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Vers l'éclat restauré de la Cité du soleil

Doaa Elhami, Mardi, 16 août 2016

Fondé en 1912, le quartier d'Héliopolis à l'est du Caire a perdu de sa beauté. Des volontés existent cependant pour préserver le patrimoine architectural de cette banlieue cairote. Mais le chemin est encore long.

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La cité Ghernata retrouvera sa splendeur d'antan. (Photo : Mémoires héliopolitaines)

« Héliopolis, c’était l’espace, c’était la clarté. C’était une ville paisible dans laquelle on jouait dans la rue. Héliopolis, c’était les jardins publics. Mais aussi c’était les cinémas jardins où on allait le soir, c’était aussi les jardins du spor­ting club. C’était une ville jardin », témoignait en 1992 le célèbre écri­vain Robert Solé, qui a vécu son enfance à Héliopolis, dans un docu­mentaire diffusé sur Internet.

Bâtie en plein désert il y a plus d’une centaine d’années, à 12 km à l’est de la capitale, cette ville cosmo­polite, ou « Cité jardin », souffre depuis quelques décennies d’une détérioration déplorable. Les bâti­ments patrimoniaux sont désormais délabrés et les jardins disparaissent petit à petit. Le célèbre bâtiment Ghernata, qui inclut un café et un cinéma, situé en face du Merryland, est l’objet d’une forte négligence depuis des décennies. Dans les années 1970, il était devenu une boîte de nuit, mais depuis qu’il a été fermé au public, il a été transformé en garage et ses alentours sont devenus un dépôt d’ordures, de bois et de caoutchouc abîmés. Une véritable déchéance d’un lieu autrefois mythique. Mais comme quoi il ne faut pas perdre espoir, le nouveau chef de la munici­palité, Ibrahim Saber, a annoncé il y a quelques jours que Ghernata sera transformé en théâtre en plein air et sera dirigé par l’Opéra du Caire. Ce complexe architectural retrouvera donc sa splendeur d’antan. Une bonne nouvelle pour Ghernata qui a été éri­gée en 1912. Son architecture suit le style architectural de la fameuse ville andalouse Ghernata (Grenade). C’était dans ce lieu que le roi Farouq, dernier souverain d’Egypte, observait les courses équestres organisées dans l’hippodrome.

La célèbre Héliopolis

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La cité Ghernata retrouvera sa splendeur d'antan. (Photo : Amir Abdel-Zaher)

« La ville jardin » avait attiré, depuis qu’elle a vu le jour, de nom­breuses célébrités, intellectuels et artistes. Parmi eux figurent l’écrivain Abbas Mahmoud Al-Aqqad, la comé­dienne Marie Mounib, la chanteuse Laïla Mourad et bien d’autres. Leurs lieux de résidence varient entre appartements, maisons et villas, dont les murs témoignent de souvenirs les plus précieux. Mais malheureuse­ment, ces lieux mythiques sont mena­cés de destruction et risquent, comme la plupart des villas, d’être remplacés par des immeubles modernes. Citons le cas par exemple de la maison d’Al-Aqqad. « Dans cette maison, j’ai rédigé mes plus chers ouvrages ... », retrace Mahmoud Abbas Al-Aqqad, l'un des plus grands écrivains et pen­seurs du XXe siècle, dans la préface de son livre Ma Maison. Originaire d’Assouan, ce célèbre intellectuel a choisi de vivre dans cet appartement situé à Roxi, un célèbre quartier d’Héliopolis, après avoir passé ses années d’enfance à Manchiyet Al-Sadr et à Daher. Il y a habité pen­dant 38 ans (1926-1964). Vu l’impor­tance architecturale et intellectuelle de cet immeuble, il a été enregistré sur la liste du patrimoine pour sa valeur particulière, afin d’être proté­gé.

