Malgré l’importance historique de l’ancienne ville de Manqabad, celle-ci reste peu connue par le grand public. Située entre la rive ouest du Nil et la montagne, à 7 km au nord-ouest d’Assiout, en Moyenne-Egypte, la ville de Manqabad renferme les vestiges du monastère d’Abou-Nefer (l’ermite Onuphrios en grec). « Bien que les enseignements d’Abou-Nefer soient répandus partout dans le bassin méditerranéen — en Italie, en Turquie, en Allemagne — et même aux Etats-Unis, le monastère de Manqabad est l’unique évidence archéologique qui porte son nom trouvée sur le territoire égyptien jusqu’à présent », déclare Ezzat Salib, ex-directeur général du département de restauration au ministère des Antiquités. Par ailleurs, l’abbé Nefer est l’unique saint qui porte un nom en hiéroglyphe, qui veut dire « le beau chef ».
C’est la vaste superficie du monastère, qui est de 86 feddans, soit 92 000 m2, l’état déplorable de ses vestiges et son importance historique qui ont poussé une mission égypto-italienne, en 2011, à lancer un projet de restauration, de préservation et de valorisation de toute la ville antique, afin de la protéger. Ce projet est financé par le ministère italien des Affaires étrangères ainsi que le Département des études asiatiques, africaines et méditerranéennes et le Centre interdépartemental des services pour l’archéologie de l’Université de Naples, (l’Orientale). Le budget change d’une année à l’autre, en fonction des possibilités des institutions concernées. « Bien que le projet ait démarré en 2011, seules deux missions ont travaillé sur le chantier, l’une en 2014, et une autre qui a repris les travaux fin 2018 », explique Rosanna Pirelli, directrice de la mission égypto-italienne de l’Université de Naples, (l’Orientale), qui opère à Manqabad. « Bien que la mission ait l’autorisation de nettoyer le site et de le préserver, sans faire la moindre fouille, de nombreux objets ont été trouvés », précise son adjointe, Paola Buzi, de l’Université de Rome, (La Sapienza).
L’enceinte du monastère d’Abou-Nefer comprend des églises, des ermitages et des réfectoires qui sont encerclés par une épaisse muraille de 340 x 270 m. Au centre de cette enceinte se trouvait un grand bâtiment, connu sous le nom de « qasr », ce qui signifie le palais — la seule construction en pierre rouge de toute la cité. Les archéologues pensent que ce qasr a été fondé vers la fin du IVe ou au Ve siècle et qu’il a été abandonné à l’époque romaine tardive. Abou-Nefer l’a sélectionné afin d’y mener sa vie d’ermite. Une vie qui a duré 70 ans. « C’est probablement la résidence où ont vécu ensuite les chefs du monastère qui sont venus après Abou-Nefer », assure Salib. « En dehors de cette enceinte se trouvait aussi un grand nombre de manchoubiyas — de petits monastères — en brique crue, et formés de deux ou trois étages qui, à leur tour, étaient encerclés par une autre grande muraille. Chaque manchoubiya était habitée par un grand ermite accompagné de trois ou quatre de ses élèves », précise Salib, ajoutant que pour 10 manchoubiyas, il y avait une église pour la prière. A l’origine, ce secteur abritait 40 manchoubiyas, et au fil du temps, elles ont été transformées en habitations.
Riches découvertes
« A l’époque ottomane, ces constructions sont devenues des logements militaires. Le lieu a vu une grande bataille entre les Mamelouks et les troupes égyptiennes de la région vers le début du XIXe siècle. La fin des Mamelouks en Haute-Egypte est marquée par cette bataille », souligne Salib. C’est la raison pour laquelle la partie nord de la cité est riche en couches archéologiques qui retracent son histoire. Lors des travaux de nettoyage et de restauration, les membres de la mission ont découvert des images religieuses ornant les murs de ces logements. Celle de la Vierge est la plus fréquente. En outre, la mission a mis au jour une peinture représentant la Vierge, saint Appa Jérémie et les Archanges Michael et Gabriel, ainsi que des scènes montrant d’autres saints. « Parmi les trouvailles les plus précieuses figurent les ornements floraux et géométriques qui décorent les fenêtres et les portes des logements, ainsi que des vases ornés bien conservés », souligne Paola Buzi.
D’après les archéologues, le monastère d’Abou-Nefer, voire le site de Manqabad, était fréquemment visité au fil des siècles. « Le prince voyageur Ahmad Kamal pacha l’a visité vers les débuts du XXe siècle », indique Rosanna Pirelli.
En 1975, une mission égyptienne, dirigée par l’archéologue Abdel-Rahman Abdel-Tawab, a dégagé « les vestiges de plusieurs églises et lieux d’ermitage datant du IVe au VIIe siècles, des maisons coptes, des pressoirs ainsi que les vestiges d’une mosquée dont le style architectural se rapproche de celui d’une chapelle », explique Dr Ahmad Awad, directeur général des monuments islamiques et coptes à Assiout.
Neuf ans plus tard, en 1984, une nouvelle mission a dégagé à Manqabad les vestiges d’une autre église et d’autres lieux d’ermitage, dont les murs sont ornés de décorations et de fresques narratives. En 2010, une troisième mission égyptienne a opéré sur le site.
Selon Rosanna Pirelli, les missions égyptiennes ont mis au jour quatre églises de style basilique, dont les chapiteaux des colonnes de forme corinthienne sont ornés de feuilles de raisins et de palmiers. Les autels de ces églises sont ornés de peintures de saints, de caractères coptes et de versets de l’Evangile. Par ailleurs, une liste des saints du VIIe siècle a été trouvé : Appa Jérémie, Appa Enoch, Amma Sybilla et l’archange Michael, « qui sont aussi les saints vénérés au monastère d’Appa Jérémie, à Saqqara », souligne Pirelli. Les missions égyptiennes ont également dégagé des réfectoires, des rangées d’ermitages, des habitations et des pièces de monnaie en or. Ces dernières sont exposées au Musée islamique du Caire et au Musée de Mallawi de Minya. Sans oublier les 600 épitaphes en copte et conservés dans les dépôts du ministère des Antiquités.
Parmi les trouvailles les plus importantes et intéressantes faites par les missions égyptiennes se trouve un bain romain avec tous ses équipements architecturaux et réseaux sanitaires. « Nous sommes en quête du lien entre les saints du monastère d’Abou-Nefer et le bain romain », affirme la directrice de la mission égypto-italienne. En fait, les travaux de la mission sont préliminaires, alors que les prochaines saisons devraient permettre de découvrir davantage de secrets. L’objectif essentiel de la mission est de mieux étudier la partie nord des logements tout en les préservant. « Nous sommes également très intéressés à comprendre les différentes phases de construction du monastère. Nous voulons protéger et valoriser le site, afin qu’il fasse partie des circuits touristiques et culturels. C’est un site archéologique merveilleux, qui mérite d’être visité », conclut la directrice.
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