Si l’Expédition française (1798-1801) a été sanglante et troublante, elle a marqué aussi la naissance de l’Egypte moderne. C’est grâce aux scientifiques qui ont accompagné Napoléon Bonaparte que le pays a fait les premiers pas vers la modernité. En effet, cette équipe de scientifiques, regroupée sous le nom de « Commission des arts et des sciences », a été formée en mars 1798. Ses membres ont fait le tour de l’Egypte pour documenter ses villes en détail. Nathalie Delagarde-Truchot, écrivaine-conférencière, a suivi le parcours de ces savants. Elle explique qu’en marge de leurs rapports scientifiques et officiels, ils écrivaient leurs impressions personnelles, leurs notes descriptives de la vie quotidienne, ainsi que beaucoup d’autres détails.
En Egypte, précisément au Caire, dans la maison Al-Sennari, dans l’actuel quartier populaire de Sayéda Zeinab, résidaient plusieurs membres de la Commission des arts et des sciences. Cette maison appartenait à l’émir Ibrahim Katkhoda Al-Sennari. Elle se trouvait à l’époque en dehors du Caire. La maison, qui remontait au règne du sultan Al-Nasser Mohamad Ibn Qalaoun, a été prise par Napoléon Bonaparte. Parmi les savants français qui résidaient dans la maison se trouvaient le mathématicien Henri-Joseph Redouté, le physicien Savigny, l’ingénieur Vivier et le dessinateur Riego. « Les savants ont dessiné toutes les maisons et les mosquées qui se trouvaient dans les alentours et qui dataient des XVIIe et XVIIIe siècles », explique Hossam Ismaïl, professeur d’architecture islamique. Selon Delagarde-Truchot, la maison Al-Sennari a servi à monter ce que les Français avaient appelé « l’Institut d’Egypte » dont la mission était de propager les lumières. Cet institut s’occupait, entre autres, de la recherche. L’ingénieur Maximien Caffarelli, le savant le plus connu de l’Expédition Bonaparte, a participé à la création de l’Institut d’Egypte. Il a quitté la maison Al-Sennari et a préféré vivre au Caire fatimide dans la maison du gouverneur de Toura à Al-Darb Al-Ahmar. « Caffarelli a planifié les rues droites du Caire pour faciliter le déplacement des soldats français dans la capitale, surtout pendant les guerres et les émeutes », reprend le professeur. Et d’expliquer qu’avant l’Expédition française, les Ottomans et les Mamelouks construisaient des rues sinueuses, afin d’aérer les rues et les maisons. « Nous devons aux savants de Bonaparte les cartes précises et détaillées de l’Egypte, notamment du Caire. Ces cartes étaient la référence principale jusqu’à la fin du XIXe siècle. Le Caire a été entièrement dessiné », reprend Mme Delagarde-Truchot. Les savants français ont créé les premiers journaux d’Egypte comme Le Courrier d’Egypte et La Décade égyptienne issus de l’Institut d’Egypte. Ils notaient même dans leurs écrits comment les Egyptiens étaient impressionnés par l’imprimerie et comment elle les intéressait énormément.
Les soldats de Bonaparte dans le jardin de l’Institut d’Egypte, situé actuellement au centre-ville du Caire. (Photo : AQUARELLE D’ANDRÉ DUTERTRE VERS 1800. BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE. GALLICA.BNF.FR / BNF.)
Les merveilles de la Haute-Egypte
Parmi les savants de la Commission des arts et des sciences, il y avait un certain Vivant Denon qui était chargé de dessiner les monuments égyptiens. Il était connu pour ses déplacements multiples, ses notes détaillées et surtout son récit « Voyage en Haute et en Basse-Egypte ». Denon et d’autres savants se déplaçaient avec le général Desaix qui poursuivait les Mamelouks au sud. « Un nombre très modeste de savants a accompagné Denon en Haute-Egypte. Ces savants étaient toujours à la recherche des mystères de ce pays qui est très différent du leur », explique Hossam Ismaïl. Selon Delagarde-Truchot, les savants n’avaient pas le même rythme que l’armée. Alors que les militaires se déplaçaient rapidement, les savants, eux, se déplaçaient à dos d’ânes et visitaient les tombes et les temples. « C’est toute une histoire », commente Nathalie Delagarde-Truchot, soulignant que Vivant Denon et ses collègues sont partis à la découverte de Louqsor. Ils ont été émerveillés de trouver ce nombre considérable de beautés rassemblées en un seul lieu. « C’était au-dessus de leur imagination », dit-elle. Et d’ajouter : « Imaginons une personne qui vient de France, qui ne sait rien et qui voit Louqsor en débarquant. Elle est impressionnée par la grandeur, la beauté et la grande précision de ces bâtisses. Tout est raconté sur les bas-reliefs des temples et des tombes ». Les savants français ont tout dessiné. Ils ont recueilli le maximum d’informations pour les ramener à Mariette, Champollion et tous les savants qui sont venus ultérieurement à Louqsor pour découvrir et déchiffrer cette civilisation. En effet, ce sont les savants de Bonaparte qui ont ouvert la voie à la découverte de tous ces lieux, puisqu’ils ont tout documenté : les monuments, la faune, la flore et l’architecture. Ils ont même réalisé des recherches sur les maladies en Egypte.
Les savants qui n’ont pas pu accompagner Denon se sont servis de cette documentation. Les savants français ont également travaillé dans le Delta et les villes côtières. « Leurs dessins précis de la citadelle de Qaïtbay à Alexandrie ont aidé à la reconstruire après sa destruction par les Anglais en 1882 », reprend le professeur Hossam Ismaïl. Les savants de l’Expédition française ont révélé l’histoire dissimulée de l’Egypte.
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