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Le Caire célèbre ses 1054 ans

Nasma Réda , Dimanche, 23 juillet 2023

En juillet de chaque année, le gouvernorat du Caire célèbre la création de la capitale. Retour sur les quatre villes initiales qui ont formé l’actuelle capitale, riche en monuments islamiques.

Le Caire célèbre ses 1054 ans

Al-Fostat, Al-Qataïe, Al-Askar et enfin, Al-Qahira (Le Caire) sont les noms des capitales islamiques égyptiennes qui, superposées, forment l’actuel Caire, dont le nom en arabe signifie la victorieuse. Bien que chacune d’elles ait son caractère urbain spécial, elles forment ensemble la capitale de nos jours. A l’origine, au milieu du VIIe siècle, les conquérants arabes, sous la direction de Amr Ibn Al-Ass, ont choisi de construire leur capitale dans un emplacement situé entre le nord et le sud du pays, à l’intersection du Nil et de son Delta. Elle fut appelée Al-Fostat, qui était située au pied d’une forteresse byzantine au nom de « Babylone ». Il s’agissait en fait de l’endroit du campement des combattants musulmans venus de la péninsule arabique pour attaquer la forteresse byzantine et conquérir l’Egypte. La première construction fut la mosquée qui prit le nom du commandant Ibn Al-Ass, autour de laquelle furent construits la résidence du gouverneur, un bain public, une forteresse et un marché (souk), mais les soldats venus avec Ibn Al-Ass restèrent toujours en état de campement. Très vite après leur installation sur ce site, les nouveaux arrivants musulmans y construisirent des habitations à étages, caractéristiques de l’architecture nilotique. « D’après les fouilles archéologiques dans la région, on a découvert que les maisons à plusieurs étages étaient présentes depuis bien longtemps, et suite à la hauteur de ces édifices, les rues d’Al-Fostat étaient allumées jour et nuit », souligne l’ingénieur urbain Hamdi Al-Sétouhy, membre de l’Organisation internationale pour la conservation des monuments et des sites (ICOMOS).

Al-Askar et Al-Qataïe succèdent à Al-Fostat

Pendant le règne de la dynastie des Omeyyades, qui a commencé en l’an 661, Al- Fostat resta la capitale de l’Egypte. Mais les changements politiques du monde musulman eurent des répercussions sur l’organisation urbaine d’Al-Fostat. « Immédiatement après la chute des Ommeyyades et le succès de la révolution abbasside, qui prit le pouvoir en 750, Marwan bin Mohamad — le dernier des califes omeyyades — s’enfuit en Haute- Egypte. En route, il mit le feu à Al-Fostat pour empêcher l’armée abbasside de le poursuivre, mais il fut capturé au sud de Guiza », raconte l’historien Gamal Abdel-Réhim. Ne voulant pas installer leur gouverneur de la province d’Egypte dans l’enceinte de la capitale de leurs anciens rivaux, les Ommeyyades, les Abbassides fondèrent leur capitale qui fut dénommée Al-Askar (l’armée) au nord de Fostat. Presque tous les monuments de cette période furent démolis, car Al-Askar était perçue durant les époques successives comme ville militaire.

Avec l’arrivée d’Ahmad Ibn Touloun au pouvoir en 878, il fonda l’Etat toulounide et construisit à son tour sa propre capitale qui porta le nom d’Al-Qataïe (les lotissements). Les nouveaux établissements urbains de cette nouvelle capitale furent équipés de l’infrastructure nécessaire à l’essor d’une ville — palais du gouverneur, grande mosquée, souks et habitats, mais ils ne se développèrent pas vraiment, car leurs fondateurs n’eurent pas de longévité politique. « Malgré leur courte durée dans la régence, les Toulounides étaient pionniers dans la fondation des qanater (barrages) pour conserver et élever l’eau du Nil à leurs demeures, et ont construit le Bimaristan (l’hôpital) car ils ont constaté que ni à Al-Fostat ni à Al-Askar ne se trouvait un établissement médical malgré la croissance de la population », souligne Abdel-Réhim.

Capitale murée

Aucune de ces trois capitales ne fut protégée d’une enceinte, qui ne semblait pas utile aux Arabes premiers. En revanche, les Fatimides y crurent. Lors de la fondation de leur capitale Al-Qahira en 969, à environ un kilomètre au nord d’Al-Qataïe, le commandant fatimide Gawhar Al-Siqilli a construit des murailles en brique crue, un élément essentiel de la nouvelle ville. A noter que les Fatimides (909-1171) étaient des chiites venant du nord de l’Afrique pour conquérir l’Egypte sunnite. « Pourtant, ce n’est pas pour se protéger des éventuelles représailles de l’armée du calife de Bagdad qu’ils érigèrent des murailles autour de leur capitale, mais bien pour matérialiser une coupure entre le peuple égyptien et ses nouveaux dirigeants », explique Sétouhy, qui retrace que tous les gouverneurs de l’Egypte depuis bien longtemps cherchaient d’abord la sécurité et le contrôle du pays avant de penser à la fondation de leurs villes ou leurs capitales. A noter que les Egyptiens qui travaillaient chez les califes fatimides ne pouvaient pas résider à Al-Qahira, mais rentraient tous les soirs chez eux, à Al-Fostat, qui était toujours en expansion.