Mais il y a quelques années, le bâti­ment a été acheté par un marchand de voitures. Et depuis, l’édifice court un vrai danger. « Le nouveau proprié­taire fait l’impossible pour démolir l’immeuble et construire à sa place un nouveau bâtiment », explique Choucri Asmar, chef du conseil d’ad­ministration de la Fondation du patri­moine d’Héliopolis. Pour lui, « ce genre de personnes ne fait que détruire un patrimoine de valeur pour bâtir d’horribles édifices ». La Fondation, de son côté, tente par tous les moyens de rénover le bâtiment et de transformer l’appartement d’Al-Aqqad en un petit musée. Elle n’est pas la seule à essayer de sauver Héliopolis. Nombreux sont ceux qui tentent de trouver des idées rentables pour ne pas perdre ce patrimoine de valeur. « L’immeuble, qui est de style néoclassique, doit être exploité. Le transformer en musée n’est pas l’ul­time moyen d’exploitation. Les idées sont infinies, à condition qu’elles ne soient pas nuisibles à l’édifice », sou­ligne l’ingénieur Mohamad Abou-Seeda, directeur de l’Organisme de l’harmonisation urbaine. Idée parta­gée par l’architecte Ahmad Mansour, membre de la Fondation du patri­moine d’Héliopolis. « On essaye aussi de convaincre le propriétaire que cet immeuble pourrait être trans­formé en boutique hôtel par exemple. L’immeuble lui offrira de considé­rables revenus », reprend Asmar.

Souffrance d’une comédienne

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La villa de Laïla Mourad, vedette des années 1950, demande à être préservée.

La maison du penseur Abbas Mahmoud Al-Aqqad n’est pas l’unique exemple de négligence. Celle qui abritait la célèbre comé­dienne Marie Mounib subit le même sort. Son appartement qui se dresse dans la rue Somal, située à Korba, au coeur d’Héliopolis, suit un style architectural « éclectique ». « Les façades sont ornées de motifs islamiques, les vérandas sont cou­vertes de protecteurs de bois de style du moucharabieh arabe, tan­dis que l’entrée est gravée d’une légende romaine. Une harmonie architecturale rarement rencontrée hors d’Héliopolis », explique l’ar­chitecte Ahmad Mansour. Ce bâti­ment, composé de trois étages, a été construit en 1912. Catherine Ratle, originaire d’Assiout, en était la pre­mière propriétaire avant qu’il ne soit acheté par la suite par la comé­dienne Marie Mounib. « Lorsque Marie Mounib a acheté la maison, elle voulait s’assurer que nous nous sentions bien chez nous », se sou­vient hadja Nafissa, la plus ancienne habitante qui occupe un petit appar­tement situé sur le toit de l’im­meuble, avec sa famille depuis les années 1940. Son voisin Ossama se rappelle le chanteur Amer Mounib qui y avait installé un studio musi­cal. « Beaucoup de chanteurs et d’acteurs tels Ihab Tewfiq et Mamdouh Abdel-Alim venaient ici », se souvient-il. Pour lui, le malheur a commencé en 1996, lorsque les héritiers ont vendu l’im­meuble dans le but de le détruire. Le nouveau propriétaire a expulsé les habitants sauf ceux du toit, et a enlevé toutes les anciennes portes et fenêtres d’une grande valeur pour les vendre. Même le jardin, qui comprenait des manguiers, des goyaviers et des grenadiers, a été complètement déserté. « Autrefois, ce jardin, à lui tout seul, nourrissait tout l’immeuble et même les voisins des autres immeubles », se rappelle Howaïda, l’une des habitants du toit qui abrite désormais 40 individus. Elle déplore le fait qu’aujourd’hui, des « voyous » occupent une partie du jardin et l’ ont couvert d’un énorme kiosque, une sorte de supé­rette. Or, ce dernier vient d’être détruit par la municipalité. « Mais ils ont gardé des affaires comme des réfrigérateurs et cartons. On a donc peur qu’ils reviennent et reconstruisent le kiosque », s’in­quiète Ossama. Pire encore, le pre­mier étage est occupé par un ven­deur de falafel et dont les odeurs et la fumée sont insoutenables pour les voisins du toit qui s’en indi­gnent. Car pour eux, il ne s’agit pas seulement d’un problème de voisi­nage, mais de tout un patrimoine qu’il faut préserver.

Non loin de ces bâtiments, à la place Ismaïliya, se dresse majes­tueusement la villa de la diva Laïla Mourad. Cette villa témoigne des chants romantiques de l’une des plus grandes chanteuses et icône égyptienne du siècle dernier. Par générosité, elle a demandé de trans­former sa demeure en maison d’ac­cueil pour les vieilles personnes. Une demande qui a été respectée seulement pour quelques mois. Aujourd’hui, elle est désertée et a perdu toute sa splendeur d’antan. Le même sort qui est réservé à une centaine d’autres bâtiments et villas héliopolitains. Un patrimoine archi­tectural et culturel unique et pré­cieux de cette Cité du soleil, et dont le sort semble condamné à moins qu’il n’y ait une véritable interven­tion de la part des autorités munici­pales.

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