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France-Egypte 2022 : Une année riche en découvertes

Dalia Farouq , Nasma Réda , Mercredi, 06 juillet 2022

Les institutions archéologiques françaises ont célébré la semaine dernière la Journée de l’archéologie France-Egypte 2022. L’occasion de dresser le bilan annuel de leurs missions.

Une année riche en découvertes

Le centre d’Etudes Alexandrines (CEAlex), le Centre Franco-Egyptien d’Etudes des Temples de Karnak (CFEETK) et l’Institut Français d’Archéologie Orientale (IFAO) ont présenté la semaine dernière les résultats annuels de leurs travaux en Egypte lors de la 6e édition de la Journée de l’archéologie France-Egypte. Des travaux qui ont donné lieu à de multiples découvertes.

L’IFAO présent sur tous les chantiers

Avec ses 142 ans de présence sur le territoire égyptien, l’IFAO a pris la charge d’étudier la civilisation égyptienne depuis la préhistoire jusqu’au XXe siècle. Au cours de l’année 2021, 17 missions archéologiques dépendant de l’IFAO ont effectué des travaux dans différents chantiers, et leurs activités ont continué pendant la saison de 2022. «  A l’occasion de la Journée de l’archéologie, j’ai fait une sélection des activités de notre institut qui ont été menées en 2021-2022 par nos missions éparpillées dans les quatre coins de l’Egypte », souligne l’égyptologue Laurent Coulon, directeur de l’IFAO. Notons que les missions de l’IFAO représentent la majeure partie des missions françaises opérant sur le territoire égyptien. La présentation des travaux de fouille sur les chantiers archéologiques a été faite dans un ordre chronologique, selon le président de l’IFAO, qui a donné l’exemple de travaux effectués dans le désert oriental. Les fouilles ont porté sur un vaste complexe minier à Wadi Al-Sannour au nord d’Al-Galala. C’est le premier grand site renfermant de riches ressources de silex gris calcédonieux de très bonne qualité. « Après une année d’interruption due à la pandémie de coronavirus, la campagne 2021 a essentiellement porté sur la suite des fouilles du complexe minier situé dans la vallée d’Om Nikaybar », dit Coulon. Par ailleurs, les prospections se sont poursuivies sur un ensemble de collines localisées à 12km au nord-est, où un vaste ensemble de mines et d’ateliers de silex totalement inédits a été identifié par les images satellitaires. « Si on avance un peu dans la chronologie, on cite alors le site de Wadi Al-Jarf, célèbre pour ses papyrus remontant au règne du roi Chéops. La onzième campagne de la mission archéologique s’est déroulée en deux phases: une fouille des trois zones déjà découvertes et une documentation détaillée des galeries, de la zone littorale et de la zone du bâtiment intermédiaire », explique-t-il.

Parallèlement, l’étude des papyrus découverts sur le site a continué, et Pierre Tallet, président de la Société française d’égyptologie, a publié fin 2021 le deuxième volume de son ouvrage Les Papyrus de la mer Rouge II.

La coopération archéologique entre les institutions opérant en Egypte est claire sur le site de Bouto (Tell Al-Faraïne) avec la collaboration française de l’IFAO et le partenariat allemand du Deutsches Archäologisches Institut Kairo (DAIK). Cette coopération a mené à la découverte d’un ensemble de fours de potiers qui semble avoir fonctionné au cours de la seconde moitié du Ier siècle. «  La découverte de ces fours et d’un ensemble de pots en céramique a mené à une nouvelle collaboration entre l’IFAO et le CEAlex, afin de faire des études approfondies de ces matériaux », souligne le directeur de l’IFAO.

Outre les travaux de fouille, de réaménagement des sites archéologiques et les recherches menées dans les différents chantiers, un certain nombre de restaurations a été mené. A la demande du ministère du Tourisme et des Antiquités, la mission a pris la charge en 2021 et 2022 de restaurer d’urgence des murs, ainsi qu’une petite chapelle romaine. Des études architecturales et épigraphiques approfondies du site ont également été menées. Toujours dans l’enceinte autour du temple, la mission a retiré des murs des briques placées pendant de précédents travaux de restauration et qui ne correspondaient pas aux briques originales et les a remplacées par des briques plus convenables. Parallèlement, la mission a découvert tout près de la porte du temple les vestiges d’un bâtiment en briques cuites. « C’est là où la mission a trouvé des pièces d’antiquité datant d’après les observations préliminaires, du Xe siècle, soit du début de la période fatimide », souligne le directeur de l’IFAO.


Egyptiens et Français main dans la main sur les sites des temples de Karnak.

Sur un autre chantier de l’Institut, la mission de l’IFAO à Deir Al-Médina, ayant pour objectif de restaurer et d’étudier les monuments de la nécropole ouest, a découvert, dans la chapelle d’Amennakhte, une table d’offrandes magnifique et une stèle du grand intendant de la divine adoratrice Harwa. L’IFAO a mené cette année aussi des travaux de restauration au sein du Musée égyptien du Caire dans le cadre du réaménagement de cet édifice antique.

Au cours de son allocution, Coulon a mis en relief les multiples travaux de l’IFAO qui ont donné lieu, tout au long de sa longue histoire en Egypte, à des recherches exceptionnelles. L’IFAO a publié des ouvrages scientifiques sur plus d’une centaine de sites à travers l’Egypte. « Fouiller, mais aussi interpréter, restaurer, conserver et diffuser des publications, l’IFAO conduit aujourd’hui des opérations multiples dans le cadre de son grand projet archéo-scientifique », conclut Coulon.


Tanis, expertise de conservation et de restauration dans la tombe d’Osorkon II.

Travaux fructueux à Karnak

Classés sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979, les temples de Karnak sont l’emblème de la coopération franco-égyptienne en matière d’archéologie. Un bilan des travaux de restauration, d’anastylose et de fouille du CFEETK a été présenté lors de la Journée de l’archéologie France-Egypte tenue cette semaine à l’Institut Français d’Egypte (IFE).

En fait, depuis sa création en 1967, le CFEETK avait pour mission d’étudier et de préserver les temples de Karnak, ce complexe reconstruit et réaménagé pendant plus de 2 000 ans par les pharaons successifs. « En fait, la passion française pour les temples de Karnak est beaucoup plus ancienne que la création du CFEETK. Elle remonte au début du XXe siècle, lorsque le célèbre archéologue français Georges Legrain, chargé de diriger les travaux à Karnak, effectue le dégagement général du site, et plus particulièrement le dégagement du temple de Ptah en 1900, puis celui de Ramsès II, et enfin, la fameuse cachette du temple de Karnak », explique Ahmed Al-Taher, co-président égyptien du CFEETK. D’après lui, le temple de Karnak, le plus ancien centre religieux au monde, est un monument aussi exceptionnel qu’important qui mérite un grand intérêt multinational, afin de le préserver pour les générations à venir. A noter que le CFEETK est placé sous la tutelle du ministère égyptien du Tourisme et des Antiquités d et le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) en France.

Parmi les travaux de restauration les plus importants qui ont eu lieu dernièrement à Karnak, il y a ceux de la porte de Nectanébo Ier dont la base va être restaurée et consolidée à l’aide de nouveaux blocs en grès. Ces travaux ont débuté en janvier 2020 avec le nettoyage et la préparation des blocs. « Ce monument a été élevé sous la XXXe dynastie. Son importance vient du fait qu’il marque l’entrée orientale du domaine d’Amon-Rê et était ainsi le point de passage vers les sanctuaires », indique Al-Taher.

Plus loin, au nord de la grande salle hypostyle de Karnak, il y a la restauration de la porte nord de Ramsès III. Cette porte n’a jamais attiré l’attention des archéologues et avait disparu lors de la reconstruction de la salle hypostyle par Georges Legrain à la fin du XIXe siècle. L’importance de cette porte réside dans le fait qu’elle témoigne que plusieurs pharaons ont contribué à la construction des temples de Karnak, puisque les blocs portent les noms d’Amenhotep III et de Ramsès III. « Vu l’état complètement en ruine de cette porte, on propose de la démonter entièrement et d’étudier et conserver les blocs qui la composent avant de les remonter sur de nouvelles fondations », explique Luc Gabolde, co-président français du CFEETK.

Erigé par Thoutmosis III, le temple d’Akh-menou a connu aussi des travaux de restauration qui se poursuivent depuis 2013, comprenant les chantiers du sanctuaire d’Alexandre le Grand et de son antichambre. Le travail se concentre désormais essentiellement dans les magasins sud qui correspondent à la partie méridionale d’Akh-menou. Les archéologues supposent que ces magasins ont été construits comme des lieux de stockage à l’abri des grandes inondations. En outre, la statue d’Amon en quartzite de Toutankhamon découverte brisée par Georges Legrain a été récemment restaurée.


Citernes médiévales et ottomanes d’Alexandrie.

Les fouilles sont, depuis toujours, une partie importante des activités du CFEETK. «  Les fouilles ont pour objectif de répondre aux questions sur l’origine des temples de Karnak », explique Luc Gabold, co-président français du CFEETK. Il s’agit des fouilles dans la partie sud-est de l’enceinte d’Amon-Rê à Karnak. Selon lui, malgré les recherches anciennes sur le site de Karnak, une question persiste concernant son ancienneté. Bien des théories ont été formulées vacillant entre une antiquité reculée remontant à l’Ancien Empire, voire à la préhistoire et une ancienneté ne dépassant pas la XIe dynastie, voire la Ire Période Intermédiaire. Mais ces théories ne sont que des hypothèses. Dans le but de trancher cette affaire, les archéologues fouillent l’angle sud-est de l’enceinte du temple Amon-Rê, l’un des secteurs les plus prometteurs. En fait, entre 1900 et 1905, Legrain avait affirmé lors de recherches archéologiques l’existence de niveaux prédynastiques sous les couches du Moyen Empire. C’est en 1912-1913 que Louis Franchet effectue des fouilles à la recherche de céramiques susceptibles de livrer un tableau complet de la poterie égyptienne de la période prédynastique à l’époque romaine. Une analyse de la stratigraphie issue de ces sondages met en évidence la découverte, au plus profond de la fouille, de matériel prédynastique: un vase conique « black-topped », trait caractéristique de la période de Nagada I, une tête de hache polie antérieure à Nagada III et aux dynasties I et II. Ce matériel est aujourd’hui perdu. Mais les hypothèses indiquent que le terrain est riche en trouvailles remontant à de hautes époques. Cela dit, un projet a été lancé et une première prospection a été faite en 2019 et les travaux n’ont commencé qu’en décembre 2021. Les explorations menées en 2022 ont permis d’atteindre les niveaux de la XIIe dynastie avec le dégagement préliminaire des installations d’ateliers de boulangerie de la XIIe dynastie. Donc, les espoirs de trouver des vestiges d’occupations primitives restent vifs. « En dépit de ces 2000 ans, les temples de Karnak ont encore beaucoup à révéler », conclut Al-Taher.


Fouilles sous-marines sur le site du phare.

