Des squelettes d’animaux mis au jour à Bérénice.
Il est fréquent de trouver des restes d’animaux de compagnie enterrés avec ou près de leurs propriétaires dans les tombes de l’Egypte Ancienne. Mais ce qui est rare, c’est de trouver les restes de ces animaux loin de leurs propriétaires. Selon une étude récemment publiée par l’Académie polonaise des sciences, ce fut le cas dans une catacombe découverte à Bérénice, appelée dans l’antiquité « Bérénike », située sur les bords de la mer Rouge et plus précisément tout près de Marsa Alam.
En fait, l’histoire remonte à 2011 quand des archéologues polonais ont découvert près de 600 tombes de chats, de chiens et de singes datant des Ier et IIe siècles. « Lors de la découverte en 2011, on a trouvé quelques dizaines d’animaux inhumés remontant à l’époque romaine. En 2016, on a reçu un financement américain pour un projet axé sur la recherche archéozoologique à Bérénice dont je suis le gestionnaire », explique Marta Osypinska, archéozoologue à l’Académie polonaise des sciences et auteur de l’étude. En fait, cette étude, qui vient de paraître, résume 3 ans de fouille dans les cimetières animaliers de Bérénice.
« Plus on fouille, plus on découvre de squelettes de chiens et de chats. Dix ans après le début des fouilles, il nous paraît clair que ce site abritait un vaste cimetière d’animaux domestiques, aimés et choyés comme à l’époque moderne », ajoute Osypinska. A noter que Bérénice était un ancien port stratégique fondé en 260 av. J.-C. pour faciliter les échanges commerciaux avec l’Inde et la péninsule arabique, il servait de même comme point de passage pour les éléphants d’Afrique à destination des champs de bataille.
100 squelettes dans une zone de 100 m2
Des squelettes d’animaux mis au jour à Bérénice.
Une fois exhumées, les dépouilles de ces animaux ont été étudiées par les archéologues. Une étude qui a révélé bien des secrets sur la vie de ces animaux, leur mort, les maladies et les accidents qu’ils ont subis et aussi leurs relations avec la population de la région. « Près de 100 squelettes complets d’animaux ont été découverts jusqu’ici dans une zone relativement petite de 100 m², à l’ouest du Grand Temple de Bérénice. (…) Nous pouvons affirmer avec certitude que cette zone était utilisée comme cimetière dans la période comprise entre le dernier quart du Ier siècle et la première moitié du IIe siècle de notre ère. C’était une période de grande prospérité économique », affirment les archéologues dans l’étude, en faisant le point sur la première série d’ossements extraits. D’après Marta Osypinska, les nouvelles données obtenues après la dernière découverte concernent l’organisation de la partie centrale du cimetière. « Sur une petite colline, il y a une chapelle autour de laquelle on a trouvé des animaux : chats, chiens et singes. Nous ne savons pas à quel dieu ils étaient dédiés. A l’intérieur du cimetière se trouvent un socle en pierre et des couches de cendres. Les nouvelles connaissances que nous avons tirées de notre recherche concernent la santé et l’âge des animaux de compagnie lorsqu’ils ont été morts. Nous avons appris aussi que divers chiens avaient été amenés à Bérénice. Les singes ont été importés d’Inde — deux espèces de macaques », indique l’archéozoologue.
L’étude donne également un aperçu sur les modes de nutrition de ces animaux à travers les résidus trouvés dans leurs estomacs ou dans les tombes. Les chats étaient nourris avec de minuscules poissons. Les chiens mangeaient de gros poissons, des os de moutons et de chèvres et peut-être des résidus alimentaires humains. L’étude menée sur les animaux de Bérénice a montré qu’une relation émotionnelle existait « entre les hommes et les animaux de compagnie telle que nous la connaissons aujourd’hui. Nous savons maintenant qu’il y a 2 000 ans, les gens prenaient grand soin de leurs animaux. Il y avait de vieux chiens, parfois presque sans dents, d’autres étaient boiteux. Quelqu’un devait prendre soin d’eux et les nourrir. Certains chats possédaient des colliers métalliques autour du cou, avec un oeil spécial pour attacher la laisse. Il est très clair que les gens ont veillé à ce que les chats ne s’enfuyaient pas », explique l’archéologue, ajoutant que certains animaux portaient des colliers faits de perles. En effet, dans les tombes de deux jeunes chats, on a trouvé des perles de coquille d’autruche.
Selon Steven Sidebotham, professeur d’archéologie à l’Université du Delaware et un des archéologues travaillant à Bérénice, les Romains aimaient leurs animaux de compagnie, en particulier leurs chiens, et une tombe à Bérénice renferme un jeune chien probablement importé de Rome ou de Grèce. Il ajoute que la plupart des animaux de Bérénice montrent des signes d’enterrement attentif — une fosse funéraire délibérément creusée, par exemple, ou un positionnement soigneux du corps. « Bien que les animaux de Bérénice n’aient pas été les premiers animaux de compagnie en Egypte, ils sont remarquables en raison des conditions dans lesquelles ils ont été gardés », souligne Sidebotham.
