Le lac, le casino, les pédalos, les spectacles de dauphins, les cygnes, la pelouse, tels sont les souvenirs relatifs au jardin du Merryland, l’un des plus grands parcs non seulement d’Héliopolis, mais de tout Le Caire. Après plus de 10 ans de fermeture pour cause de réaménagement, le parc a été rouvert au public en avril dernier, la première phase des travaux, dont le budget était de 48 millions de L.E., ayant été achevée. Cette phase concernait les surfaces vertes, qui s’étendent sur 40 000 m2, avec deux fontaines munies de lumières, des chutes d’eaux et des pergolas. Assise sur le gazon, à l’ombre d’un grand arbre, Mariam Labib, professeure, semble attendre quelqu’un. « J’attends ma tante qui vient du gouvernorat de Minya avec ses fils et leurs enfants pour une visite au Caire. Dès qu’ils avaient su que le Merryland avait été rouvert au public, ils ont insisté pour y aller. On y a beaucoup de beaux souvenirs d’enfance. Le lac artificiel était notre lieu de prédilection où on venait nourrir les cygnes ou faire un tour en pédalo », raconte Mariam. Elle garde surtout un souvenir lumineux des spectacles de dauphins, le Merryland étant le seul endroit où l’on pouvait assister à de tels shows en Egypte à cette époque.
(Photo : Moustapha Emeira)
Pour Moustapha Bakir, ancien général de l’armée égyptienne, qui habite à Héliopolis depuis les années 1950, le Merryland est plus qu’un jardin, c’est un parc mythique, un symbole d’Héliopolis, comme le métro ou le palais du Baron Empain. « A mon époque, les jeunes couples s’y retrouvaient pour passer d’agréables moments, surtout dans le casino, où on écoutait de la musique et dansait. On vivait l’atmosphère libérale des premières années de la Révolution de 1952 », raconte Bakir. Et d’ajouter qu’il a assisté à plusieurs mariages de ces amis dans ce jardin, qui accueillait chaque semaine des groupes musicaux et des danseuses renommées, comme Soheir Zaki ou Nagwa Fouad.
Avant 1952, la surface faisait partie d’un hippodrome qui accueillait les courses de chevaux auxquelles assistait le roi. En 1958, suite à la nationalisation, l’hippodrome a été transféré dans la région du club Chams, toujours à Héliopolis. A sa place, l’ancien président Gamal Abdel-Nasser a érigé le Merryland, un immense parc à l’image de ceux qu’il avait vus aux Etats-Unis. Bakir n’est pas le seul Héliopolitain attaché au Merryland. Nahed Youssef, pharmacienne de 75 ans, vit dans le quartier depuis son enfance et habite un appartement avec vue sur le Merryland. « J’ai été témoin de l’inauguration de ce parc en 1958. C’était le lieu de divertissement privilégié de la classe moyenne du Caire entier, non pas des Héliopolitains seulement. Le prix modéré des billets d’entrée nous permettait d’aller une ou deux fois par mois nous divertir et dîner au casino. C’était la politique de l’époque nassérienne : présenter de bons services à bon prix pour tout le monde », explique Nahed.
Lieu de tournage de films
Salma Hussein, 46 ans, journaliste qui a habité juste en face du Merryland depuis sa naissance et jusqu’au début des années 2000, avant de se marier, garde, elle aussi, d’excellents souvenirs du parc. « Le Merryland, pour moi, c’est l’amour et la fête. Les recoins du jardin étaient un abri pour les amants qui y trouvaient une ambiance romantique et idéale pour leurs rencontres. Les jours fériés étaient très animés, que ce soit dans le jardin même ou aux alentours. Mon balcon, avec sa baie vitrée, m’offrait une vue panoramique imprenable sur le parc. Je pouvais tout voir : les balançoires, les chevaux et les marchands ambulants partout de bon matin. Les jours de fête, les gens faisaient la queue à l’entrée du jardin », raconte-t-elle. Et d’ajouter que le Merryland était connu pour ses bons services à des prix abordables, puisque, jusqu’à sa fermeture en 2005, le billet coûtait 2 L.E. en semaine et 5 L.E. les jours fériés.
Malheureusement, cela a aujourd’hui changé, puisqu’après la réouverture, le prix du billet d’entrée a atteint 20 L.E. en semaine et 30 L.E. le week-end. « Pendant les dernières vacances de Pâques, il y a eu presque une manifestation à l’entrée du jardin à cause des tickets d’entrée. En fait, le prix des tickets les jours de fête est de 50 L.E., ce qui est trop pour un employé de la classe moyenne. Il y a beaucoup de familles qui ont refusé d’entrer et sont parties désespérées », raconte Abdallah Al-Azab, propriétaire d’un kiosque juste en face du Merryland depuis plus de 30 ans.
(Photo : Moustapha Emeira)
Le parc du Merryland est aussi connu pour avoir été le lieu de tournage de plusieurs films dans les années 1960, l’âge d’or du cinéma égyptien. L’hippodrome a par exemple servi de cadre à une scène du film Nahr Al-Hob (le fleuve de l’amour), réunissant les deux grandes stars du cinéma égyptien, Omar Al-Chérif et Faten Hamama. En outre, les rencontres des héros du film Al-Wessada Al-Khaliya (le coussin vide), le grand chanteur Abdel-Halim Hafez et la comédienne Lobna Abdel-Aziz, ont eu lieu au Merryland.
L’attachement des Héliopolitains au Merryland s’est révélé en 2015, lorsque la société Misr Al-Guédida pour le logement, propriétaire du parc, y a abattu les vieux arbres plantés dans les années 1960. Les habitants ont lancé des campagnes de mobilisation sur les réseaux sociaux contre ce « massacre », comme ils l’ont appelé. Selon Ali Moustapha, ancien PDG de la société, les autorités ont exigé la construction d’un parking en vue de l’ouverture, prévue après la deuxième phase de réaménagement, de nouveaux restaurants et cafés dans le parc. « On a replanté ces arbres dans un autre périmètre du jardin », précise Moustapha. La seconde phase de réaménagement comprend aussi la réhabilitation du lac artificiel, du casino et d’un parc de divertissement pour les enfants. « Cette phase s’étendra sur une superficie de plus de 50 000 m2. Son achèvement est prévu dans six mois », explique Ahmad Hamza, employé du jardin.
En attendant, les pelouses du Merryland sont prêtes à accueillir les Cairotes pour des pique-niques et des jeux, notamment pendant la fête du petit Baïram et les vacances d’été.
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