Al-Ahram Hebdo : Comment la formation de Jean-François Champollion a-t-elle influencé son itinéraire scientifique ?
Ola Al-Aguizi : Il était influencé surtout par son frère aîné, Jacques-Joseph, plus âgé de lui de 12 ans. Jacques-Joseph a beaucoup aidé son frère cadet dans sa formation scolaire, l’a encouragé dans ses recherches et lui a fourni de bonnes copies des textes de la pierre de Rosette. Champollion considère aussi Bon-Joseph Dacier, l’érudit et le secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, comme étant son protecteur.
— En quoi Champollion est-il différent de ses prédécesseurs et ses homologues qui ont réalisé des étapes dans le déchiffrement des signes hiéroglyphiques ?
— Plusieurs disent que Champollion n’est pas le premier à déchiffrer les signes hiéroglyphiques et qu’il y avait des tentatives précédentes réalisées par des savants arabes comme Ibn Wahchia. C’est vrai, ils ont essayé, mais ce qu’ils nous ont laissé ne nous permet pas d’interpréter proprement un texte. A leur époque, ils ont remarqué des signes étranges. Certains croyaient que ces signes avaient des désinences magiques. Néanmoins, ceux qui ont été penchés sur la question étaient des Européens depuis le XVIIIe siècle, tels le père jésuite Athanase Kircher et son rival l’Anglais Thomas Young. Il y a aussi l’abbé Barthélemy qui avait étudié la langue copte. Mais les travaux de Champollion sont venus concrétiser leurs efforts. Avant que Champollion ne commence la traduction des textes de la pierre de Rosette, il a étudié les textes des obélisques dressés à Rome. Il a constaté que les signes phonétiques de l’Egypte Ancienne ont plusieurs sons, tandis que les noms des rois de l’époque ptolémaïque étaient écrits d’une manière alphabétique: chaque signe a un seul son.
— Est-ce que Champollion a pu mettre toutes les règles grammaticales de la langue de l’Egypte Ancienne ?
— Son livre « Grammaire égyptienne ou principes généraux de l’écriture sacrée égyptienne appliquée à la représentation de la langue parlée », qui traite de la grammaire des hiéroglyphes, se compose de 600 pages réparties en 13 ou 14 chapitres. Cette grammaire est, en effet, une étude non seulement des formations grammaticales de la langue, jusque-là inconnues, mais aussi une étude approfondie des signes hiéroglyphiques, leurs formes réduites (linéaires-abrégés), les mots et groupes de mots, les titres et cartouches royaux, et l’équivalent phonétique en copte des mots en égyptien. Rien ne manque à cette grammaire. Son frère aîné, Jacques-Joseph, a écrit la préface de son livre sur la grammaire, puisque sa version finale n’a paru que deux ans après sa mort. Par chance, j’ai consulté le brouillon de son livre de grammaire qui est conservé dans les archives de l’IFAO. Ce brouillon renferme plusieurs pages coloriées. C’est superbe. Nous, les égyptologues, si nous avions étudié les hiéroglyphes d’après le livre de la grammaire de Champollion, nous aurions appris en même temps le démotique, le hiératique et le copte. Bref, tout. Champollion est le géant et le père de l’égyptologie par excellence.
— Quelles sont les importantes correspondances de Champollion ?
— Il a rédigé l’ouvrage « Lettre à M. Dacier, relative à l’alphabet des hiéroglyphes phonétiques employés par les Egyptiens pour inscrire sur les monuments les noms des souverains grecs et romains », dédié à son protecteur Bon-Joseph Dacier, où il explique les étapes de son déchiffrement des signes hiéroglyphiques. De même, parmi ses correspondances intéressantes il y a celles adressées à son frère aîné. Ces correspondances décrivent son voyage en croisière d’Alexandrie au nord jusqu’à Abou-Simbel au sud et Wadi Halfa au Soudan. Ces correspondances sont recueillies et annotées par H. Hartleben dans le livre Lettre et journaux écrits pendant le voyage d’Egypte. Lors de son parcours, il transcrit les textes gravés sur les colonnes et les parois des temples égyptiens pour vérifier son « précis du système hiéroglyphique des Anciens Egyptiens ». Il envoie alors une nouvelle lettre à son protecteur pour lui assurer qu’il est sur le bon chemin. Ces lettres et son journal de voyage témoignent de la genèse de l’égyptologie. Il y a aussi sa note envoyée à Mohamad Ali, vice-roi d’Egypte, pour l’inciter à donner plus d’attention aux monuments anciens. Par la suite Mohamad Ali a promulgué un décret de protection des monuments. Cette note a encouragé son fils, Ibrahim pacha, à fonder le Musée de Boulaq.
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