La reprise de la ville de Palmyre par l’armée syrienne a redonné de l’espoir aux archéologues des antiquités syriennes : La civilisation de Palmyre n’est plus en danger. « La cité antique redeviendra comme avant », a affirmé le chef des antiquités syriennes, Maämoun Abdel-Karim. « La plupart des trésors détruits par Daech à Palmyre pourront être restaurés. Je suis surpris par l’état presque intact de nombreux vestiges comme l’agora, les bains, le théâtre romain ou encore les murailles de la cité qui ont été légèrement endommagées », ajoute-t-il, soulignant que 80 % des ruines antiques étaient en bon état. « Si nous avons l’approbation de l’Unesco, il nous faut cinq ans pour restaurer les bâtiments détruits et endommagés par l’EI », estime-t-il. Les travaux pourront alors commencer d’ici un an, une fois que l’Unesco aurait donné son feu vert. « Nous avons le personnel qualifié, nous avons le savoir-faire et nous avons les études », explique-t-il.
Le fait que Palmyre a été sauvée relève du miracle. En mai 2015, elle était tombée entre les mains de Daech. Ce dernier considère les statues humaines ou celles représentant des animaux comme de l’idolâtrie, dont il faut se débarrasser. Daech a donc amputé Palmyre de ses plus beaux temples, ceux de Bêl et Baalshamin, détruits à coups d’explosifs. Et en septembre, il a détruit un certain nombre de tours funéraires de la cité, avant de réduire en poussière le célèbre Arc de triomphe. Abdel-Karim ne nie pas la destruction de ces importants monuments mondialement connus et classés sur la liste du patrimoine de l’humanité, mais il s’attendait à encore pire. « La plus heureuse nouvelle concerne la célèbre statue en pierre calcaire datant du premier siècle av. J.-C. : celle du lion d’Al-Lat, pesant 15 tonnes. Elle ornait l’entrée du Musée de Palmyre. Celle-ci avait été découverte en 1977 par une mission archéologique polonaise dans le temple d’Al-Lat, une déesse préislamique », précise-t-il. Cette statue a été partiellement détruite par le groupe ultraradical. Les différents morceaux éparpillés « peuvent être rassemblés, nous n’avons donc pas perdu cette importante statue », ajoute-t-il.
Les archéologues sont d’ores et déjà arrivés sur place pour procéder à une évaluation de l’état des pierres et de la vieille ville. « Ils photographient et documentent les dommages, et ensuite la restauration pourra commencer », reprend Abdel-Karim. La mission archéologique devrait, selon lui, commencer par s’occuper de la citadelle de Bêl qui se trouve en danger en raison des dégâts subis et ensuite commencer une évaluation de l’état des pierres de Bêl et Baalshamin. Selon lui, si « rien n’a été volé », c’est grâce à la population de la ville qui les a protégés.
Le chef des antiquité syriennes a par ailleurs affirmé qu’il discuterait avec les responsables de l’Unesco des moyens pour restaurer les deux temples, détruits à coups d’explosifs par l’EI. Quant à la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, elle a salué, dans un communiqué, l’offensive menée par l’armée syrienne pour reprendre Palmyre. D’après elle, le saccage de Palmyre, qui a duré près d’un an, est le symbole du nettoyage culturel qui sévit au Moyen-Orient, indiquant que « la destruction délibérée du patrimoine est un crime de guerre ». Bokova a assuré que l’Unesco « mettra tout en oeuvre pour documenter ces dommages afin que ces crimes ne restent pas impunis ». A cette fin, l’organisation onusienne « se tient prête à se rendre rapidement sur place aux côtés des responsables des antiquités syriennes, dès que les conditions de sécurité le permettront, pour une mission d’évaluation des dommages et de protection du patrimoine inestimable de la ville de Palmyre », ajoute-t-elle. Pour elle, la reprise de ce joyau est un véritable bonheur : « Ma joie est indescriptible, nous aurions pu perdre complètement Palmyre ».