La nouvelle ville bâtie par les Fatimides fut l’objet de fondations de valeur dont des mosquées, des palais et des bâtiments historiques splendides, en plus de dizaines de portes dispersées dans les murailles de la capitale. Quelques historiens croient que le nom d’Al-Qahira a été choisi pour refléter les connaissances des Fatimides dans l’astronomie, notamment en référence à la planète Mars, le vainqueur du ciel (Al- Qahir). Alors que d’autres croient que le calife Al-Moez Li Dine Allah l’a nommée ainsi pour vaincre ses adversaires. « La nouvelle ville et capitale des Fatimides fut érigée autour de deux gigantesques palais et non dans les alentours d’une mosquée comme les prédécesseurs », indique Abdel- Réhim, racontant que selon le protocole fatimide, la porte nord de leur capitale, dite Bab Al-Fotouh, était destinée à accueillir les délégations étrangères de haut niveau et aux célébrations officielles.

Selon Abdel-Réhim, avec le développement d’Al-Qahira, le vizir Badr Al-Gamali construisit, en 1087, une deuxième enceinte englobant des fondations de la capitale comme la mosquée d’Al-Hakim. En effet, différentes missions ont été partagées entre les villes qui formèrent la capitale égyptienne. « Chaque ville était connue par une spécificité particulière. Al-Fostat était une ville commerciale, alors qu’Al-Qataïe était un centre économique et Al-Askar est restée une ville plutôt militaire », raconte-t-il. A la chute des Fatimides et à l’arrivée au pouvoir des Ayyoubides en 1171, la physionomie de la capitale de l’Egypte a changé et a commencé à être marquée par la construction de nombreuses madrasa (écoles ou lieux d’enseignement de l’islam sunnite) et la naissance d’un nouveau modèle architectural à la place des mosquées à cour centrale entourée de salles de prière et de colonnes. Salaheddine, le premier sultan ayyoubide (1171-1193), construisit une muraille défensive englobant l’ensemble du Caire, et non pas seulement la cité princière, comme à l’époque fatimide, et fonda une citadelle sur le plateau d’Al-Moqattam, surplombant la ville à l’est. « C’est à cette époque que les dirigeants du pays ont détruit les murailles et les palais des Fatimides et ouvraient Al-Qahira à la population », assure Sétouhy. L’Egypte se débarrassa alors de ce qu’on appelle la cité princière et la capitale devint plus large. La ville connut alors une nouvelle extension urbaine, signe de la prospérité du pays.

Une ère de prospérité

Et lorsque les Mamelouks arrivèrent au pouvoir en 1250, ils développèrent les initiatives de la dynastie précédente grâce aux richesses dont ils disposèrent. Ils construisirent des palais, des tombeaux et des fondations islamiques, ainsi que des édifices de commerce. Durant la période mamelouke, Le Caire fut distingué par un grand dynamisme urbain, palpable dans les rues, les souks et les différents quartiers. L’expansion de la ville se poursuivait du nord au sud et le développement a atteint Al-Fostat et Al- Askar, ainsi qu’Al-Qataïe. « L’architecture mamelouke, puis ottomane, propagée dans les rues du Caire, marque la personnalité égyptienne », dit Sétouhy.

Un nouvel élan marqua Le Caire moderne avec l’arrivée au pouvoir du wali Mohamad Ali. « Avec l’arrivée de la famille alide au début du XIXe siècle, l’aspect urbain du Caire a complètement changé. Bien qu’ils se soient intéressés à l’architecture antérieure du Caire historique, ils continuent l’expansion urbaine avec de nouveaux établissements, jardins et rues », assure Abdel-Réhim, l’historien islamique et professeur à la faculté des antiquités de l’Université du Caire.

Les développements successifs du Caire interrogent toujours les spécialistes sur le devenir de la capitale. Le célèbre géographe Gamal Hemdan, dans son livre Le Caire, s’est interrogé sur l’opportunité de construire une nouvelle capitale. « Hemdan a parlé d’une manière philosophique de l’empiétement sur les monuments historiques. Il a également posé la question de l’influence du changement de la capitale sur le comportement des gens. J’estime qu’il est temps que l’Egypte ait plusieurs villes/capitales, administrative, politique, commerciale, économique ou militaire. Toutefois, Le Caire actuel restera toujours la capitale historique de l’Egypte », conclut Sétouhy.

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