Protéger à la fois les sites archéologiques, les développer et les rendre accessibles à tous, à commencer par les personnes qui vivent autour de ces lieux. Tels sont les enjeux de la gestion de ces lieux d’exception. C’est ce qu’ont encore souligné des experts en archéologie et en tourisme, lors de deux réunions tenues récemment au Caire, à savoir l’atelier italo-égyptien pour l’archéologie et le patrimoine culturel qui a eu lieu, il y a quelques jours, et le Congrès international des égyptologues, début novembre.
En effet, seules les célèbres pyramides, Karnak ou la vallée des Rois par exemple, sont très visités. Or, d’autres sites, tout aussi riches, restent inconnus. Aussi, les experts en archéologie et en tourisme veulent valoriser ces sites patrimoniaux, complètement ignorés par le grand public, alors qu’ils sont pour certains en plein coeur de la capitale.
C’est le cas du village prédynastique appelé « la civilisation de Maadi » qui, comme son nom l’indique, est situé dans le quartier cairote de Maadi. « Ce site met en lumière les origines des Anciens Egyptiens. Et bien qu’il soit unique dans sa structure, dans tout le Moyen-Orient, il reste inconnu et non visité », a regretté l’archéologue italien Andrea Polcaro, lors de son discours à l’atelier italo-égyptien pour l’archéologie et le patrimoine culturel qui s’est tenu cette semaine au Caire. Et ce n’est pas le seul. Beaucoup d’autres sites sont à découvrir au Caire comme le barrage d’Al-Kafara à Hélouan, qui remonte à la IIe dynastie, qui serait le premier barrage connu construit par l’homme. Par ailleurs, les archéologues espèrent qu’ils seront ouverts au public pour pouvoir les protéger, y établir des activités de sensibilisation générale pour toutes les couches sociales.
« Afin de préserver et protéger les sites, il ne faut pas les isoler de leur environnement. Au contraire, il faut créer une sorte d’interaction entre le site et la communauté locale qui vit autour », a rappelé Moustapha Al-Saghir, directeur général des temples de Karnak. Car, pendant de nombreuses années, les sites archéologiques se sont développés sans cette idée. En outre, les habitants autour ne voient pas toujours l’intérêt de les préserver. Les pillages sont encore monnaie courante. Désormais, en faisant appel à la main-d’oeuvre locale pour les fouilles, ou pour garder les sites touristiques, ceux-ci comprennent mieux leur importance et profitent aussi des retombées économiques qu’ils représentent.
Pour ce faire, les égyptologues déploient de grands efforts pour faire découvrir leurs travaux à la communauté locale, à commencer par la jeune génération. « Les égyptologues opérant dans les temples de Karnak organisent des ateliers durant lesquels les enfants vivent l’ambiance des fouilles en suivant les différentes étapes : la classification de la zone à explorer, les méthodes de fouille, le dégagement des objets, leur documentation, leur restauration et, enfin, leur transfert », explique le directeur, Moustapha Al-Saghir. De même, le département enfant du Musée égyptien du Caire, place Tahrir, joue aussi un rôle primordial dans ce domaine et aide les égyptologues qui opèrent sur le chantier à protéger les divers sites. En effet, les enfants qui suivent ces ateliers reconnaissent mieux la valeur réelle des monuments. Ainsi, « nous aurons une nouvelle génération qui aime les monuments et cherchera à protéger et conserver les sites archéologiques ». D’ailleurs, l’Unité des répliques archéologiques dépendant du ministère des Antiquités est en voie de fabriquer des répliques pédagogiques. « On va les donner au ministère de l’Education pour les distribuer aux écoles dans les quatre coins de l’Egypte, afin d’attirer les élèves et les étudiants à aimer et à s’intéresser à l’histoire et à l’archéologie », annonce Amr Al-Tibie, directeur général de l’Unité des répliques archéologiques.
Meilleur accueil
Une meilleure gestion des sites passe aussi par un meilleur accueil des visiteurs. « A Karnak, nous avons installé un centre de visiteurs où l’on projette des documentaires explicatifs. On a facilité la rentrée et la sortie du centre pour que les gens puissent se déplacer avec aisance ; des brochures en braille sont distribuées aux visiteurs qui en ont besoin », explique Al-Saghir.
Les égyptologues ont aussi enrichi les temples de Karnak par des panneaux explicatifs. Des rampes ont été installées pour le déplacement des fauteuils roulants. De même, le circuit comprend divers services, à l’instar des grands parasols, des assises convenables à tous les âges, des toilettes ainsi que des kiosques de surveillance. Et bien sûr, le système de contrôle et de surveillance du site a été amélioré.
Ali Omar, professeur à la faculté de tourisme et d’hôtellerie de l’Université de Hélouan, assure que le ministère du Tourisme contribue à la gestion et à la valorisation des sites archéologiques à travers des stages de formation pour les guides touristiques en leur faisant des examens sur les nouvelles découvertes archéologiques. « Si les sites archéologiques sont équipés de services, le visiteur a aussi besoin de s’y rendre sans la moindre difficulté ni la moindre fatigue. Pour ce faire, il est indispensable de paver les routes d’accès aux sites touristiques et d’y installer des services convenables », continue Ali Omar.
Sensibiliser les enfants est une étape primordiale pour préserver les sites archéologiques. (Photo : Musée égyptien)
De son côté, l’unité des répliques archéologiques contribue aussi à la valorisation des sites archéologiques à travers les produits qu’elle vend, des répliques de qualité de chefs-d’oeuvre de la civilisation égyptienne. « Les visiteurs aiment acheter des pièces bien fabriquées et avec des textes corrects. Des certificats tamponnés du ministère des Antiquités attestent de l’origine de ces répliques », explique Amr Al-Tibie. C’est l’un des multiples aspects d’une meilleure gestion des sites.
Dahchour, un site pilote
Les temples de Karnak étant très vastes et ouverts partiellement à la visite, leur gestion est plus compliquée. Et l’implication de la population locale aux fouilles et à la surveillance du site devient d’autant plus importante. « Chaque site est un cas à part. Gérer les sites au cours des fouilles est aussi important qu’après son ouverture pour la visite touristique », souligne Cédric Gobeil, directeur d’Egypt Exploration Society (EES).
Cette idée de rendre les habitants acteurs de la gestion des sites remonte à 2012, à Dahchour, situé à quelques kilomètres au sud du Caire, et classé depuis 1979 au patrimoine mondial de l’Unesco. Le projet Mobilization of The Dahshour World Heritage Site for Community Development, mené en coopération avec 4 agences de l’Onu et le ministère des Antiquités, ainsi que l’Organisme du développement touristique, a intégré la communauté locale dans la préservation de toute la zone. « Ainsi, les habitants de Dahchour ont suivi des ateliers de restauration, de préservation et de conservation du site. D’ailleurs, les ouvriers travaillant dans les fouilles n’étaient que des habitants de la région archéologique. La gestion des sites et leur protection exigent un personnel issu de la communauté locale », insiste Mahmoud Afifi, ex-directeur général du secteur des antiquités égyptiennes.
Au cours de ce projet, des habitants sont même devenus guides touristiques comme le rappelle aussi Adel Al-Guindi, directeur général du département des relations internationales stratégiques, qui était alors le coordinateur national de cette initiative. Selon lui, pour garantir au mieux la préservation des sites patrimoniaux et leur conservation, il faut que les citoyens puissent en profiter.
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