Al-Ahram Hebdo : En tant qu’expert, que pensez-vous de la situation urbanistique du Caire en 2013 ?
Salah Zaki : J’ai passé toute ma vie dans l’étude et la sauvegarde de cette grande ville. Mes principales préoccupations étaient surtout axées sur la conservation des monuments islamiques et coptes du Caire, les plus beaux et remarquables dans le monde. Aucune capitale au monde ne possède ces trésors. Les rues de même que les bâtiments du centre-ville, d’Héliopolis et ailleurs font partie de cette splendeur.
Le Caire historique est le centre ancien du Caire actuel, qui est la plus grande ville du Moyen-Orient et de l’Afrique. La conservation de ce centre, classé Patrimoine mondial depuis 1979, constitue un défi difficile à relever depuis plus de 2 années. Ce qui nécessite une solution globale pour la conservation et la réhabilitation.
— Pensez-vous que Le Caire coure un vrai danger ?
— Certainement, surtout après la révolution du 25 janvier. Le Caire est devenu le principal théâtre des protestations. La capitale a connu, en 2011 et 2012, une série de constructions qui ont déformé son aspect authentique. Cela a attiré l’attention de beaucoup d’architectes et d’ingénieurs qui aspirent à « révolutionner » l’urbanisme.
— Comment d’après vous « révolutionner » l’urbanisme ?
— On ne recherche pas de nouveaux projets. Beaucoup d’initiatives concernant l’entretien des bâtiments du Caire, le recensement des dangers et la démolition des bâtiments anciens et historiques sont déjà faites par les étudiants de l’université, mais le problème réside dans la direction de ces projets et la disponibilité des responsables.
— Pourquoi accusez-vous les nouveaux responsables ?
— Car ils ne peuvent pas interdire la construction de nouveaux bâtiments. Ils n’arrivent pas à prendre des décisions pour détruire les bâtiments contrevenants. Ils ne sont pas comme leurs prédécesseurs. Si on ne maîtrise pas cette anarchie et ce chaos, le sort du Caire sera menacé.
— Où en est Le Caire des étapes de planification et des projets de réaménagement stratégique à l’horizon 2050 qui avaient été lancés avant la révolution ?
— Je faisais partie de ce projet et je le suivais de très près mais après la révolution, tout s’est évaporé. Les travaux de rénovation et de réaménagement qui ont commencé dans certains bâtiments et dans certaines rues, comme la rue Al-Moez, ont été arrêtés.
— Peut-on faire quelque chose loin du gouvernement afin de reprendre ces projets qui sauveront Le Caire ?
— L’image n’est pas romantique, toutes les parties doivent prendre part à ces projets. Au-delà de l’inertie gouvernementale en matière de politique urbaine et architecturale, la plupart des experts, des étudiants et des amateurs ont proposé leur soutien en avançant des solutions, mais sans un soutien gouvernemental on ne peut rien faire. Ce sont les autorités qui accordent des permis de construire et de détruire des bâtiments. Elles ont déjà accordé des permis de destruction d’une dizaine de maisons historiques à Bab Al-Wazir et Souq Al-Sélah, dans le Vieux-Caire. C’est une vraie catastrophe.
On a accueilli une délégation turque qui avait l’intention de restaurer la région et la mosquée d’Al-Imam Al-Chaféi. Mais à cause des nouveaux bâtiments qui viennent d’être construits dans ce quartier, elle a quitté le pays sans même discuter. Que peut-on faire en tant que citoyens non professionnels dans de tels cas ?
— Qu’en est-il de la fête de la ville du Caire ?
— Pourquoi la célébrer ? Les problèmes de la ville s’accroissent de plus en plus. Pour la sauver, il faut de nouveaux projets et des programmes de réhabilitation du patrimoine architectural. Cela exige la volonté et la fermeté du gouvernement.
Au secours du Caire
« Sauvez Le Caire, Le Caire s’effondre, se démolit, son patrimoine se vend ». Tels étaient les slogans brandis par une centaine d’ingénieurs, architectes, archéologues et urbanistes lors d’une manifestation la semaine dernière devant le siège du gouvernorat du Caire dans le vieux quartier d’Abdine en face du palais présidentiel. Objectif : protester contre l’anarchie qui règne dans la capitale. « Nous avons organisé ce rassemblement qui ne sera pas le dernier pour protester contre la destruction de notre ville historique », explique Rabab, jeune architecte et activiste protestant devant le gouvernorat. « Les spécialistes affirment que le patrimoine architectural et culturel est en danger. C’est la raison de notre présence ici », explique Nairy Hampikian, architecte. Et d’ajouter que cette manifestation ne sera pas la dernière pour protester contre la destruction systématique du Caire à travers la propagation des bidonvilles et la construction illégale des immeubles, facteurs qui détruisent l’esprit de cette ville millénaire que l’Unesco avait inscrite sur sa liste du Patrimoine mondial en 1979.
Les manifestants exigeaient le gel immédiat de toute construction qui déforme l’aspect général de la ville, surtout dans Le Caire historique. Les manifestants ont demandé au gouverneur d’aider les habitants des quartiers historiques à préserver leurs régions. « Nous ne demandons pas grand-chose. L’ancien gouverneur Abdel-Azim Wazir s’était montré compréhensif quant à nos revendications et il nous avait même fourni un bureau au siège du gouvernorat pour suivre le travail de près », explique Salah Zaki, architecte et urbaniste. Et d’ajouter : « Sa vision était de garder l’aspect authentique de certaines régions comme Héliopolis ».
D’après lui, la démolition de l’histoire et de l’identité égyptiennes a commencé après la révolution du 25 janvier 2011. « Le Caire est en train de perdre son cachet depuis deux ans. Les autorités sont absentes. De grands immeubles ont été construits sans respecter les normes de construction. Ces immeubles sont un vrai danger pour les habitants. Ils déforment aussi les paysages », explique Mohamad Fouad, un manifestant. Selon lui, Le Caire est sous la menace d’être retiré de la liste du Patrimoine mondial.
L’actuel gouverneur du Caire, Ossama Khalil, a refusé de rencontrer les manifestants et s’est limité à publier un communiqué de presse dans lequel il a souligné l’importance « d’un dialogue efficace pour limiter les dégâts et préserver le patrimoine ». Il a promis de répondre aux demandes des manifestants.
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