Depuis la période pré-islamique, la Kaaba, lieu le plus sacré pour les musulmans,est recouverte d’une étoffe, la kiswa. Cette étoffe se faisait de plus en plus précieuse, en soie brodée d’or. C’est l’Egypte qui a été pendant longtemps chargée de l’envoi annuel de la kiswa et de la clé de la Kaaba. La kiswa était transportée sur un palanquin à dos de chameau qui accompagnait la caravane des pèlerins se dirigeant vers La Mecque. Le départ du Caire de ce palanquin donnait lieu à une grande procession, connue sous le nom du « mahmal ».
L’historique de cette procession reste disputée entre historiens. Al-Maqrizi dit que le premier mahmal (sous sa forme historique connue) qui partit d’Egypte date de l’époque mamelouke, précisément du règne du sultan Al-Zaher Baybars. D’autres estiment que c’est à partir du règne du sultan ayyoubide égyptien Al-Malek Al-Saleh Nagmeddine Ayyoub (sultan depuis 1240) que la kiswa est traditionnellement fabriquée chaque année en Egypte et emportée par une caravane jusqu’à La Mecque juste avant le pèlerinage.
Mais d’autres historiens affirment que l’histoire du mahmal a commencé en 645 de l’hégire (1248 de l’ère chrétienne), année où la reine Chagaret Al-Dorr fit le pèlerinage dans son palanquin. D’autres historiens remontent l’historique du mahmal à une date encore ultérieure : en l’an 13 de l’hégire, quand le calife des musulmans, Omar ibn Al-Khattab, a importé une kiswa d’Egypte, faite de qubbati, un tissu très épais. Bien que les historiens hésitent à préciser la date du début historique de la procession du mahmal, ils assurent tous que la kiswa provenait d’Egypte.
Témoignage historique
La procession du mahmal annonçait le départ de la caravane égyptienne pour le pèlerinage. Elle traversait Le Caire deux fois par an : la première au mois de ragab et l’autre en chawal. « Le premier tour annonçait aux gens que la route du pèlerinage était sûre et c’était le signal qui appelait aux préparatifs du départ. Les gens se réunissaient au Caire. A la mi-chawal, le sultan lui-même assistait au départ du mahmal. A ce moment-là commençait la seconde procession du mahmal. Il était précédé des tambours et des trompettes. Il était accompagné des juges du mahmal, de l’émir du pèlerinage et des personnes effectuant le voyage », précise l’historien Ibn Iyas, dans son livre Badaée al-zohour fi waqaea al-dohour, qui est une histoire de l’Egypte sous les derniers mamelouks et les premiers ottomans. D’ailleurs, la caravane du hadj était accompagnée de pèlerins pauvres qui voyageaient à pied et qui se nourrissaient grâce aux dons des autres pèlerins plus aisés.
Le départ du mahmal était aussi l’occasion d’une fête populaire célébrée par de joyeuses festivités dans les rues du Caire. Ces défilés duraient des heures, et parfois toute la journée. La procession partait souvent de Bab Al-Nasr, l’une des quatre portes du Caire islamique et qui subsiste jusqu’à nos jours, vers Birkit Al-Haj, point de départ du voyage vers La Mecque. En 1846, l’écrivain et poète français, Gérard de Nerval, décrit la procession du mahmal dans les rues du Caire dans son livre Le Voyage en Orient : « (...) puis vient le Mahmal, se composant d’un riche pavillon en forme de tente carrée, couvert d’inscriptions brodées, surmonté au sommet et à ses quatre angles d’énormes boules d’argent ». Le mahmal fut l’une des grandes attractions religieuses de l’Egypte musulmane.
Les trajets de la procession du mahmal avaient aussi un sens politique à tel point que l’équipement du mahmal, sa préparation et la protection des pèlerins devenaient la mission principale des sultans et gouverneurs. Le mahmal était le symbole de la puissance des sultans.
A l’époque pré-islamique, les différents émirs présentèrent à la Kaaba différentes couvertures en laine, en soie et autres types de tissus et sous différentes couleurs. Le calife Al-Mamoun changeait le revêtement de la Kaaba trois fois par an. « A l’époque mamelouke, le mahmalétait l’une des principales fêtes religieuses (le départ de la caravane du pèlerinage comme son retour). Le sultan mamelouk assistait lui-même à la procession du mahmal. Quant aux dépenses sur le mahmalet sa préparation, elles étaient engagées par l’Etat, par les émirs ainsi que par des dons des Egyptiens aisés. Tout le monde dépensait avec générosité », indique Ibrahim Hélmi dans son livre Al-Mahmal.
L’Arabie prend le relais
La fabrication et le travail manuel de la kiswa en Egypte et la tradition de fêter son départ par le mahmal se sont maintenus jusqu’en 1926, date à laquelle le roi de l’Arabie saoudite, Abdel-Aziz AlSeoud, décida la construction à La Mecque d’une usine pour fabriquer la kiswa. L’usine sera fermée en 1937 et l’Egypte continua à envoyer la kiswa. Mais, dans les années 1960, le roi Fayçal ibn Abdel-Aziz Al-Saoud ordonne encore une fois la construction d’une nouvelle usine en Arabie saoudite. De ce fait, cette coutume disparut de l’Egypte.
« De nombreux mouleds, même les mouleds coptes de Haute-Egypte, ont imité cette tradition, peut-être à cause de son parfum bédouin, et plus probablement parce que c’est en Haute-Egypte que se formaient les caravanes (du hadj) qui passaient par Qosseir et la mer Rouge. Jusqu’à présent, alors même que la véritable procession du mahmala disparu depuis longtemps du pèlerinage égyptien vers La Mecque, on voit des palanquins promener à dos de chameau lors de la procession finale des mouleds », souligne Catherine Mayeur-Jaouen, dans son étude Les processions pèlerines en Egypte : pratiques carnavalesques et itinéraires politiques, les inventions successives d’une tradition.
Les anciennes kiswas sont coupées en morceaux de tailles diverses et offertes en tant que souvenirs aux personnes importantes, aux grandes mosquées du monde et à des organisations islamiques. Quelques morceaux de la kiswa ancienne servent également à décorer des résidences gouvernementales saoudiennes ou les ambassades saoudiennes aux différents pays du monde. En 1982, au nom de la communauté musulmane, l’Arabie saoudite en a offert une partie à l’Organisation des Nations-Unies lors d’une cérémonie à son siège. Cette pièce est exposée aujourd’hui dans la salle de réception des délégués.
En effet, la kiswa actuelle est un chef-d’œuvre artistique qui nécessite la collaboration des spécialistes en plusieurs disciplines : le tissage, la teinturerie, la broderie à la main et la sérigraphie. Cette kiswa, de 14 m x 47 m, coûte environ 17 millions de riyals saoudiens. Elle pèse environ 700 kg (670 kg de soie pure et naturelle utilisée pour sa fabrication et environ 120 kg d’or et 50 kg d’argent pour les transcriptions qui la décorent).
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