Un conseil : si jamais vous dormez dans un champ, privilégiez les bottes de blé, c’est aussi bien que l’hôtel ! Evidemment à ceci près que le champ est infesté de moustiques, prévoyez donc quelque chose pour vous couvrir le visage et les bras.

Au bout du compte, nous passons une très courte et mauvaise nuit, réveillés tantôt par un chien qui passe à côté de nous, tantôt par le bourdonnement des moustiques. Au bout de quelques heures, nous attrapons un toktok qui accepte de nous prendre sans payer. Il nous amène 500 mètres plus loin dans une station-service avec un café où nous pouvons comater quelques heures.

Vers 8h, nous reprenons la route, en direction du nord, vers le centre du Delta. Nous passons une matinée somme toute plutôt tranquille. Un couple accepte de nous prendre sur sa carriole, mais nous descendons assez vite, avec le sentiment coupable d’avoir rendu à la pauvre bête de trait qui tirait notre équipée la tâche encore plus difficile.

A Qotour, village de quelques dizaines de milliers d’habitants (il ne figurait pas dans la liste des destinations interdites, donc ça compte !), nous attrapons un microbus pour aller vers le prochain village. Lorsque nous montons, le conducteur nous demande : « Vous allez chez les coptes c’est ça ? », « Oui, oui, tout à fait ». Nous ignorions totalement qu’il y avait des coptes là-bas. En passant le portail de l’église, nous sommes immédiatement accueillis par une femme qui nous invite à déjeuner. L’église est pleine, tous les regards sont tournés vers nous. Ils nous assoient à une longue table dans une cour à côté, presque comme s’ils nous attendaient. L’une des paroissiennes nous montre le pigeonnier de la paroisse, puis nous offre trois icônes avant notre départ.

Le père abbé demande expressément à l’un des paroissiens de nous amener en toktok au prochain village, qui se situe dans la périphérie de Kafr Al-Cheikh. Là-bas, nous sommes débarqués dans la communauté copte locale, qui dispose d’une grande église. C’est un paroissien qui nous fait la visite, nous montrant une pierre que le Christ encore bébé aurait foulé lors de la fuite en Egypte. Nous repartons assez rapidement, il est déjà 14h30 et le temps commence à être compté, au grand dam du paroissien, qui espérait que nous prendrions le temps de passer par la boutique.

Hélas, nous devons repartir, et reprenons le même toktok qui nous dépose à l’entrée de Kafr Al-Cheikh, à côté de l’université. Nous nous posons dans un café pour tenter de percer le mystère de l’emplacement de la villa. Jusqu’à présent, nous n’avons reçu que quelques indices épars : nous échafaudons des théories très compliquées, voire assez fumeuses.

C’est alors que nous recevons un ultime message : une photo de la forteresse de Qaïtbay. Alexandrie ! Nous montons dans le premier microbus : il est entre 15h30 et 16h. A notre arrivée, nous nous mettons à courir pour parvenir à la villa, chaque minute de retard représente des points en moins ! Finalement, nous parvenons à une immense propriété. Il est 18h40. Ouf, le retard n’est pas trop conséquent.

Une fois arrivés, quelle claque ! Un manoir immense, une piscine et un jacuzzi ! Nous nous attendions à être dans les derniers, nous constatons que nous sommes deuxièmes. Nul besoin de préciser que les jurés ne nous ont jamais dit qui avait remporté le Masr Express. Dieu seul sait s’ils ont fait les calculs. Pour l’heure, il ne nous reste plus qu’à faire la fête.

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