La dépression du Fayoum, à quelque 80 km au sud du Caire, ne cesse de livrer ses secrets. Une mission paléontologique égyptienne formée de différentes universités, dirigée par celle de Mansoura, a découvert la semaine dernière une nouvelle espèce de baleine : une première mondiale qui a été rendue possible grâce à 6 ans de travail et de recherche. « Cette baleine est l’une des plus petites espèces et des plus anciens ancêtres des baleines marines qui ont évolué à partir de leurs ancêtres amphibies », souligne le paléontologue Hesham Sallam, chef de l’équipe d’études et fondateur du centre de paléontologie de l’Université de Mansoura. « Nous avons découvert que la nouvelle baleine appartient à la famille Basilosauridae. Cette famille est un groupe des ancêtres des baleines disparues, qui représente la première étape de la vie pure des baleines dans l’eau suite au transfert de leurs ancêtres de la terre à la mer. Cette famille est connue sous le nom de rois de la mer à cette époque lointaine », explique-t-il. Quoique cette famille ait des caractères de poissons comme les pattes d’avant transformées en nageoire et les vertèbres allongées en queue, « elle avait les pattes arrière bien visibles mais très petites par rapport à la taille du corps. Ces baleines n’ont jamais marché avec ces pattes comme leurs ancêtres. Raison pour laquelle les pattes ont été en voie d’être atrophiées », renchérit le directeur de l’équipe d’études. La mission, financée par l’Université de Mansoura, l’Organisme de financement des sciences, de la technologie et de l’innovation et l’Université américaine du Caire, a découvert dans les roches de l’ère éocène, reculées de 41 millions d’années, les fossiles du crâne complet, les mâchoires, des dents, la première vertèbre cervicale et des parties de l’os hyoïde de la baleine. « C’est rare de trouver un crâne complet y compris les dents qui nous renseignent d’importantes informations », reprend le chef de la mission, soulignant que les dents indiquent le genre du mammifère, le mode de sa nourriture et son mode de vie. D’après les études et les calculs des paléontologues, la longueur de la baleine était de 2,5 m, tandis que son poids atteignait presque les 187 kg. Pour Sallam, la présence de la dent de sagesse dans le fossile indique que la baleine a atteint son âge mûr. « Ainsi, la longueur du corps ne devrait pas changer si la baleine vivait plus longtemps. C’est pourquoi nous considérons la baleine trouvée comme étant la plus petite en volume du corps jamais découverte parmi les membres de sa famille au monde entier », reprend Sallam, soulignant sa grande habileté de natation et peut-être encore sa capacité à plonger à distances variées comme ses descendants, les dauphins de nos jours. « Toutes ces indications nous donnent une bonne compréhension de l’histoire de la vie, de l’évolution des baleines premières, ainsi que de la géographie des régions où elles se répandaient », note le paléontologue Mohamed Sameh, expert de la gestion du patrimoine naturel auprès de l’Unesco.
Un nom royal
La mission paléontologique a nommé la nouvelle baleine « Tutcetus Rayanensis ». « Un nom au goût royal », renchérit Abdallah Gohar, membre de l’équipe scientifique « Sallam Lab » du centre de paléontologie de l’Université de Mansoura. Il explique : « Nous avons donné le nom Tutcetus à la nouvelle espèce en l’honneur au célèbre roi Toutankhamon, vu la ressemblance entre les deux. La baleine découverte a trouvé la mort prématurément comme le roi-enfant. Elle était également reine des anciennes mers en son temps ». La mission a mis aussi un teint de l’Egypte Ancienne à ce nom scientifique, puisque le pays célèbre cette année le centenaire de la découverte de la tombe de Toutankhamon et la prochaine inauguration du Grand Musée égyptien.

Reconstruction imaginaire de la baleine fossilisée, par le dessinateur Ahmed Morsi, membre de l’équipe scientifique.
Quant au genre, les paléontologues ont préféré le nommer « Rayanensis », vu la région où la baleine a été découverte, Wadi Al-Rayane. Selon les paléontologues, la baleine reine a vécu lorsque la plupart des terres d’Egypte étaient couvertes par la mer Téthys. A cette époque ont vécu dans cette mer des animaux marins anciens, y compris les ancêtres des baleines actuelles. « L’étude anatomique détaillée des fossiles de Tutcetus Rayanensis indique qu’ils sont différents de tous leurs homologues connus de leur temps. Ils possèdent un type unique de dents qui nous ont permis d’identifier leur genre, leur nourriture, leur habitat, ainsi que leur mode de vie », reprend Gohar. Il ajoute que l’examen des dents avec les rayons X a ouvert de nouveaux horizons et a permis une nouvelle connaissance de la vie de Tutcetus en général et celle de ses homologues, ancêtres des baleines disparues. En effet, les dents de cette baleine poussent et grandissent à un rythme accéléré. Et ce, tout en prenant en considération la petitesse de sa taille. « Ce qui indique que leur mode de vie est évolué et accéléré. Cette espèce produisait un seul foetus par an. Mais elle pourrait produire un deuxième foetus si nécessaire, avec une vitesse plus grande », renchérit Gohar. Peut-être ce mode de vie est-il la raison essentielle de la réussite de la famille « Basilosauridae » qui s’est complètement adaptée à la vie marine plus que ses ancêtres amphibies. Cette baleine s’est exceptionnellement adaptée aux nouveaux habitats marins après avoir quitté la surface de la terre. « Peut-être que ce transfert complet de la terre à la mer a eu lieu dans les lieux tropicaux et presque-tropicaux », explique Gohar. Les paléontologues rendent la raison de la taille réduite de la baleine découverte au réchauffement qui a frappé la terre à cette ère lointaine. Ce phénomène est connu par le « Lutétien tardif, Thermique Maximal ».
Une autre possibilité suggérée par les chercheurs : la baleine Tutcetus Rayanensis a hérité ce caractère de ses ancêtres les moins évolués. Selon la paléontologue Sanaa Al-Sayed, membre de l’équipe scientifique « Sallam Lab » et déléguée de l’Université de Michigan aux Etats- Unis, les baleines émigrent aujourd’hui aux eaux chaudes et se reproduisent dans les mêmes conditions que l’Egypte a vécues il y a des millions d’années. « Fayoum était l’une des plus importantes régions de reproduction des baleines anciennes. Les baleines anciennes ont peut-être émigré au Fayoum de différentes régions, attirant alors les baleines féroces et plus grandes comme Basilosaurus », souligne-t-elle.
Lien court: