L’annonce faite en juillet dernier par le ministère du Tourisme et des Antiquités d’une nouvelle découverte archéologique sous les eaux du Nil à Assouan a suscité la polémique et a déclenché de nombreuses questions parmi les archéologues et le grand public. Est-ce la première mission à explorer les eaux du Nil ? S’agit-il d’une découverte inédite ? Est-il prévu de révéler d’autres trouvailles et d’obtenir de nouvelles informations sur la civilisation de l’Egypte Ancienne à la fois mystérieuse et riche ?
Il s’agit en effet de la découverte d’inscriptions révélant des noms de rois datant du Nouvel Empire et de la période tardive. Cette découverte a été faite dans le cadre d’un projet d’arpentage topographique par la mission archéologique franco-égyptienne du Conseil Suprême des Antiquités (CSA) et l’Université Paul-Valéry Montpellier. Ces inscriptions hiéroglyphiques et gravures retrouvées sous l’eau près d’Assouan montrent les cartouches et les titres de quelques pharaons du Nouvel Empire et de l’époque tardive.
« Avec cette découverte, il pourrait y avoir d’autres monuments engloutis dans les eaux du Nil susceptibles de fournir de nouvelles informations », se demandent des internautes sur les réseaux sociaux. Ces hypothèses sont toutefois réfutées par les professionnels, qui n’envisagent pas de nouvelles découvertes susceptibles d’apporter des informations inédites. « Il est impossible de trouver de nouveaux monuments engloutis sous le lac Nasser ou derrière le Haut-Barrage, car ces régions ont été les plus fouillées lors de la construction du Haut-Barrage. Une vaste campagne de sauvetage archéologique a été menée par l’UNESCO dans les années 1960 pour sauver les monuments menacés par la construction du Haut-Barrage d’Assouan en Haute-Egypte, dont les temples d’Abou-Simbel, qui ont été soigneusement démontés et déplacés à un nouvel emplacement », assure l’expert en archéologie et ancien directeur de la région archéologique d’Assouan, Nasr Salama. Il ajoute qu’en plus des temples sauvés, de petits monuments ont été découverts et sont actuellement exposés au Musée nubien.
Cette exploration subaquatique des roches a débuté en 2023 et a permis de relever de nouvelles inscriptions qui étaient inaccessibles et totalement inédites. « Ce n’est pas la première fois que l’on connaît l’emplacement de ces roches. Lors de la campagne de sauvetage archéologique des années 1960, les célèbres gravures rupestres avaient bien été identifiées autour d’un important amas rocheux, mais elles n’avaient jamais été étudiées », souligne Islam Sélim, membre de la mission de fouille et directeur général de l’administration des antiquités égyptiennes submergées auprès du ministère du Tourisme et des Antiquités. La page officielle du projet cite également que « cet important amas rocheux avait déjà été signalé, entre autres, par Vivant Denon pendant l’Expédition du général Bonaparte ».
En réalité, ce n’est pas la première fois que le fond du fleuve est exploré. Une mission présidée par le célèbre égyptologue Zahi Hawas avait commencé à explorer la région entre Assouan et Louqsor en 2008. Cette mission avait découvert les vestiges d’un bateau antique devant l’île Eléphantine, quelques blocs de pierre gravés du temple de Khnoum près d’Esna, ainsi qu’un port antique au bord de Gabal Al-Selsela. « Pour une raison ou une autre, cette mission n’a pas pu poursuivre ses travaux », reprend Sélim.
La technologie au service de l’archéologie
Lors de la première saison de la mission égypto-française, la technique de photogrammétrie a été utilisée. Cette méthode de mesure consiste à déterminer la forme, les dimensions et la situation d’un objet à partir de plusieurs prises de vues photographiques de cet objet. Cette technique sophistiquée permet de restituer géométriquement des objets en trois dimensions, à la manière de la vision humaine. « Suite à une seule plongée, nous avons pris un grand nombre de photos pour couvrir une grande partie de la région. Actuellement, le côté français réalisera une étude détaillée qui sera certainement révélée au grand public », souligne le directeur général de l’administration des antiquités égyptiennes submergées.
Plusieurs inscriptions remontant aux pharaons sont représentées sur les rochers. Ceux-ci ont régné entre le Nouvel Empire (1580-1085 av. J.-C.) et la période tardive (525-332 av. J.-C.). Amenhotep III, Thoutmosis IV, Psammétique II et Apriès y sont révélés. « De nouvelles informations sur l’époque des XVIIIe et XXVIe dynasties pourraient être révélées », estiment les responsables du projet, qui travaillent actuellement à la production de modèles 3D des gravures, en vue d’une publication scientifique susceptible de contribuer à la protection et la conservation de ces rochers.
« Le travail de la mission n’était pas facile », indique Sélim. Selon lui, la plongée elle-même représente un défi en raison de la haute densité de l’eau du fleuve. Le déplacement au fond du Nil exige des équipements spéciaux et des compétences spécifiques des plongeurs. En plus, la visibilité, à cause du limon du Nil, était une difficulté majeure tant pour la photographie que pour l’identification et la lecture des inscriptions. « En raison des cataractes et des forts courants d’eau, les chercheurs ont dû utiliser une seule main pour travailler et tenir les rochers avec l’autre », explique Sélim, soulignant également les dangers auxquels la mission a dû faire face, car le site de travail est également un trajet de croisières touristiques.
Selon l’ancien directeur de la région archéologique d’Assouan, ces inscriptions découvertes ne sont que des « tampons » ou des « empreintes » des rois de l’Egypte Antique, témoignant de leur présence ou de leur passage en ce lieu, montrant ainsi leur domination sur la région et l’extension de leur règne jusqu’à ces territoires. « Ces rochers sont robustes et peuvent supporter la pression de l’eau. En plus, les inscriptions et gravures ne portent que les noms de quelques rois », retrace Salama, souhaitant conserver ces rochers à leur emplacement d’origine et ne pas les retirer de l’eau, car ils représentent non seulement une trace des pharaons, mais aussi des éléments qui n’enrichiront pas l’histoire de l’Egypte s’ils sont déplacés.
Cependant, « la surface du site est très vaste. Nous l’avons divisé et nous allons y travailler dans les années à venir. Mais il est encore trop tôt pour connaître la prochaine étape. Il faut attendre les études de la mission de l’Université Paul-Valéry Montpellier. Extraire les pièces de l’eau ou les tailler avant de les retirer sont des options à étudier. Cela dépendra de la nécessité et du coût », estime Sélim.
Le projet franco-égyptien prévoit également, lors des saisons futures, une investigation subaquatique entre les rives est et sud-ouest de l’île de Séhel, au sud d’Eléphantine, afin de vérifier l’existence du chenal pharaonique signalé par des inscriptions datant du règne de Sésostris Ier, Sésostris III et Thoutmosis III.
« Exploiter le cours du fleuve et les trésors engloutis est un autre projet à étudier, car il est devenu plus facile grâce à la technologie moderne. La récente découverte des inscriptions pharaoniques a ouvert la porte à la poursuite du projet de Hawas pour explorer le Nil, surtout entre Assouan et Louqsor, et continuer en Haute-Egypte. C’est un projet ambitieux qui dévoilera certainement de nombreux secrets », conclut Salama.
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