Dimanche, 06 octobre 2024
Al-Ahram Hebdo > Tourisme >

Le sarcophage de Toutankhamon au centre des discussions

Nasma Réda, Mardi, 06 août 2019

Le sarcophage de Toutankhamon a été transféré, mi-juillet, de sa tombe à Louqsor au Grand Musée égyptien (GEM) à Guiza, ce qui a suscité la désapprobation de certains archéologues et spécialistes, vu son mauvais état. Quant à la momie du célèbre roi, il n’a pas encore été décidé si elle suivra ou non le sarcophage.

Le sarcophage de Toutankhamon au centre des discussions
Le sarcophage arrive aux laboratoires du GEM.

Pour la première fois depuis sa découverte en novembre 1922, le dernier sarcophage en bois doré du roi Toutankhamon a quitté, mi-juillet, sa tombe mythique de la Vallée des rois, à Louqsor, pour rejoindre le reste de la collection (qui compte plus de 5 000 pièces) au nouveau Grand Musée égyptien (GEM), à proximité du Plateau des pyramides. Cette précieuse collection est la pièce maîtresse du nouveau GEM. « C’est le dernier sarcophage en bois restant dans la tombe. Il sera exposé avec toute la collection du roi Toutankhamon au GEM », souligne Al-Tayeb Abbas, directeur général des affaires archéologiques au GEM, ajoutant que les deux autres sarcophages découverts dans la tombe étaient exposés au Musée égyptien de la place Tahrir au Caire pendant 98 ans.

Le sarcophage, qui décorait jusqu’alors la chambre funéraire de la tombe de Louqsor, était posé dans le grand cercueil en quartzite rouge où figurent, sur les quatre côtés, quatre déesses : Isis, Nephtys, Selqet et Neith. Ces déesses étendent leurs ailes protectrices sur ses quatre côtés. Le cercueil était couvert de verre pour permettre de voir le sarcophage en bois doré, et également le conserver.

Le déplacement du sarcophage a suscité la controverse auprès de plusieurs archéologues, qui sont d’avis que son état ne supporte pas le déplacement et dénoncent le fait de vider la tombe de son contenu. « Je refuse complètement l’idée du transfert du sarcophage, vu son mauvais état et celui de la momie (le sort de celle-ci n’a pas encore été décidé, ndlr) hors de la tombe. Il faut respecter le défunt », critique l’égyptologue Ahmad Saleh. De son côté, Hussein Abdel-Bassir, directeur du musée des antiquités à la Bibliotheca Alexandrina, espère que « le transfert du sarcophage sera bien étudié sur le plan archéologique et que les responsables étudieront aussi bien l’impact de ce transfert sur le tourisme ».

En fait, le ministère des Antiquités a indiqué, dans le communiqué de presse annonçant l’arrivée du sarcophage aux laboratoires du GEM, que le sarcophage était sérieusement abîmé. « Le sarcophage est en mauvais état. La couche de plâtre dorée qui le recouvre manque de quelques parties. Il y a aussi de nombreuses fissures dans le plâtre ainsi qu’une grande fragilité de l’ensemble des couches dorées. Il n’a jamais été restauré », a confirmé Eissa Zidane, chef du service de restauration du GEM. A son arrivée au GEM, le sarcophage a ainsi été immédiatement placé dans la salle de stérilisation pour quelques jours, comme mesure de premiers secours. Il doit à présent passer par de nombreux processus d’études et de restauration minutieuse. « Les travaux de restauration prendront environ 8 mois », a précisé Zidane.

Le mauvais état du sarcophage a aussi alimenté les discussions parmi les archéologues et les spécialistes égyptiens sur les réseaux sociaux. « Comment se fait-il que son état soit tellement mauvais, comme l’a annoncé le ministère ? Alors qu’a fait l’Institut Getty pendant 10 ans à l’intérieur de la tombe ? », se demande Abdel-Maqsoud, ex-secrétaire général du Conseil Suprême des Antiquités (CSA). Des accusations rejetées par les responsables du ministère des Antiquités, qui assurent que l’opération a été bien étudiée. « On n’a pas pris la décision à la légère », assure Moustapha Waziri, secrétaire général du CSA. Des discussions secrètes se seraient déroulées dans les coulisses du ministère depuis février dernier, juste après l’achèvement de la restauration de la tombe du jeune roi dans le cadre d’un projet mené par l’Institut Paul Getty. Constatant le mauvais état du sarcophage, le comité permanent aurait alors décidé de le déplacer au GEM pour le restaurer. De nombreuses mesures de sécurité ont été prises pour le transport. « Le sarcophage doré a été déplacé en secret avec des mesures de sécurité strictes et sous la supervision des conservateurs et archéologues, en coopération avec la police du tourisme et des antiquités », souligne Waziri.

