Les destructions des sites archéologiques doivent prendre fin et le patrimoine culturel doit être préservé. C’est autour de ce concept que 13 chefs d’Etat et plus de 40 pays ont assisté à la conférence sur la protection du patrimoine en péril qui s’est tenue vendredi et samedi derniers à Abu-Dhabi, aux Emirats arabes unis, en marge des préparatifs de l’ouverture du Musée du Louvre d’Abu-Dhabi en 2017. En fait, l’idée de cette conférence avait surgi au mois de mai 2016 par la France et les Emirats arabes unis sous le patronage de l’Unesco, afin de donner un signal d’alarme sur le danger de la destruction continuelle du patrimoine culturel, surtout au Proche-Orient, dans la zone arabe également dans le monde islamique.
Cette conférence s’est axée sur trois thèmes. La prévention, comment empêcher un patrimoine de tomber dans les mains des destructeurs, l’urgence de l’intervention pour la lutte contre des trafics illicites et la réhabilitation post-conflit pour des monuments qui auraient été endommagés ou détruits. « C’est la première fois que des pays, mais aussi des organisations, des experts et des donateurs se rassemblent pour protéger les biens communs de l’humanité et pour se donner les moyens d’y parvenir », a souligné le président français, François Hollande, lors de la conférence. « C’est une occasion unique de mobilisation des Etats, alors que les risques encourus par le patrimoine n’ont jamais été aussi importants. Un rendez-vous qui marquera l’Histoire dans la lutte contre le fanatisme » a-t-il ajouté.
Lors de la session finale, les Etats membres se sont mis d’accord à prendre des décisions positives et concrètes. Ils ont exprimé leur soutien à la coalition mondiale « Unis pour le patrimoine », lancée par Irina Bokova, directrice de l’Unesco, il y a presque un an, qui envisage à protéger le patrimoine contre les destructions et les trafics illicites. De même, ils se sont mis d’accord au respect des valeurs universelles telles que les conventions internationales successives de La Haye (1899,1907, 1954 et son second protocole en 1999), qui imposent la protection de la vie humaine ainsi que les biens culturels en période de conflit, dénonçant ainsi les destructions des monuments historiques par des groupes djihadistes dans le Moyen-Orient et en Afrique.
Fonds international
Pour y faire face, les participants à la conférence se sont engagés à créer un fonds financier et un réseau de refuges pour mettre à l’abri des biens culturels en péril. « Notre objectif est de collecter pour le fonds au moins 100 millions de dollars, et nous pouvons y parvenir », a annoncé M. Hollande confirmant que la France y contribuerait à hauteur de 30 millions de dollars. En effet, la création d’un fonds international a pour but de protéger le patrimoine culturel en péril en période de conflit armé, de financer des actions préventives ou d’urgence, de lutter contre le trafic illicite des biens culturels ainsi que de participer à la restauration des sites endommagés. « Bien que les mesures entreprises soient insuffisantes, l’Unesco a connu des succès à Tombouctou, dont le patrimoine a été fort endommagé d’auprès des groupes extrémistes armés depuis 2012, mais vu le grand projet de protection lancé par l’organisation mondiale en 2014, c’est en 2015 que la ville malienne a repris sa beauté d’antan et son patrimoine a été réservé », explique Mohamed Bouabdallah, conseiller culturel et directeur de l’Institut français d’Egypte, qui a été témoin de cette expérience.
En Syrie, la vieille ville d’Alep est le théâtre de combats intenses depuis quatre ans. De très nombreux monuments ont été détruits pendant les bombardements successifs. D’après l’Onu, 290 sites archéologiques sont en danger en Syrie, dont 6 sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco : les vieilles villes d’Alep, de Bassorah et de Damas, le site de Palmyre, le Crac des Chevaliers et la Citadelle de Salaheddine, et les « villes mortes » du nord du pays.
Pendant la session de clôture, le prince héritier d’Abu-Dhabi, cheikh Mohamad bin Zayed Al Nahyane, a prévenu que le patrimoine culturel était plus que jamais menacé par les guerres et les groupes extrémistes et terroristes qui veulent détruire la mémoire des peuples. « Notre responsabilité est commune pour protéger ce patrimoine pour les générations futures », a-t-il souligné, appelant tous les pays du monde à agir contre le trafic des antiquités, notamment celles provenant « des pays arabes, victimes de violence et de terrorisme ». Pour sa part, la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, s’est félicitée de « la mobilisation historique », y voyant « une volonté politique inédite ». « C’est un acte de foi (...) pour vivre ensemble », a-t-elle souligné, en rappelant que « la culture est l’âme des peuples ». Résumant un sentiment partagé par les participants, la ministre française de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, a souligné pour sa part l’urgence de lancer des actions. « Nous partageons ensemble le souhait de ne plus être des spectateurs silencieux des destructions massives de biens culturels », a-t-elle affirmé.
D’autres recommandations ont eu lieu lors de la session de clôture : celle de la création d’un réseau international de refuges pour protéger et conserver de manière temporaire, conformément au droit international et à la demande des Etats concernés, les biens culturels mis en péril par les conflits armés ou le terrorisme, en dernier ressort. C’était l’une des propositions du rapport remis par Jean-Luc Martinez, directeur du Musée du Louvre, qu’il avait présentées dans l’enceinte de l’Unesco le 17 novembre dernier.
Les Etats membres ont renforcé le rôle éminent des Nations-Unies et des institutions qui en relèvent, en particulier l’Unesco, ainsi que le rôle du Conseil de sécurité qui doit solliciter son appui à la réalisation des objectives mondiales pour préserver le patrimoine culturel aux générations futures conformément à la réconciliation de l’Onu. Le président français a fixé trois priorités : la lutte contre les trafics, l’accueil des biens culturels menacés, comme celui des réfugiés, et la conservation de la mémoire des sites détruits.
Interpol au coeur de l’action
Le patrimoine est non seulement détruit, il est aussi utilisé pour financer le terrorisme. Pour assécher le marché illicite, Interpol pourra apporter sa contribution. Mais, pour ce faire, l’organisation internationale de police a besoin de documentation. Le pays vulnérable doit établir l’inventaire de ses biens et rassembler le plus de détails possible sur l’objet, l’envoyer ensuite à l’Icom, l’Icomos et Interpol, pour qu’une banque de données soit constituée. « Ne pas le faire serait une démarche irresponsable », ajoute Claire Chastanier, responsable à la Direction générale des patrimoines au service des musées de France.
Afin que cette conférence puisse avoir un caractère rapidement opérationnel, une conférence de suivi sera organisée en 2017, qui permettra d’évaluer la mise en oeuvre des initiatives lancées à Abu-Dhabi et des premiers projets financés par le fonds international. « Ce rendez-vous d’Abu-Dhabi est tout à la fois un aboutissement et un commencement. Il y a du gros travail à faire. Cette rencontre internationale est une volonté d’une opposition totale à la barbarie, et une voie de bâtir l’humanité selon nos valeurs. L’avenir passe par le savoir, la culture et la paix », conclut Jacques Lang, ancien ministre français de la Culture.
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