Les trouvailles exceptionnelles du CEAlex

Créé en 1990 par Jean-Yves Empereur, le Centre d’Etudes Alexandrines (CEAlex) a pour mission première de faire des études sur la ville d’Alexandrie, d’enrichir les connaissances historiques sur cette métropole et de participer à la préservation du patrimoine unique de la ville. Au cours de l’année 2021-2022, le CEAlex a travaillé sur le Phare d’Alexandrie, étudiant les fortifications des époques médiévale et ottomane, particulièrement au fort de Qaïtbay. « Le travail avait été difficile en 2021 en raison des travaux sur la digue qui entoure actuellement l’ensemble du site sous-marin, afin de construire un nouveau quai dans le port est. Ces travaux ont retardé l’achèvement de la couverture photogrammétrique du site », souligne Marie-Dominique Nenna, directrice du CEAlex, assurant que le but du centre est de publier les trois volumes numériques sur l’architecture de cette région. Il faut signaler que le système de documentation géographique du centre alexandrin a bien progressé, et il compte à présent étudier un ensemble de 4 017 blocs et statuettes sur le site. Cet objectif se poursuit en 2022 avec des photos de certains blocs récemment découverts, comme la base d’une statue dont l’inscription grecque est difficilement lisible, en plus de deux autres qui datent de l’ère de Constantin et de l’évêque Théophilus. Il est à noter que les sauvetages effectués par le CEAlex à Alexandrie entre 1992 et 2009 ont permis d’ouvrir des fenêtres sur l’occupation de la ville et de ses quartiers et ont fourni beaucoup d’informations dignes d’être publiées. « Une tâche ardue qui doit être poursuivie dans les années à venir », assure Nenna, qui a prononcé un discours sur la ville d’Alexandrie en analysant ses moments d’épanouissement, de rupture et de tensions, donnant une documentation détaillée sur le sort et l’état de la ville pendant son bombardement lors de l’occupation britannique en 1882. Si le CEAlex a étudié l’histoire de la ville d’Alexandrie et de ses alentours, il a surtout offert des travaux de fouille exceptionnels. Et c’est le deuxième sujet abordé par la directrice du centre lors de son allocution. Le CEAlex mène, depuis 2016, des fouilles, deux mois par an, dans les alentours de l’île de Mariya qui remonte à l’époque hellénistique et du site d’Al-Amériya situé sur la rive méridionale du lac Mariout où le centre a découvert la chaîne de fabrication des amphores sous l’Empire romain. « Le site de Kom Bahig a attiré notre attention, notamment la recherche des pièces de mobilier en céramique remontant au début de la IIIe époque intermédiaire », indique Nenna. Les travaux se sont jusqu’alors concentrés sur deux zones principales. La première, située dans la partie sud-ouest de Kom Bahig, localisée à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest d’Alexandrie. Sur ce site, des vestiges de plusieurs bâtiments en briques crues épaisses, ainsi qu’un grand bâtiment en pierres calcaires datant de l’époque ptolémaïque ont été découverts et dont les remblais remontent au VIIe siècle av. J.-C. Par ailleurs, les fouilles en 2021 se sont concentrées sur la partie nord de la vallée centrale de Kom Bahig. « Grâce au levage de plusieurs blocs monumentaux, les fouilles ont pu être étendues confirmant des traces remontant à l’époque tardive », ajoute Nenna. Et d’affirmer qu’un dispositif de cuisson, jamais identifié en Egypte et remontant à l’époque romaine, a été également mis au jour lors de cette phase de réaménagement.


Un vase découvert suite aux fouilles sous-marines.

« Nous avons eu de la chance après les travaux de déballage et d’excavation à Kom Bahig où l’on a pu révéler un monument original en forme de podium à double escalier remontant à la période ptolémaïque », affirme la directrice du centre, soulignant que la mission, en 2021, a mis au jour 22 nouveaux sites au sud du lac Mariout, ainsi que dans la région de Kom Bahig où passera le nouveau trajet du train à grande vitesse Le Caire-Alexandrie-Marsa Matrouh. En outre, le CEAlex a mis au jour 2 nouveaux ateliers hellénistiques et romains d’amphores, situés à une certaine distance du lac Mariout, ce qui fait un total de 7 ateliers découverts sur ce site jusqu’à présent. Ceci sans parler de la découverte de 2 sites et de plusieurs puits de l’Ancien Empire, plus particulièrement de la VIe dynastie en bordure de la route Al-Amériya-Borg Al-Arab. Nenna a passé aussi en revue les travaux de recherches scientifiques, notamment la publication de plusieurs thèses dans le domaine de l’archéologie.

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