Malgré les mesures sécuritaires et la restauration du sarcophage, le fait de n’avoir annoncé publiquement l’opération qu’une fois qu’elle a été achevée a lui aussi été fort critiqué. Abdel-Maqsoud souligne que « le sarcophage de Toutankhamon aurait dû être déplacé dans un cortège royal et pas secrètement ». Et d’ajouter que Toutankhamon est l’un des rois les plus célèbres d’Egypte, et que sa réputation provient de la découverte, puis de la documentation de sa tombe intacte.

Suite au déplacement du sarcophage, des objections au transfert de plusieurs pièces antiques de Louqsor se sont fait entendre. « Ce n’est pas logique de vider les sites archéologiques et le Musée de Louqsor de leurs trésors importants. Cela fera diminuer le nombre de visites touristiques », estime notamment Sarwat Ajami, chef de la Chambre des compagnies et agences de voyage et de tourisme à Louqsor.

Et la momie ?

Le sarcophage de Toutankhamon au centre des discussions
La momie reste seule à la tombe de Louqsor.

Le sarcophage momiforme en bois représente le roi coiffé en némès, à l’image osirienne, les bras croisés et tenant les symboles sacrés du pouvoir, dont le sceptre (bâton crochet) et le nekhakha (fléau symbolique). Il est couvert d’une couche de plâtre, d’or pur ainsi que de pierres précieuses et de verre. Il mesure 2,23 m de long, 83,8 cm de de largeur et 1,05 m de hauteur, et pèse 110,5 kg. C’est l’archéologue britannique Howard Carter qui l’a découvert en 1922 et l’a ouvert pour la première fois, un an après. Il conservait la momie du pharaon portant le célèbre masque et une centaine de bijoux.

Il est à noter que les premiers dégâts qu’ont subis ce sarcophage et la momie ont été faits par Carter lui-même, lorsqu’il a décidé de l’exposer au soleil pour faciliter son ouverture et le soulèvement de la momie. Carter a débarrassé la momie de ses trésors et l’a enfermée de nouveau dans son sarcophage. Elle est alors restée enfermée dans ce dernier, jusqu’à ce qu’en 2005, l’égyptologue Zahi Hawas l'ait sortie pour la scanner et décide de l’exposer dans la tombe du roi, où elle a été déposée seule dans une caisse en verre vidée d’oxygène, à côté du cercueil en pierre, mais sans sarcophage.

La momie du jeune roi a d’ailleurs elle aussi attiré l’attention des archéologues, qui estiment qu’elle est aussi importante que le sarcophage et a besoin d’être traitée avec beaucoup d’attention. « Sauvez cette momie, qui a tant souffert depuis sa découverte, et replacez-la dans son environnement. Faites-la retourner dans son sarcophage et déposez le défunt dans sa tombe », exige Saleh sur sa page officielle Facebook. Un avis partagé par plusieurs archéologues qui se sont opposés, en 2007, à l’exposition de cette momie divisée — selon Hawas — en 18 morceaux sous un couvercle en verre. Si les uns sont contre son déplacement, d’autres l’approuvent. « Il est important de transférer la momie pour compléter la collection de Toutankhamon qui sera exposée au GEM », indique Abdel-Bassir. Un avis partagé par Abdel-Maqsoud, qui refuse l’idée de séparer la momie de son sarcophage. « Si le sarcophage doit être placé au GEM, il faut aussi déplacer la momie », dit-il.

De son côté, refusant le transfert de la momie, Ajami craint que les visiteurs de la Vallée des rois ne visitent plus la tombe de Toutankhamon et que le nombre de visiteurs de la ville ne chute.

Pour l’heure, le transfert de la momie de la tombe n’a pas encore été décidé. « C’est une décision archéologique du comité permanant des antiquités égyptiennes ainsi que du comité de la muséologie du GEM. Elle sera prise selon l’état de la momie et l’importance de son transfert », conclut Khaled El-Enany, ministre égyptien des Antiquités.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique