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Des ouvriers qui ont bâti l’Egypte Ancienne

Dalia Farouq , Mercredi, 01 mai 2024

Les ouvriers occupaient une place primordiale dans la hiérarchie sociale de l’Egypte Ancienne. C’est à eux que l’on doit une part importante de la civilisation égyptienne. Focus.

Des ouvriers qui ont bâti l’Egypte Ancienne

Les ouvriers étaient un pilier fondamental de la civilisation égyptienne antique. Leur travail minutieux, leur expertise et leur dévouement ont permis la réalisation des monuments emblématiques qui continuent d’impressionner le monde jusqu’à aujourd’hui, témoignant ainsi de l’importance vitale de leur contribution à l’histoire de l’humanité. Selon Ahmed Badrane, professeur d’archéologie à l’Université du Caire, les ouvriers occupaient une place importante dans la société égyptienne, mais leur statut social variait en fonction de leur spécialisation, de leur compétence et de leur relation avec l’Etat. Certains étaient employés directement par l’Etat, alors que d’autres travaillaient dans des temples ou avec des propriétaires terriens. Ils étaient souvent spécialisés dans des domaines tels que la construction, la sculpture, la menuiserie, la poterie, et bien d’autres métiers. « La formation professionnelle des ouvriers dans l’Egypte Ancienne était transmise de génération en génération au sein des familles », souligne Badrane.

Dans son encyclopédie « L’Histoire de la civilisation », l’historien américain Will Durant indique que l’Egypte Ancienne était l’une des civilisations pionnières à connaître très tôt l’industrie et l’artisanat. Les inscriptions témoignent des métiers, des artisanats et des industries dans lesquels ils travaillaient et excellaient. « Ptah était le dieu des artistes et des artisans, croyant qu’il gouvernait leur destin et les guidait vers la vertu. Il était le patron des artisans, des ouvriers et des artistes, y compris ceux qui travaillaient les métaux, les menuisiers, les constructeurs de navires et les sculpteurs. Il existait également une classe spéciale ou un guide regroupant les travailleurs de chaque métier », précise-t-il dans son encyclopédie. « Le British Museum conserve une tablette comportant un texte enregistrant les noms de 43 travailleurs, qui représente un registre où ils mentionnaient leurs présences et leurs absences, ainsi que les raisons telles que la maladie, le sacrifice aux dieux ou la paresse », avance Ahmed Badrane.


Une stèle de la tombe du vizir de Thoutmosis II, Rekhmira, représentant des maçons en train de construire un édifice.

L’organisation et les conditions de travail

La classe ouvrière et les agriculteurs représentaient la majorité de la population. Sur les chantiers de construction, les ouvriers étaient organisés en équipes dirigées par des contremaîtres ou des surveillants. Les tâches étaient réparties de manière à maximiser l’efficacité et la productivité, avec des ouvriers spécialisés et des tâches spécifiques, d’autant plus que le travail des ouvriers était souvent physique et exigeant, notamment sur les chantiers de construction où des blocs de pierre massifs devaient être déplacés et assemblés.

De leur côté, les ouvriers connaissaient et respectaient les horaires de travail, qui étaient sacrés pour eux. Ils étaient également dévoués à leur travail, le réalisant avec une précision extrême et une grande compétence, ce qui est bien clair dans de nombreuses peintures et plein d’outils qu’ils ont laissés. Les Anciens Egyptiens se sont distingués par leur système de travail collectif. Ils ont creusé des canaux d’irrigation, construit des barrages, érigé des temples et bâti des tombes en une harmonie remarquable. Les métiers et les artisanats étaient nombreux, et grâce à ces artisans, artistes, sculpteurs et autres, qui travaillaient dans les services publics, des chefs-d’oeuvre architecturaux, tels que les édifices religieux et funéraires majestueux, ont été érigés, représentant l’une des caractéristiques essentielles de la civilisation égyptienne.


Peintres et graveurs habiles.

Les droits des ouvriers bien préservés

D’après Amer, les pharaons reconnaissaient les droits des travailleurs et leur assuraient une vie décente, comprenant un logement, des moyens de subsistance et de la nourriture, et veillaient à la présence de médecins sur les lieux de travail. « Les dirigeants de l’Egypte Ancienne reconnaissaient les droits des travailleurs en leur accordant, il y a des milliers d’années, tous les droits humains revendiqués aujourd’hui par le monde contemporain », assure Amer

Il ajoute que l’équipe d’ouvriers qui travaillait dans la construction des tombes des pharaons était composée de 40 à 60 personnes, divisées en deux groupes, chacun travaillant sur une partie différente de la tombe. Chaque groupe était dirigé par un « maître », et les maîtres et les scribes formaient la « haute direction », rendant compte directement à l’assistant du pharaon, le « vizir », qui visitait régulièrement le site pour l’inspection.


Des ouvriers préparant les décorations des parois des temples.

