Le tremblement de terre qui a frappé le Maroc le 8 septembre n’était pas seulement une catastrophe sur le plan humain, mais il a gravement nui aussi au patrimoine marocain. Le bilan s’alourdit avec de plus en plus de monuments affectés. C’est la ville de Marrakech, située à 85 km de la ville d’Al-Houaz (l’épicentre du séisme), qui a été la plus ravagée par le séisme. Marrakech, dont la médina est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1985, est une ville autant historique que touristique de premier rang. Les dégradations des sites historiques y abondent. « Les remparts de la ville sont très gravement endommagés. Les fissures majeures se trouvent à nombreux endroits », se lamente Jamal Aboulhoda Abdel-Mounaim, conservateur des monuments historiques de la ville. Ces remparts, qui datent du XIIe siècle, sont fondés vers 1070 par la dynastie des Almoravides. La ville fut longtemps un centre politique, économique et culturel majeur, régnant sur l’Afrique du Nord et l’Andalousie. «°Cette partie des remparts de la médina est historiquement très sujette aux dégradations. Elle a été affectée lors des guerres passées. Mais aujourd’hui, c’est surtout la zone où se trouvent les portes principales, en partie défigurées », ajoute-t-il. Selon lui, plusieurs parmi les portes de la médina ont été partiellement détériorées sous la puissance du séisme, comme Bab Debbagh, Bab Aylan, Bab Taghzout, qui a perdu certains de ses éléments décoratifs en plâtre et en bois, et de Bab Agnaou, qui a subi des fissures à l’intérieur. Egalement inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco et sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, la place Jemaa el-Fna, connue notamment pour ses mosquées historiques, ses charmeurs de serpents et ses vendeurs de henné, a témoigné de dégâts impressionnants. « On peut d’ores et déjà dire que les dégâts sont beaucoup plus importants qu’on ne l’attendait. Nous avons constaté des fissures importantes sur le minaret de la mosquée de la Koutoubia de 77 mètres, la structure la plus emblématique de la médina. Son minaret, qui ne s’est pas écroulé, a été filmé dans la nuit avec des nuages de fumée s’échappant de son sommet. Mais le plus grave aussi c’était la destruction quasi complète du minaret de la mosquée Kharbouch, toujours sur la place Jemaa el-Fna », note Eric Falt, directeur régional du Bureau de l’Unesco pour le Maghreb, lors de sa tournée dans la région le lendemain du séisme.
Le Mellah, ancien quartier juif, est toutefois le plus gravement concerné par les écroulements de murs structurels. En cause, selon les archéologues marocains, l’étroitesse des ruelles et des bâtiments, en plus de la densité démographique spécifique à ce quartier populaire. Les souks historiques Sammarine et Semmata sont également en danger d’effondrement en quelques endroits. « Le quartier à l’évidence le plus affecté est cependant le Mellah, où les destructions de maisons anciennes sont les plus spectaculaires », ajoute Falt.
Le directeur du bureau de l’Unesco lors de sa tournée dans la ville de Marrakech.
Si les dégâts sont mieux reconnus à Marrakech, puisque c’est la ville la plus accessible, ils sont tout aussi importants dans le reste de la région, et notamment dans les zones rurales. En dehors de Marrakech, plusieurs recensements en distanciel ont déjà été faits par l’Unesco. La région d’Al Houaz a été fortement touchée. La Kasbah du caïd Goundafi, bâtiment historique emblématique de la région, est à terre. Elle avait été construite en 1905 par le célèbre chef de tribu berbère pour contrôler la route de Marrakech. A quelques kilomètres, l’un des monuments majeurs du patrimoine marocain, la mosquée de Tinmel, située dans les montagnes du Haut Atlas, est presque entièrement effondrée. Minaret méconnaissable, murs en miettes, seuls quelques arcs sont restés debout. Parfait archétype de l’architecture amazighe, cet édifice, qui était le point de départ des campagnes militaires almohades contre la dynastie almoravide, est d’ailleurs inscrit sur la liste indicative nationale du patrimoine mondial. Depuis sept mois, l’édifice était au coeur d’un projet de restauration qui devait notamment faire naître, 18 mois plus tard, un nouveau musée à côté du site historique. Le ksar d’Aït-Ben-Haddou, également classé au patrimoine mondial de l’Unesco, est un village fortifié qui se trouve sur l’ancienne route des caravanes non loin de Marrakech. Site touristique très visité, ce site a été fortement touché par la catastrophe. A la lisière de la zone sismique, le Géoparc du M’Goun, le premier labellisé par l’Unesco en Afrique, qui abrite de nombreuses richesses paléontologiques dont des traces de dinosaure, a également subi des dégâts. « Les zones naturelles arrivent en 3e position de priorité, il y a d’abord l’humanitaire, puis le patrimoine matériel », précise toutefois l’Unesco.
