Al-Ahram Hebdo : Vous avez été nommée assistante du ministre pour la muséologie, un nouveau poste au sein du ministère des Antiquités. Quel est votre rôle ?
Névine Nizar : Dans le cadre du développement et du réaménagement de plusieurs musées en Egypte, j’ai eu comme mission de préparer et de suivre l’exécution des travaux muséologiques de nouveaux grands projets. Cela concerne le choix des pièces antiques à restaurer ou à exposer en accord avec les thèmes et scénarios muséologiques des musées, comme la préparation du design des salles pour mettre en valeur les pièces exposées. Par ailleurs, je cherche à mettre en place une méthode commune à tous les musées tout en prenant en considération la spécificité de chacun pour les enrichir.
— Etes-vous satisfaite de l’état actuel des musées en Egypte ?
— Non, pas tellement. Plusieurs d’entre eux doivent être modernisés. Le ministère des Antiquités dirige près de 50 musées nationaux, régionaux et spécialisés. Cette variété et cette richesse ont leur pour et leur contre. Nous avons des édifices récents, certains tout juste inaugurés, mais qui, pourtant, auraient besoin d’une nouvelle vision plus moderne, d’une scénographie différente pour améliorer la qualité de leurs expositions.
— Quels sont les points faibles que vous avez pointés dans les différents musées égyptiens ?
— Bien que ces lieux exposent des pièces qui éblouissent toujours les visiteurs du monde entier, ils manquent de conception. Et c’est ce qu’on cherche à créer: une conception unique, claire et riche. Jusqu’à maintenant, le travail et les programmes dans les musées ne sont que des efforts et des tentatives personnelles de modernisation. Il n’y a pas de vision commune.
— Cela veut dire que tous les musées en Egypte devront suivre les mêmes méthodes de travail ?
— Je cherche à créer une méthode unifiée de recherches et d’études scientifiques. Par exemple, il est inacceptable que la scénographie d’un musée se contente d’une liste de pièces entassées dans une salle, sans pouvoir développer ni transmettre au visiteur une information sur ce qu’il voit. Il est aussi regrettable de trouver des pancartes explicatives portant les noms de célèbres pharaons, écrits différemment à chaque fois, ainsi que les dates et les dynasties, la police et la traduction, etc. C’est un travail compliqué, mais nous sommes actuellement sur la bonne voie. Pour régler ce problème, nous avons besoin d’un seul guide, rassemblant tous les termes archéologiques, qui serait la référence pour tous les musées du monde.
Un papyrus de 20 m de long, restauré et exposé dans la nouvelle muséologie de la salle de Toya et Youya au Musée du Caire.
— Comment peut-on améliorer l’exposition des pièces antiques et les rendre plus attractives ?
— D’abord, il faut bien déterminer le message que chaque musée veut transmettre, pour ensuite lui créer sa propre vision. Puis, nous avons besoin de faire des études approfondies pour bien choisir et classifier les pièces. Pour ce faire, il faut créer une banque de données détaillée qui permet de choisir facilement les pièces à exposer, d’avoir des informations détaillées sur chacune d’elles, sur ses dimensions, son lieu de découverte, son historique de restauration et autres. Si on partage les informations de tous ces domaines, on pourra arriver aux résultats visés et à une bonne muséologie.
— La muséologie est-elle une science à étudier ou une discipline à pratiquer ?
— Aujourd’hui, le terme de la muséologie se définit dans le monde entier comme un ensemble de théories et méthodes scientifiques liées au champ muséal. C’est un travail compliqué de recherches et de synthèses. Le terme « muséologie » est extrêmement vaste. Il faut avoir une idée, la développer et ensuite chercher les pièces les plus pertinentes, y apporter un complément d’informations, et les meilleures conditions d’exposition ; d’éclairage, de peinture, de vitrines et autres.