 La journée de travail durait huit heures, et les salaires étaient versés sous forme de provisions alimentaires provenant des entrepôts royaux, notamment des légumes, du poisson, du cuivre, du tissu, des céréales, des légumineuses, des huiles, des graisses et de la bière, ainsi qu’une prime incitative distribuée lors d’occasions spéciales, telles que les fêtes religieuses et les audiences royales, comprenant de la bière importée et du sel natron. Les travailleurs de l’Egypte Ancienne bénéficiaient d’un congé hebdomadaire de trois jours, puisque leur semaine comptait 10 jours, et ils bénéficiaient également de congés pour les fêtes religieuses et les occasions spéciales.

Des villes ouvrières importantes

Mahmoud El-Husseiny, professeur d’archéologie à l’Université de Minya, a noté l’existence de villes spéciales réservées aux ouvriers, telles que la grande ville des bâtisseurs des pyramides qui est l’endroit où vivaient et mouraient les ouvriers ayant participé à la construction des ensembles pyramidaux de Chéops et de Khéphren, remontant à l’époque de la IVe dynastie.

Cette ville renferme des maisons, des entrepôts, trois grandes rues et un bâtiment administratif royal, tous ont été découverts à l’intérieur des murs de cette ville, ainsi que quatre grandes salles qui pourraient être des casernes où les ouvriers des pyramides dormaient et prenaient leurs repas. « Une énorme quantité d’os de poissons, d’oiseaux, de vaches, de moutons, de chèvres et de porcs a été trouvée, ce qui révèle l’engagement de l’Etat à prendre soin des ouvriers pour garantir la meilleure contrepartie en termes d’efficacité du travail », ajoute-t-il.

Selon lui, l’une des villes ouvrières les plus importantes est la ville d’Al-Lahoun du Moyen Empire, situé dans le gouvernorat du Fayoum. « Cette ville est la plus ancienne des colonies égyptiennes consacrées aux ouvriers », souligne El-Husseiny. Et d’ajouter que l’une des villes ouvrières les plus importantes aussi est Tell Al-Amarna, construite par le roi Akhenaton à la XVIIIe dynastie et qui est située à 45 km au sud de Béni-Hassan au gouvernorat de Minya. « Grâce à la préservation des maisons de cette ville, une carte détaillée des vastes palais où vivaient les nobles de la société a pu être dressée, ainsi que des logements des ouvriers de la nécropole et des fonctionnaires. La maison du sculpteur officiel d’Akhenaton, Thoutmès, nous a fourni un ensemble célèbre d’oeuvres d’art complètes, ainsi que d’autres qui étaient encore à l’étape de la planification préliminaire », se félicite El-Husseiny.


Une stèle représentant des activités diverses.

Mansour El-Noubi, ancien doyen de la faculté d’archéologie à l’Université de la Vallée du Sud, assure que la ville ouvrière de Deir Al-Médina à Louqsor reste l’une des plus importantes villes ouvrières de l’Egypte Ancienne, puisqu’elle a fourni de nombreuses et abondantes informations sur les méthodes de travail, leur organisation, les équipes qui y travaillaient, leur mode de vie, les maladies qui les affectaient et les causes de décès pendant le travail. Deir Al-Médina fait partie de la nécropole de Thèbes au nord de la Vallée des rois, sur la rive ouest du Nil. Elle était le quartier général des familles d’artisans libres pendant la période du Nouvel Empire (1570-1070 av. J.-C.), où certains creusaient et construisaient des tombes pour les pharaons dans la Vallée des rois, tandis que d’autres travaillaient dans la sculpture, la fabrication de meubles et d’ustensiles pour préparer la tombe de chaque pharaon selon ses désirs avant sa mort. Les ouvriers qui construisaient les tombes étaient des spécialistes et des artistes talentueux, creusant et décorant les murs de la nécropole, pour en faire un « palais » où le pharaon pouvait revenir lors de certaines occasions après sa mort. « Les Anciens Egyptiens croyaient que le pharaon vivait au paradis parmi les dieux, mais il revient visiter la terre et ses habitants après sa mort, pour les aider. C’est pourquoi chaque travailleur dans les bâtiments du pharaon travaillait avec dévouement et sans relâche, car le pharaon allait prendre soin de lui du ciel », explique El-Noubi.


Peinture représentant un menuisier de l’Egypte Ancienne.

La zone de Deir Al-Médina a révélé les vestiges de maisons de la classe de travailleurs qui témoignent que le premier noyau de Deir Al-Médina a été construit sous le règne de Thoutmosis Ier, dont le nom a été retrouvé sur des moules en briques utilisés pour construire le mur entourant la ville. Le roi Amenhotep Ier a été le premier à envisager la formation d’une classe spéciale de travailleurs, de sculpteurs et d’artistes, ce qui lui a valu une vénération après sa mort.

Le professeur d’archéologie a ajouté que la ville de Deir Al-Médina était composée d’environ 70 maisons, abritant 400 familles et 5 000 individus, comprenant des familles entières d’hommes, de femmes et d’enfants. La communauté des travailleurs comprenait également les épouses et les enfants des travailleurs. « C’est à Deir Al-Médina, toujours à l’époque du Nouvel Empire, que la première organisation syndicale de l’Histoire a été créée dans la ville des ouvriers de Louqsor », indique Mansour El-Noubi.

La main-d’oeuvre et les ouvriers dans l’Egypte Ancienne étaient la pierre angulaire de l’une des plus grandes civilisations que l’humanité ait jamais connues.

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