Un bilan qui s’alourdit
Si la liste des dégâts en matière du patrimoine marocain est longue, il y a d’autres sites qui s’y ajoutent chaque jour. A Marrakech, le Palais Badii vient d’être fermé au public. Lui aussi est fragilisé, deux autres sites patrimoniaux sont, selon le conservateur des monuments, plus prioritaires. Il s’agit d’abord du Palais de la Bahia, construit sur 8 hectares au XIXe siècle, dont la terrasse, la coupole, le patio, ainsi que la façade extérieure méritent des travaux. Le second monument est celui des tombeaux saâdiens, nécropole royale située au sud de la médina qui présente de nombreuses fissures.
Sa réhabilitation sera un projet urgent, d’autant que le site est adossé à des habitations. D’autres monuments ont été affectés°: la mosquée El Mansour (ou mosquée de la Kasbah) qui souffre d’importantes dégradations, la mosquée Eloussta, touchée au niveau de son minaret, et la mosquée Ben Youssef, fermée depuis aux fidèles. Trois musées de la ville de Marrakech ont également souffert : le Musée des confluences, le Musée national du tissage et du tapis et le Musée du patrimoine culturel immatériel. La liste comprend aussi la maison du Sultan, Qubba de Lalla Mas’uda et la place des ferblantiers à Marrakech, en plus du site archéologique d’Aghmat, du Ksar El Bahr à Safi.
Pour l’heure, aucun recensement officiel définitif du patrimoine détérioré n’a été communiqué par le ministère marocain de la Culture. La phase de diagnostic devrait durer plusieurs semaines, avec des visites de bureaux d’études, de laboratoires spécialisés et d’organisations qui détermineront le niveau d’intervention nécessaire. Il s’agit en particulier de l’Unesco, ainsi que d’autres acteurs comme la fondation Aliph, l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit, créée en 2017 pour sauver le patrimoine en péril dans les zones de guerre. Une fois ce bilan effectué, il s’agira de sécuriser les bâtiments qui risquent de s’effondrer, puis de préparer leur reconstruction.
La mosquée de Kharbouch gravement touchée par le séisme
Certains médias marocains affirmant cependant avoir eu accès à une première ébauche de liste évoquent déjà 27 sites patrimoniaux endommagés dans les villes marocaines dans le rayon perceptible du tremblement de terre. Selon l’Unesco, d’autres monuments recensés se trouvent notamment à Agadir (Kasbah Agadir Oufella), Casablanca (Maison de la culture Buenaventura, Centre d’interprétation du Patrimoine- Ecole Abdellaouia), El Jadida (l’Eglise portugaise, la Kasbah Boulaouane) et à la Kasbah de Oualidia.
Un fort soutien international
Vu l’ampleur des dégâts, une vague de soutien s’est immédiatement manifestée après le tremblement de terre. Le lendemain de cette catastrophe, une délégation de l’Unesco s’est rendue dans la médina de Marrakech afin d’inspecter les parties les plus anciennes de la ville. « Notre organisation soutiendra les autorités marocaines pour inventorier les dégâts dans les domaines du patrimoine et de l’éducation, mettre les bâtiments en sécurité et préparer la reconstruction », a annoncé samedi Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, sur le réseau social Twitter, tout en postant trois photos de bâtiments anciens endommagés par le séisme. Pour sa part, le directeur régional du Bureau de l’Unesco pour le Maghreb a constaté l’ampleur des dégâts matériels, notamment le nombre de maisons tombées en ruine. « Après une catastrophe comme celle-ci, le plus important est de préserver les vies humaines. Mais il faut aussi prévoir immédiatement la deuxième phase, qui comprendra la reconstruction des écoles et des biens culturels affectés par le tremblement de terre », a-t-il dit. Suite à la diffusion de photos de la mosquée de Tinmel dégradée, l’équipe marocaine d’Icomos, organe consultatif de l’Unesco en matière du patrimoine, confie avoir reçu « beaucoup de soutien » de la part du secrétariat international de l’organisation à Paris, mais également de confrères membres d’Icomos en Espagne, en Turquie, en Tunisie et en Jordanie, entre autres. Tous se sont portés volontaires pour faire partie de futures missions qui seront dépêchées sur place pour réfléchir ensemble à la préparation de la phase de reconstruction des sites historiques endommagés.
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