Palmyre en ruine
Le lion d'Al-Lat retrouvera bientôt sa place à l'entrée du musée de Palmyre. (Photo : AFP)
En revanche, Annie Sartre-Fauriat, membre du groupe d’experts de l’Unesco pour le patrimoine syrien, ne semble pas partager cet optimisme. Elle se dit « perplexe sur la capacité de reconstruire Palmyre » au vu des destructions considérables et des pillages sur le site et dans le musée, également « ravagé » par Daech. Il ne faut pas oublier tout ce qui a été détruit et la catastrophe humanitaire du pays. « Quand j’entends dire qu’on va reconstruire le temple de Bêl, ça me paraît illusoire. On ne va pas reconstruire quelque chose qui est à l’état de gravats et de poussière. Construire quoi ? Un temple neuf ? Il y aura peut-être d’autres priorités en Syrie avant de reconstruire des ruines », observe-t-elle. Elle, qui reçoit heure par heure des photos et vidéos transmises du terrain par différents sites spécialisés en archéologie. Ainsi, une vidéo qu’elle a reçue montre pour la première fois l’intérieur du Musée de Palmyre, qui avait été transformé par Daech en tribunal. « C’est un vrai saccage. Contrairement à ce qu’on pensait, le musée n’avait pas été vidé des pièces qu’il contenait, car le service des antiquités n’a eu que 48 heures pour emballer, et les pièces monumentales n’ont pas pu être emportées ». Les photos prises sur place montrent des sarcophages martelés, des statues renversées, décapitées et brisées.
Les plaques funéraires, qui sont typiques de Palmyre, « ont été arrachées sauvagement des murs, probablement pour être vendues par Daech sur le marché de l’art », déplore-t-elle. Le monumental lion d’Al-Lat tenant une gazelle entre ses pattes, qui avait été restauré et installé à l’entrée du musée, « a été renversé, martelé, cassé, mais peut-être y a-t-il une possibilité de le récupérer car il n’a pas été pulvérisé ? », souligne-t-elle.
Les crimes de Daech ne se sont pas arrêtés aux monuments. Abdel-Karim explique que cette organisation n’avait pas hésité à utiliser le spectaculaire théâtre romain pour y mener des exécutions de soldats et avait assassiné l’ancien directeur des antiquités de Palmyre, Khaled Al-Assaad, âgé de 82 ans.
Pour Abdel-Karim, ce cauchemar a pris fin « avant qu’il ne soit trop tard », c’est-à-dire avant la destruction totale de la ville antique. « Combien de fois avons-nous eu les larmes aux yeux car nous nous sentions impuissants ? » face à une civilisation « qui était menacée de disparaître devant nos yeux », se souvient-il, espérant ne plus revivre un tel cauchemar, en découvrant d’autres destructions encore plus importantes.
Palmyre antique
Palmyre (cité des palmiers), dont le nom officiel en Syrie est Tadmor (cité des dattes), est une oasis dans le désert située à 210 km au nord-est de Damas. Selon le site de l’Unesco, Palmyre était alors une oasis caravanière lorsqu’elle tomba sous contrôle romain dans la première moitié du Ier siècle et fut rattachée à la province romaine de Syrie. Palmyre devint peu à peu une cité prospère sur la route reliant la Perse, l’Inde et la Chine à l’Empire romain, grâce au commerce d’épices et de parfums, de la soie et de l’ivoire. En 129, elle est déclarée ville libre par l’empereur romain Hadrien et connaît son âge d’or au IIe siècle après J.-C.La ville était « construite selon une structure occidentale, une agora, de grandes rues, un théâtre, des temples. On pouvait presque la comparer à Rome », expliquait, en mai 2015, Marielle Pic, qui dirige le département des antiquités orientales au Musée du Louvre. « Une des caractéristiques de Palmyre, ce sont de grandes tours funéraires à étages dans lesquelles les sarcophages étaient superposés », soulignait-elle.La prospérité de la ville culmina au troisième siècle, à l’époque de la reine Zénobie, qui défia l’Empire romain.
En 267 après J.-C., le gouverneur arabe de Palmyre, Odeinat, est mystérieusement assassiné. Son épouse Zénobie prend le pouvoir. Poussée par son désir de liberté et de gloire, Zénobie prend possession de la Syrie en 270, envahit l’Egypte et lance ses troupes jusqu’au Bosphore, avant d’être renversée en 272 par l’empereur Aurélien.
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