Des bêtes « familières »
L’archéologue français de renom Alain Zivie estime, pour sa part, que l’usage de certains termes concernant cette « belle découverte » peut prêter à discussion. « En particulier parler de cimetière d’animaux domestiques est discutable (d’autant plus que les chats répondent mal à cette définition). On pourrait plutôt parler d’inhumations groupées d’animaux. Il y a aussi ce terme de (pet), utilisé dans la publication originale, qui pose problème. On traduit ce terme anglais en français par (animal favori) ou (animal de compagnie), car on n’a pas son exact équivalent en français. L’emploi de ces termes implique des liens en quelque sorte sentimentaux avec ces animaux. Je pense à cette relation émotionnelle évoquée plus haut, qui ne correspond pas à l’usage français (parler plutôt de relation sentimentale ? ...). Tout cela est un peu mièvre et très – ou trop – moderne et ne convient guère dans le cas de Bérénice, me semble-t-il. Il y a eu des chiens et surtout des chats qui ont pu être des pets dans les anciennes familles égyptiennes, on en a de forts indices. Mais là, on a affaire à des animaux qui vivaient près des habitants et qui se nourrissaient de leur surplus ou de leurs restes. Ils devenaient ainsi, en tout cas pour quelques-uns, des animaux familiers (désignation plus adéquate que celle d’animaux de compagnie) auxquels les hommes étaient attachés. Mais tout cela se faisait au nom d’habitudes culturelles et d’un imaginaire sans doute très éloigné des nôtres », explique Zivie qui opère sur le site de Saqqara depuis des décennies et qui a travaillé sur des catacombes de chats.
Il ajoute que dans le cas de Bérénice, il lui semble nécessaire de mieux comprendre le contexte culturel et cultuel des populations qui habitaient ce port ou qui y séjournaient temporairement. « Les témoignages découverts montrent qu’il y avait sans doute à Bérénice aussi quelque chose qui relevait de l’imaginaire religieux et des pratiques cultuelles de l’Egypte de la vallée. Et donc, à leur manière, ces chats pourraient avoir joué un rôle similaire à ceux des grandes catacombes, comme celles de Saqqara, mais à une modeste échelle », indique Alain Zivie.
Pour sa part, Salima Ikram, professeure d’archéologie à l’Université américaine du Caire, qualifie ces sépultures de « découverte intéressante » qui donne beaucoup d’informations sur la relation homme-animal dans l’Egypte Ancienne, notamment à l’époque gréco-romaine. Cependant, la possession d’animaux de compagnie en Egypte Ancienne est bien connue. « Des peintures murales avec des représentations de chats de compagnie ont été retrouvées, de même que des momies humaines enterrées avec des chiens de compagnie, des singes et même une gazelle », indique Ikram. Elle ajoute que les Egyptiens de l’Antiquité sont connus pour leur culte des animaux, c’est pourquoi les catacombes et les sépultures abondent en Egypte. Les plus connues sont celles de Saqqara au sud du Caire et d’Hiéraconopolis près d’Assouan. Ces catacombes renfermaient des milliers et parfois même des millions d’animaux momifiés parce qu’ils ont été enterrés pour des raisons rituelles. En revanche, les animaux déterrés à Bérénice ont été desséchés à cause de l’environnement sec du désert. Cette découverte confirme une fois de plus que les Anciens Egyptiens avaient l’habitude d’importer les animaux de l’étranger, puisque les archéologues ont découvert, lors de leurs fouilles, des chiens d’une race étrangère et des singes originaires d’Asie.
Dans le même contexte, Alain Zivie explique qu’il existe trois différences à relever entre le « cimetière d’animaux » du port de Bérénice et les catacombes de chats de Saqqara et de la nécropole de Memphis : D’abord, le considérable éloignement géographique entre un grand centre urbain et religieux de la Vallée du Nil, comme Memphis, lequel demeura le principal centre politique du pays durant plus de trois millénaires, et un port lointain de la mer Rouge adossé au désert arabique, à l’activité économique internationale. Ensuite, la différence dans la durée. Les deux sites ont certes été utilisés à la même époque (les deux premiers siècles de l’époque romaine), mais pour Saqqara, cette époque ne recouvrait que la fin de pratiques cultuelles et funéraires centrées sur les animaux qui s’étaient développés depuis un millénaire. Enfin, les importantes différences de signification et de fonction de ces inhumations d’animaux familiers groupés, et en particulier des chats. « Les découvertes de Bérénice fournissent une possibilité unique d’observer le rôle, la signification et les relations avec les animaux de compagnie au sein de la société gréco-romaine dans un centre commercial transcontinental important », conclut Zivie.
Lien court: