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A Louqsor, le gouverneur renonce

Dalia Farouq et Nasma Réda, Mardi, 25 juin 2013

Suite à de fortes pressions, Adel Assaad Al-Khayat, le gouverneur de Louqsor, a présenté sa démission une semaine après avoir été nommé par Morsi. Il n’avait même pas réussi à franchir le seuil de son bureau.

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C’est grâce à la pression du ministre du Tourisme et de tous les professionnels du secteur que le Parti de la construction et du développement, la branche politique du groupe islamiste radical Gamaa islamiya, dont dépend Adel Assaad Al-Khayat, a décidé que ce dernier démissionnait. Le bureau de la Gamaa islamiya s’est réuni, ordonnant au gouverneur de rentrer chez lui allant même jusqu’à affirmer qu’il n’aurait pas accepté la nomination d’Al-Khayat si le gouvernement l’avait consulté. D’après Safwat Abdel-Ghani, vice-président du Parti de la construction et du développement, « l’important pour nous c’est l’intérêt du pays et non les postes ». La nomination d’Al-Khayat avait suscité d’importantes réactions dont la plus remarquable a été celle du ministre du Tourisme Hicham Zaazoue : présenter sa démission au premier ministre Hicham Qandil, si Al-Khayat restait en poste. C’est aussi la colère des habitants de Louqsor dont la plupart travaillent dans le secteur du tourisme, de même que celle des responsables du tourisme, ayant tous gravement souffert de la baisse du tourisme après l’attentat de 1997 attribué à la Gamaa islamiya qui a poussé Al-Khayat à se retirer.

Sa nomination avait aussi rencontré, selon un communiqué de presse du ministère du Tourisme, de vives réactions sur le plan international. « C’était le choc chez les tour-opérateurs internationaux. J’ai reçu moi-même des milliers de courriers me demandant des explications à cet égard. En outre, des groupes qui avaient réservé à Louqsor ont changé de destination à la dernière minute », assure le ministre qui a remis au premier ministre un dossier contenant les réactions et commentaires locaux et internationaux, ainsi que les impacts prévus d’une telle nomination, puisque la plupart des pays occidentaux qualifient la Gamaa islamiya d’organisation terroriste.

« Les tour-opérateurs ont à nouveau menacé de retirer l’Egypte de leur catalogue. Logique ! Comment convaincre les touristes de venir en Egypte si on met à la tête de la plus importante ville touristique du pays un islamiste djihadiste dont le parti émet des fatwas interdisant l’alcool, le port du bikini et les statues antiques ?», a assuré Elhami Al-Zayat, lors d’une conférence de presse organisée par l’Union des Chambres de tourisme pour amplifier la gravité de la crise provoquée par la nomination du gouverneur de Louqsor.

Des employés du secteur touristique de Louqsor en étaient arrivés à menacer de bloquer l’accès aux temples pharaoniques et à d’autres sites antiques que la région regorge, faisant valoir que cette nomination risquait de ruiner les espoirs de reprise de cette activité. Une manifestation avait aussi été organisée devant le siège du ministère du Tourisme, à laquelle ont participé les professionnels du tourisme, les guides touristiques et les employés du ministère pour protester contre cette nomination qui, selon eux, va achever le secteur du tourisme en Egypte.

Un « excellent choix »

De leur côté, les partisans de Morsi défendaient le choix d’Al-Khayat, affirmant notamment que les membres de la Gamaa islamiya avaient réussi à combattre la criminalité en Haute-Egypte. « Nous estimons qu’ils sont les plus capables de préserver la sécurité dans ce type de provinces », a déclaré Moustapha Al-Gheinemi, un cadre des Frères musulmans. Pour lui, la nomination d’Al-Khayat était un « excellent choix, même si son passé est négatif. Cela fait longtemps que la Gamaa s’est débarrassée de ses anciennes idées. On doit lui ouvrir la porte et lui souhaiter la bienvenue ».

Mais les pressions pour la démission d’Al-Khayat ont été les plus fortes. Plusieurs politiciens et animateurs télé ont dénoncé haut et fort cette nomination, la qualifiant de « folie ». Selon Hassan Nafea, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, ces nominations signifient que « progressivement, le Parti Liberté et justice (des Frères musulmans) va dominer tous les rouages du pays ». Waël Al-Ibrachi, journaliste et présentateur télé, a par ailleurs lancé un message clair : « Vous pouvez être gouverneur de n’importe quel gouvernorat, mais surtout pas de celui-ci !». Bassem Halqa, président du syndicat des Employés du tourisme, soutient : «reçu plusieurs coups de fil de pays comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la France ou la Russie qui souhaitaient connaître les raisons de ce choix. Ils ont affiché une certaine inquiétude ». Sur un ton ironique, l’humoriste vedette Bassem Youssef a dit vouloir acheter deux statues à Louqsor avant que le gouverneur « ne détruise nos monuments ». Une idée pas très éloignée de la réalité : Al-Khayat avait ordonné il y a peu, à travers une fatwa, de « couvrir » avec des draps les monuments historiques.

Al-Khayat n’a pas eu le temps de toucher à un seul dossier, mais les répercussions de sa nomination ont été très rapides. « La demande sur le tourisme pour l’Egypte a chuté après la nomination de ce gouverneur. Beaucoup de pays, surtout européens, souhaitent connaître la raison de ce choix incompréhensible, pour eux autant que pour nous », affirme Elhami Al-Zayat, président de l’Union des Chambres de tourisme. Il ajoute que cette nomination était un message négatif pour le secteur du tourisme en Egypte et pour son image à l’étranger.

« Comment aurait-il pu interagir avec les professionnels du secteur ? Ils ne peuvent pas oublier les dégâts causés par le massacre de 1997. Comment aurait-il jugé une touriste portant un short ?», s’interroge Ihab Abdel-Al, expert touristique.

Ihab Moussa, président de la Coalition du soutien au tourisme, avait prévenu qu’il s’adresserait à l’Unesco et à d’autres organisations mondiales pour protéger la ville, si Al-Khayat était resté en poste .

Adel Assaad Al-Khayat a dirigé une unité de la Gamaa islamiya à Assiout pendant de longues années. Il a été mis en prison pendant un an après l’assassinat du président Sadate en 1981, crime dont la Gamaa islamiya a été reconnue responsable.

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