Siwa, cette petite ville située à l’ouest du Nil, près des frontières libyennes, se trouve au coeur du Désert occidental « Sahara Al-Gharbiya ». Pendant très longtemps, l’oasis était oubliée. En effet, peu de personnes connaissaient son existence, même celle de la population qui y vit, les Amazighs égyptiens, était ignorée. Siwa était géographiquement isolée, sans routes y menant. Ce n’est que récemment, avec l’essor du tourisme à l’ouest du pays, que l’on a commencé à découvrir l’oasis et à documenter les mystères de cette ville bénie par les dons de la nature. De nos jours, Siwa est une destination très prisée des touristes étrangers, mais aussi des Egyptiens. L’oasis de Siwa est à la fois un lieu de détente offrant des soins médicaux et thérapeutiques, un lieu de découverte regorgeant de mythes et d’histoires cachées, et un lieu de divertissement proposant une variété d’activités aux visiteurs.
Le patrimoine culturel et historique de Siwa est exceptionnel. Les Siwis (habitants de Siwa) sont des Amazighs et non des bédouins, contrairement à ce que certains pensent. Descendants des Libou, une tribu très ancienne située entre la rive ouest du Nil et la Libye, ce sont des Berbères ayant vécu à l’époque pharaonique. La civilisation pharaonique a influencé une grande partie de la région sans chercher à effacer son identité. Cela se reflète dans les stèles, temples et architectures de l’oasis, où les Amazighs égyptiens sont distingués par deux plumes sur leurs têtes.
Les richesses naturelles de l’oasis — eaux, olives, dattes et autres — en ont fait un endroit convoité par les conquérants, y compris les tribus frontalières. Lorsque les Perses, dirigés par le roi Cambyse, envahissent l’Egypte en 525 av. J.-C., ils échouent à atteindre Siwa et à la soumettre. Selon les légendes transmises par Ahmed Dakhly, guide spécialisé dans l’histoire de l’oasis, les prêtres du temple d’Amon auraient maudit les troupes perses, les condamnant à périr dans le Sahara avant d’atteindre la ville. Hérodote a également relaté cette histoire dans son ouvrage Les Histoires, mentionnant que Cambyse avait tenté de nuire à l’oracle d’Amon, mais qu’une tempête de sable les avait ensevelis. Le mythe de l’armée perdue de Cambyse n’a pas encore été élucidé, malgré les recherches sur le terrain pour retrouver des traces. En 2009, les archéologues italiens Angelo et Alfredo Castiglioni ont découvert des restes humains et objets datant de l’époque en question, une première depuis des décennies de recherches. Néanmoins, de nombreux récits et hypothèses subsistent sur cette fameuse armée.
Escalier menant à la forteresse de Shali. (Photo : Allaa Ghanem)
L’arrivée d’Alexandre le Grand
Après les Perses, ce sont les Grecs qui ont exploré l’oasis. Aussitôt arrivé en Egypte (en 332 av. J.-C.), Alexandre le Grand rend visite à l’oracle d’Amon en 331 av. J.-C. pour se recueillir auprès des prêtres d’Amon. A cette époque, les consultations auprès des oracles étaient courantes. Selon le récit rapporté par Ahmed Dakhly, Alexandre le Grand aurait posé trois questions : deux d’entre elles ont été révélées et transmises, tandis que la dernière est restée secrète. La première question : « Qui a tué mon père ? ». Les prêtres lui répondirent : « Ton père n’est pas mort », laissant entendre qu’il était un dieu. On croyait alors que les oracles provenaient directement d’Amon, le dieu égyptien. Ainsi, Alexandre fut couronné « fils de dieu ». Le temple fut renommé « temple du couronnement d’Alexandre ». La deuxième question portait sur sa carrière militaire : « Quel est mon destin militaire ? ». La réponse fut : « Tu seras un grand roi et gouverneras le monde pendant quelques années ». Enfin, la dernière question non révélée concernait sa relation avec sa mère. Les prêtres lui auraient demandé de ne rien révéler à personne. Le récit de la visite d’Alexandre le Grand est sujet à diverses versions, mais son couronnement comme « fils de dieu » est l’élément consensuel. Le temple de l’oracle d’Amon, situé dans le village d’Aghoumi, est un lieu mystérieux rempli de mythes et d’histoires. Ce temple existe depuis plus de 600 ans av. J.-C., devenant un lieu de rencontre entre les civilisations. Son entrée est de style égyptien pharaonique et possède deux colonnes d’inspiration dorique à l’intérieur.
A la croisée des civilisations
La civilisation grecque a laissé une forte empreinte à Siwa, y compris dans la population, en raison des interactions fréquentes entre Egyptiens et Grecs, comme en témoigne l’histoire de Si-Amoun, enterré à Gabal Al-Mouta (montagne des morts). Si-Amoun, un homme fortuné d’origine grecque, s’est marié à une Egyptienne et a eu deux enfants : l’un à la peau noire et l’autre à la peau blanche. La légende veut que le dernier, attaché à la civilisation grecque et égyptienne, ait reflété cette alliance en habillant l’enfant à la peau blanche en pharaon et en lui rasant la tête, tandis que l’autre était habillé à la grecque et laissé avec les cheveux longs. La tombe de Si-Amoun, préservée, raconte cette histoire unique. Gabal Al-Mouta, située à l’est du centre-ville, est considérée comme le lieu de convergence des civilisations, incluant la civilisation romaine.
Le minaret de la mosquée antique de l’oasis. (Photo : Allaa Ghanem)
En mai 2018, une mission archéologique égyptienne a découvert un temple remontant à l’époque de l’empereur romain Antoninus Pius, datant du IIe siècle, près de Gabal Al-Mouta. D’après Ayman Achmawi, directeur du secteur des antiquités égyptiennes au ministère des Antiquités, cette découverte atteste de la présence romaine à Siwa et sur la Côte-Nord. Une stèle avec des inscriptions grecques, langue utilisée par les Romains, a été trouvée dans une tombe, rappelant que des Romains ont vécu dans la région. Peu de tombes ont échappé au pillage. La civilisation islamique est la dernière à avoir traversé la région et a laissé sa marque sans effacer les traces des civilisations précédentes. Cette civilisation est plutôt venue ajouter sa touche à ce tableau sublimé par la variété de son patrimoine. Une mosquée ancienne de plus de 1 000 ans a été érigée près du temple de l’oracle d’Amon, témoignant de la cohabitation des différentes cultures. L’islam est resté la religion prédominante dans l’oasis. Les Siwis, à la fois conservateurs et traditionalistes, sont profondément attachés aux coutumes et moeurs culturelles et religieuses. Malgré les différentes civilisations ayant marqué l’oasis, les Siwis ont réussi à préserver leur culture et leur langue amazigh, transmise principalement de manière orale.
Au coeur de la ville de Siwa se trouve la forteresse de Shali, ancienne de plus de 1 300 ans, construite comme une ruche d’abeilles pour renforcer la sécurité de la ville face aux envahisseurs, notamment de Cyrénaïque. La forteresse est un labyrinthe dont seuls les locaux connaissent l’entrée et la sortie, décourageant les intrus. Les matériaux utilisés pour sa construction, tels que la pierre de Qarchif (mélange de terre et d’eau salée), l’alluvion « tamis » et le bois de palmier, permettent de maintenir les maisons fraîches en été et douces en hiver.
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