23 700 pièces d’antiquités de différents pays, dont 118 égyptiennes, avaient été perquisitionnées dans un conteneur dit « diplomatique » au port de Naples, en Italie, en provenance du port d’Alexandrie en mai 2017. Un an après, soit le 21 mai dernier, l’affaire a été publiée dans les médias italiens. Suite aux fortes accusations d’intellectuels égyptiens sur les réseaux sociaux, le ministère égyptien des Antiquités a expliqué, dans un court communiqué de presse publié le 23 mai, qu’il avait été informé de l’affaire depuis mars dernier.
C’est en effet le 14 mars 2018 que la police italienne a informé l’ambassade d’Egypte à Rome qu’elle avait saisi des pièces archéologiques dans un conteneur à Naples. A son tour, l’ambassade a immédiatement signalé l’incident au ministère égyptien des Affaires étrangères. Celui-ci a informé le ministère des Antiquités, qui a chargé un comité archéologique spécial de vérifier l’authenticité des objets saisis.
« Nous avons été informés de cette affaire en mars dernier par le ministère des Affaires étrangères. A la demande des autorités italiennes, qui mènent l’enquête, nous examinons les photos des pièces et rédigeons un rapport sur l’authenticité des objets tout en gardant l’affaire confidentielle dans l’intérêt des investigations », explique Chaaban Abdel-Gawad, chef du département de la récupération des pièces antiques au ministère des Antiquités. « Examiner les photos ne constitue que le premier pas pour faire revenir les pièces pour l’Egypte », souligne Abdel-Gawad. Il explique que les objets concernés viennent probablement de fouilles illicites, car aucune des pièces n’est documentée dans les registres du ministère.
(Photo : Ministère des Antiquités)
Suite à une réunion avec le conseiller italien Stefano Catani, chargé des affaires de l’ambassade italienne au Caire, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ahmad Abou-Zeid, a déclaré que le conteneur diplomatique appartenait à un citoyen italien arrivant du port d’Alexandrie. Cependant, « le côté italien, qui n’a pas pu fournir plus d’informations, a promis de nous informer des précisions supplémentaires le plus tôt possible après avoir obtenu l’autorisation des enquêteurs », indique le porte-parole.
Selon les agences de presse italiennes, les objets égyptiens perquisitionnés constituent un « trésor inestimable ». Parmi eux, un masque en or, des poteries de différentes époques, des parties de sarcophages, des pièces de monnaie ainsi qu’un bateau funéraire avec 40 rames. « Il est vraiment difficile de vérifier l’authenticité des pièces à travers des photos ou même des vidéos, et il vaudrait mieux que des archéologues se rendent à Naples pour une inspection. Mais en tant qu’expert en égyptologie, j’estime que la plupart des pièces trouvées remontent aux époques tardive et gréco-romaine », souligne l’archéologue Magdi Chaker, assurant qu’Alexandrie constitue le centre des antiquités remontant à ces époques. La presse italienne indique, quant à elle, que les pièces proviennent de la péninsule du Sinaï et ont été transférées au port alexandrin.
Trafic illicite
(Photo : Ministère des Antiquités)
Bien que les pièces égyptiennes ne représentent que 0,5 % des objets saisis à Naples, un autre problème a été fortement débattu suite à l’éclatement de cette affaire, à savoir celui des méthodes utilisées pour faire sortir des pièces via les ports égyptiens. « Il y a plusieurs méthodes, dont la plus fréquente est celle de mélanger des répliques à de vraies pièces pour faciliter leur sortie du pays, ainsi que de falsifier des papiers pour pouvoir les vendre en Europe », explique Hamdi Hammam, chef de l’administration centrale des ports et des unités des antiquités.
Aux astuces des trafiquants s’ajoutent les procédures et le manque de communication dans les douanes. Les archéologues travaillant aux frontières ne disposent pas de l’autorité d’inspecter les conteneurs. Seules les autorités douanières ont ce pouvoir, mais ne montrent les pièces aux archéologues qu’en cas de doute quant à leur authenticité. C’est ainsi qu’en mars dernier, un sarcophage pharaonique, dissimulé à l’intérieur d’un canapé, est sorti à l’est du pays en destination du Koweït, où il a été saisi. Mais il existe aussi des exemples de succès. « Au port d’Alexandrie, l’administration centrale des ports a saisi 30 pièces de monnaie au cours de la même semaine, dont la plupart remontent à l’époque gréco-romaine », dit Hammam, tout en ajoutant que près de 3 000 objets antiques ont été saisis en 2017.
Quelques exemples des objets saisis en Italie. (Photo : Ministère des Antiquités)
Le trafic illicite d’antiquités est devenu un vrai casse-tête pour les différents pays, surtout pour l’Egypte. « On doit éradiquer ce trafic illicite à la racine », dit Abdel-Gawad, assurant que l’Egypte a réussi à récupérer, au cours des deux dernières années seulement, des milliers d’objets. Or, il n’est pas toujours facile de récupérer des pièces sorties illégalement du pays, et ce, à cause de lacunes dans les conventions internationales. « Il faut mettre en place des conventions bilatérales avec différents pays pour régler les lacunes au niveau des conventions internationales », souligne Abdel-Gawad. Il assure qu’après l’enquête menée par la police italienne et étant donné l’existence d’un accord égypto-italien dans ce domaine, les autorités italiennes vont pouvoir restituer ces pièces à l’Egypte.
Le sarcophage saisi au Koweït. (Photo : Ministère des Antiquités)
Le problème est d’autant plus important que le trafic des biens culturels ne menace pas seulement le patrimoine mondial, mais il est aussi devenu une source importante de financement d’actes terroristes, notamment après l’assèchement des sources financières venues du commerce d’armes ou de drogues. Face à cette menace, les institutions culturelles et policières telles que le Conseil international des musées (ICOM), l’Unesco et Interpol doivent mener une lutte active pour arrêter le pillage des biens culturels. Sensibiliser l’opinion publique est aussi important d’après l’archéologue Magdi Chaker, qui assure que ce sont les nouvelles générations qui défendront les biens culturels contre le pillage, la destruction et le trafic illicite.
Lien court: