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Le patrimoine syrien en détresse

Dalia Farouq , Dimanche, 09 avril 2023

Le séisme du 6 février qui a frappé la Syrie a tiré une fois de plus la sonnette d’alarme sur les dégâts subis par le patrimoine du pays, qui a souffert lourdement de douze ans de guerre.

Le patrimoine syrien en détresse
Krak des chevaliers.

Le patrimoine syrien court un véritable danger. Le tremblement de terre qui a frappé le pays le 6 février dernier a fait rappeler l’état déplorable des antiquités syriennes et les dégâts énormes auxquels elles ont été exposées non seulement à cause du séisme, mais également et surtout en raison de la guerre qui sévit depuis plus de 12 ans. « Les dégâts causés par la guerre civile en Syrie sont beaucoup plus catastrophiques que ceux causés par le tremblement de terre du 6 février. En effet, c’est l’état déplorable des sites historiques syriens qui a fait que l’impact du tremblement sur ces sites soit aussi destructif », se lamente Soliman Al Howeily, professeur de la civilisation du Proche-Orient à l’Université du Caire et membre de l’Union des archéologues arabes. Il souligne que si le tremblement de terre a affecté une quarantaine de sites historiques, le conflit politique qui est entré dans sa deuxième décennie a endommagé, voire fait disparaître, plus de 300 sites archéologiques, selon la Direction Générale des Antiquités et des Musées (DGAM).

Pour sa part, l’Unesco a recensé les dommages et s’est dite dans un communiqué de presse « particulièrement préoccupée par la situation de l’ancienne ville d’Alep, inscrite sur la liste du patrimoine mondial en péril ». « La tour ouest du mur de l’enceinte de la vieille ville s’est effondrée et plusieurs bâtiments des souks ont été fragilisés », précise l’organisation dans son communiqué. Une délégation de l’Unesco s’est rendue dernièrement à Alep pour inspecter les dommages causés à sa citadelle, sa vieille ville classée en 2018 « patrimoine mondial en péril » et ses madrasa (écoles d’enseignement religieux musulman). Le séisme a notamment abîmé des parties du moulin ottoman et des fortifications du nord-est de la citadelle d’Alep. De larges parties du dôme du phare de la mosquée ayyoubide se sont également effondrées. En outre, des sites du nord d’Alep ont subi de graves dommages. Parmi ces sites figure l’église byzantine de Saint-Siméon-le-Stylite, dans le nord-ouest de la province d’Alep. Selon la DGAM, la partie ouest de cette église — inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco car faisant partie des villages antiques du nord de la Syrie — a été endommagée et la voûte de sa façade orientale détruite, comme certaines colonnes et décorations.

Selon Soliman Al Howeily, Alep, qui était la deuxième ville de la Syrie, est une ville historique de premier plan. Fondée par le sultan ayyoubide Saladin au XIIe siècle, elle regorgeait de joyaux architecturaux, notamment mamelouks, qui y ont régné jusqu’au début du XVIe siècle. D’après l’expert, ce n’est pas le premier tremblement de terre qui frappe la Syrie. En 1138, un séisme avec une magnitude estimée à 7,5 sur l’échelle de Richter a frappé la ville d’Alep, causant des dégâts considérables pour les antiquités et faisant plus de 230 000 victimes, ce qui en fait l’un des tremblements de terre les plus meurtriers de l’histoire. « Le séisme n’était pas le seul malheur qui a frappé Alep. Les combats, et aussi Daech, ont gravement endommagé près de 60 % de la vieille ville. Le minaret de la grande mosquée de Saladin datant de la fin du XIe siècle a été endommagé. L’ancien souk, plus grand marché couvert du monde, a presque été détruit. Le Musée des antiquités de la ville est toujours fermé au public à cause des combats », indique Al Howeily.

Six provinces affectées

D’après les médias, le tremblement de terre a aussi causé des dégâts au musée de la province d’Idleb, qui a déjà subi les assauts de la guerre. «°Pendant dix ans, il a été sous le contrôle de groupes armés, mais nous avons réussi, avec les habitants, à sauver les collections », explique à Radio France l’archéologue Maamoun Abdel-Karim, ancien directeur de la DGAM, assurant que certaines de ses parois en mosaïque, « très riches, fantastiques », ont été endommagées. Il s’inquiète aussi pour les 700 villages anciens, remontant aux époques romaine et byzantine, dont 36 sont classés sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.


La mosquée des Ommeyades à Alep a perdu son minaret lors des combats.

Bien que les sites historiques d’Alep et d’Idleb soient les plus endommagés par le tremblement de terre, la DGAM annonce que les monuments de six provinces ont été aussi touchés par le séisme, dont celle de Lattaquié. Selon la DGAM, des murs, des plafonds ou encore des tours de châteaux historiques ont désormais des fissures ou se sont effondrés de manière partielle, voire totale. En outre, des églises, mosquées et musées, remontant pour certains au Moyen-Age, ont souffert du séisme. A Harem, près de l’épicentre du séisme sur la frontière turque, les sites historiques ont été durement touchés par le séisme. Une citadelle centenaire a subi de graves dommages : quelques murs et arcades ne sont plus que des ruines.

L’impact de la guerre

Quant à la guerre qui se déroule en Syrie depuis plus d’une décennie, son impact a été catastrophique autant sur le niveau humain que sur le niveau du patrimoine. A partir de 2011, le patrimoine syrien a fait face à de nombreux assauts, notamment ceux de Daech, qui voulait effacer toutes les traces des civilisations préislamiques de la mémoire de la Syrie. « Les forces armées combattantes en Syrie utilisaient les sites historiques, tels que les forteresses, les vieilles villes et les mosquées, comme des casernes pour les armes ou des endroits stratégiques élevés pour contrôler les régions aux alentours. Ces endroits reçoivent aussi, malheureusement, les contre-attaques », explique Soliman Al Howeily.

La ville de Palmyre, dont le groupe Daech s’est emparé à deux reprises en 2015 puis en 2017, a perdu la façade du théâtre gréco-romain, qui surplombe la scène, lorsque les membres du groupe l’ont bombardée en janvier 2017. Les temples gréco-romains de Bêl et Baalshamin ont été eux aussi rasés à coups d’explosifs. A Homs, l’enceinte du Krak des chevaliers, l’un des châteaux forts les mieux préservés de l’époque des Croisades et inscrit au patrimoine mondial en 2006, a été la cible d’un raid qui a causé de sérieux dégâts au monument.

Ce n’est pas tout. Le patrimoine syrien était victime de toutes sortes de violations. Des milliers de pièces antiques ont été pillées des musées. Des fouilles clandestines ont lieu dans des dizaines de sites archéologiques, mettant au jour des trésors que personne ne connaît. Le trafic illicite des biens syriens est très actif à l’heure actuelle. « Ce qui complique encore plus la situation, c’est l’embargo imposé sur la Syrie sous le régime de Bachar Al-Assad de la part des Etats-Unis et de l’Europe. Cela rend difficile l’intervention internationale pour la reconstruction et la restauration des sites archéologiques », assure Al Howeily.

Avant la guerre, plus de 100 missions archéologiques opéraient en Syrie. Actuellement, la présence de ces missions est presque impossible pour des raisons sécuritaires. Seules des initiatives individuelles viennent apporter du soutien à la Syrie en matière de patrimoine, comme la Tchétchénie qui finance la restauration de la mosquée de Khaled Ibn Al-Walid, à Homs, et celle des Omeyyades, à Alep. Et la Russie qui a alloué des fonds pour restaurer Palmyre.

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