La muséologie est à la fois une science et une discipline, qui étudie la vie muséale et ses interactions avec l’environnement qui l’entoure. C’est un gros challenge. Et pour le réussir au mieux, nous devons profiter des nouvelles générations qui ont étudié cette science dans les universités égyptiennes d’archéologie.
— Avec l’inauguration de nouveaux musées, notamment régionaux, peut-on dire que l’Egypte possède aujourd’hui des musées dotés de visions modernes ?
— La vision des musées régionaux a changé au cours des dernières années car leur objectif est devenu plutôt éducatif. Par exemple, celui de Kafr Al-Cheikh, qui devrait être inauguré cette année, a pour thème essentiel la science et les contributions égyptiennes. Pour ce, nous avons collaboré avec les facultés de médecine et de pharmacie pour montrer l’évolution de la médecine depuis l’antiquité jusqu’à l’époque contemporaine.
— Etes-vous contre l’exposition de grand nombre de pièces, et de la muséologie basée sur une ligne chronologique que l’on voit un peu partout ?
— Les musées ne sont pas des entrepôts où l’on conserve les pièces. On doit savoir classer les pièces de sorte qu’elles soient explicatives et en faire un scénario qui puisse donner une idée claire aux différents visiteurs. On doit déterminer le public ciblé pour établir un thème de manière attrayante, voire ludique. Le classement des pièces, la mise en valeur de chaque collection, la médiation, l’animation, l’éclairage, etc. Tous ces enjeux doivent être pris en considération lors de la planification d’une salle dans un musée.
— Il faudrait donc de nouvelles approches pour attirer le public ?
— La muséologie doit être nouvelle, attrayante, et pourquoi pas choquante. Il faut que chaque pièce conduise à une autre et qu’elle apporte une information complémentaire, aidant à développer l’histoire racontée. On doit classer les pièces d’une manière à captiver le public tout en facilitant son cheminement à travers l’exposition.
Je rêve aussi de faire une sorte de livret pour les jeunes dans chaque musée, dans lequel ils répondraient à des questions.
— Combien de temps estimez-vous nécessaire pour mettre en place tous ces changements ?
— Une fois que l’idée muséologique est claire, le travail pour concrétiser un scénario dure au moins deux ans, le temps de l’étudier et ensuite de bien choisir les pièces qui seront exposées. Ce plan de travail est donné à une compagnie qui s’occupe des vitrines et des équipements de son et lumière.
— Le Grand Musée égyptien (GEM) et celui de la civilisation à Fostat, le NEMEC, ont emprunté beaucoup de pièces aux différents musées. Aujourd’hui, certains musées craignent d’être vidés de leurs trésors. Qu’en pensez-vous ?
— Les musées doivent se compléter. Et pour cela, ils doivent échanger des pièces entre eux. Malheureusement, en Egypte, chaque musée s’attache à sa collection, même si elle ne contribue pas à enrichir son scénario. Or, on doit tous collaborer pour permettre la réalisation de ces projets nationaux. De plus, le touriste veut voir le plus grand nombre de monuments possible au cours de son séjour en Egypte, dans un seul endroit. Il n’a pas le temps de visiter tous les sites archéologiques du pays.
— Peut-on changer le scénario muséal dans les anciens musées ? Plus précisément, peut-on moderniser le Musée égyptien du Caire ?
— Tout le monde parle du sort du Musée égyptien du Caire, surtout après les nouveaux projets du GEM et le NEMEC. On ne peut pas du jour au lendemain décider de tout recommencer. Les gens sont attachés à ce musée sous cette forme. D’autre part, le musée en tant que bâtiment est devenu historique et l’on doit le conserver. C’est le premier édifice fondé en Egypte pour être un musée. Il continuera de conserver les antiquités égyptiennes, soit 5000 pièces, et ses vitrines de valeur. Mais ces dernières années, force est de constater que certaines salles étaient devenues un entrepôt pour les pièces antiques et non plus un musée. Nous allons changer cela.
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