Dans le quartier d’Héliopolis, au Caire, le palais du baron belge Edouard Empain fait l’objet d’importants travaux de restauration et d’un nettoyage total pour la première fois depuis plus de 100 ans de la part du ministère des Antiquités. Ces travaux ont débuté il y a plus de deux ans et sont à 90 % terminés. Or, suite au démontage de quelques échafaudages, des critiques et railleries ont commencé à faire le tour sur les réseaux sociaux. La couleur rouge brique et la couleur blanche ainsi que la couleur blanchâtre du marbre couvrant les colonnes ont surpris les passants et les internautes, dont certains estiment que les travaux sont de mauvaise qualité et non conformes à l’esprit originel du bâtiment. « Qui a choisi cette couleur éclatante ? », « Vous démolissez littéralement nos monuments », « C’est un palais historique et non pas une villa moderne », « Vous détruisez de manière systématique notre patrimoine » sont quelques exemples de commentaires émis sur Twitter et Facebook.

Les restaurateurs nettoient les murs du palais. (Photo : Ministère des Antiquités)
Le coût du projet de restauration s’élève à 100 millions de L.E. Il est effectué en coopération avec le gouvernement belge ainsi que des associations comme l’association de Misr Al-Guédida, l’Organisme d’ingénierie de l’armée et la compagnie d’Al-Moqaouloun Al-Arab (Arab Contractors). Suite aux critiques, le ministre des Antiquités, Khaled El-Enany, en compagnie de députés du parlement et des responsables du Projet du Caire historique, dépendant du ministère des Antiquités et responsable de la restauration et du réaménagement du palais, ont effectué une visite officielle du chantier dimanche 18 août. Le ministre s’est défendu, qualifiant les critiques en ligne de « fausses informations » et indiquant devant les médias : « La restauration est un vrai rêve et nous allons insuffler de la vie à ce monument tant abandonné ».
Pour sa part, le général Hicham Samir, chargé de l’ingénierie et des projets de restauration du patrimoine du Caire historique au sein du ministère des Antiquités, s’est aussi défendu. « Les couleurs sont correctes et s’appuient sur des sources historiques, des photos et des plans de fondation issues des archives de l’association responsable du quartier ainsi que du côté belge », a-t-il déclaré. « Les gens se sont habitués à la couleur grise qui couvrait le palais et au marbre décorant l’entrée et la façade ainsi que les tours. En les nettoyant avec de l’alcool, les couleurs d’origine sont réapparues », a de plus expliqué El-Enany. Concernant les couleurs, l’urbaniste Tarek Al-Morri et l’architecte Amal Mahfouz les ont défendues, publiant sur leur page Internet des documents et des études indiquant que la couleur est inspirée de la culture hindoue.

La beauté des salles du palais se révélera après la restauration. (Photo : Ministère des Antiquités)
Equipé de bâtons minces et de coton, chaque restaurateur s’occupe d’une des statues éparpillées aux quatre coins du palais. La richesse de ce bâtiment vient en effet de ses ornements : des singes, des éléphants, des lions et des serpents, ainsi que des statues de Bouddha, de Shiva, de Krishna et d’autres divinités hindoues. « Petit à petit, on découvre les couleurs d’origine et après, on les isole par une matière autorisée en restauration pour les conserver de l’humidité et des rayons ultraviolets », explique Mohamed Abou-Zeid, ingénieur au secteur d’ingénierie du ministère des Antiquités. Il ajoute que quelques parties étaient complètement démolies et qu’elles seront restaurées conformément aux normes internationales. « Le visiteur pourra alors distinguer le nouveau de l’ancien », indique-t-il.
Une restauration en profondeur
Les critiques émises sur Internet concernaient également les murs extérieurs entourant le palais, qui ne sont pourtant pas encore achevés et ne se composent pour l’instant que de quelques piliers et d’un muret en pierre. « Ces barrières, qui s’élèveront à 4 m, empêcheront la vue habituelle du palais par les passants », « Ils détruisent les murs antiques », s’est indigné un groupe d’internautes sur Facebook. Abou-Zeid explique qu’il ne restait du mur antique que deux cabines de sécurité. « Des barrières métalliques ont remplacé en 2006 les anciens fils de fer barbelés », souligne El-Enany. Quant au général Samir, il explique que « les plans du palais, conservés aux archives de l’association de Misr Al-Guédida, montrent que l’ancien mur était composé de 80 cm de pierre, dont une grande partie dans le sol. Le reste, qui mesure 2,2 m est en fer forgé. Donc, au total, cette muraille ne dépassera pas les 3 mètres et, puisque le palais se situe sur une colline, il pourra être vu de tous les côtés ».
A l’intérieur, le palais est encore en pleine restauration. Il a en effet beaucoup souffert de négligence, surtout après la mort du baron, en 1929. Construit entre 1907 et 1911, le palais, qui s’étend sur une surface 12 500 m2, est inspiré du temple d’Angkor Vat, au Cambodge. Mariant les styles architecturaux hindou et européen, il dispose de trois étages et d’un sous-sol, en plus d’un grand jardin. Dans les années 1950, le palais a été vendu par la famille Empain, avant qu’il ne devienne la propriété du gouvernement égyptien en 2005 (à l’occasion du centenaire d’Héliopolis) puis classé comme monument historique. Il fait partie de la liste du patrimoine égyptien islamique et copte du Conseil Suprême des Antiquités (CSA) depuis mars 2007.

L'architecture hindoue, très claire dans la façade du palais. (Photo : Nasma Réda)
« L’édifice était dans un état déplorable. C’était un repère de chauves-souris, de chiens errants et de nids d’oiseaux dont les restes couvraient les parois internes. Les vitres et les portes en bois ainsi que celles en fer étaient en ruine. Les murs sont noircis de poussière, qui a recouvert les motifs qui les décorent », explique Basma Sélim, inspectrice et ingénieure responsable des travaux de nettoyage et de restauration du palais. Elle ajoute que le sous-sol, avant la présence des gardiens, servait de lieu de réunion pour des jeunes qui s’y retrouvaient pour prendre des drogues et que certains s’y adonnaient à des cérémonies sataniques. « On a pu se débarrasser de toutes les traces enlaidissant le palais et montrer la beauté des colonnes, du plafond et des motifs », souligne-t-elle.
Pour les travaux, les escaliers en marbre ont été couverts de bois pour les protéger durant la montée et la descente des ouvriers. Le grand défi était de créer un nouveau système d’éclairage et de sécurité en fonction de l’état et de l’architecture du palais. « Les murs sont très fragiles et toutes les précautions pour ne pas démolir les décorations sont prises », assure le général Samir, ajoutant que les travaux prendront fin dans trois mois et qu’en 2020 le joyau historique du baron Empain sera accessible au public.
Lien court: