Au pied de la colline Al-Moqattam se trouve l’un des quartiers les plus emblématiques du Caire : la Cité des Morts. Ce cimetière, en partie caché par le périphérique, s’étend sur une superficie de près de 2 km2. C’est ici que les sultans et les émirs mamelouks se faisaient enterrer ornant ainsi le quartier du style architectural si particulier de la période mamelouke.
Ce quartier est un véritable musée à ciel ouvert où se côtoient des monuments funéraires de plusieurs époques. Les habitants, qui n’ont pas tous conscience de la richesse de ce patrimoine, vivent entourés de tombes construites entre le XIIe siècle et la première partie du XXe siècle. Ces habitants, qui vivent dans les tombeaux mêmes, ou parfois dans des habitations de fortune en briques rouges, sont parfois étonnés de voir quelques touristes visiter les tombes. Les caveaux sont abandonnés depuis bien longtemps par les familles des défunts, alors, se disent-ils, est-il bien logique que des touristes viennent les visiter ? Le quartier, mal entretenu, n’attire toutefois pas les foules, car les rues sont étroites, sales et très encombrées. Les rares visiteurs sont généralement accompagnés par les enfants du quartier qui se faufilent, grimpent et « hantant » les mausolées.
Le tombeau du khédive Tewfiq en marbre, et celui de Abbass Helmi en bois, décorent l'entrée de Qobbet Effendina
(Photo: Nasma Réda)
Grâce à un fonds de 200 000 euros débloqué par l’Union européenne, le département du Caire historique du ministère des Antiquités va pouvoir réaménager le quartier. Il s’inscrit dans un programme plus large, initié par l’Unesco, de mise en valeur du patrimoine du Caire, l’objectif étant de développer le secteur au niveau social et architectural, pour attirer plus de touristes. Ce projet permettra aussi aux citoyens d’améliorer leurs conditions de vie créant un pôle d’activité autour du tourisme, avec notamment la construction de restaurants et de cafés.
D’après Mohamad Abdel-Aziz, vice-ministre des Antiquités et directeur du projet, « le projet a été préparé il y a un an, mais le manque de financement constituait une entrave sérieuse ». De son côté, Mohamad Khalil, chef de l’administration de sensibilisation au ministère des Antiquités, estime que « la promotion touristique va encourager les citoyens à s’intéresser à ces monuments qu’ils côtoient et va faciliter les travaux de réaménagement ».
Coupole d’Afandina ouverte au public
La tombe de la princesse Chéwikar sous forme d'un lit en marbre (blanc).
(Photo: Nasma Réda)
Caché par un dédale de ruelles, Qobbet Afandina (la coupole de notre souverain), l’un des trésors architecturaux de la Cité des Morts, surgit au détour d’un carrefour. Il s’agit du mausolée royal construit par le khédive Abbass Helmi II en 1894. Il y repose avec plusieurs de ses descendants et son père, le khédive Tewfiq, qui a régné sur l’Egypte entre 1879 et 1892. Qobbet Afandina avait été restaurée en 2008, mais elle vient d’être ouverte récemment aux visiteurs. Le vieux Am Mahmoud, gardien et servant de l’édifice, n’est pas content de voir les visiteurs y entrer. Il n’a, tout simplement, pas l’habitude. « C’est un endroit saint et les morts doivent se reposer tranquillement », estime-t-il. La maintenance des lieux est actuellement gérée par le ministère des Waqfs. C’est grâce à l’intervention du descendant de cette famille royale, le prince Abbass Helmi III, auprès des autorités que Qobbet Effendina est aujourd’hui rouverte pour les visites, et même pour les prières. Non loin se trouvent les tombes des princesses et des reines de la dynastie, dont notamment la tombe de la princesse Chéwikar, première épouse du roi Fouad (1922-1936). Sur sa tombe trône un lit en marbre blanc surmonté par une couronne royale. A quelques pas de là se trouve le tombeau de la princesse Roqaya Abdel-Halim, décédée en 1952.
Non loin des tombes de la dynastie alide, la famille de Mohamad Ali, se trouvent deux complexes funéraires importants de la période mamelouke. Le premier, construit entre 1505-1507, appartient à l’émir Qurqumas, chef des armées sous le règne du sultan Al-Ghouri. Le second qui appartient au sultan Inal a été construit entre 1451-1456. La visite de ces deux tombeaux est dangereuse, car les sols sont instables. Seul le gardien du ministère des Waqfs, qui possède les clés de ces dédales, peut guider les visiteurs.
Le complexe funéraire du prince Qurqumas comporte plusieurs ailes consacrées aux enseignements religieux, un sabil (fontaine publique) et un kottab (école primaire). « Il s’agit d’un monument ayant un style architectural fin. On y trouve pour la première fois des pièces et des salles d’études suspendues », explique l’historien Ahmad Sérag, qui travaille sur cette zone pour le compte du ministère des Antiquités. Pourtant, « cette grande surface est négligée depuis longtemps », ajoute-t-il. Le khédive Abbass Helmi II, dernier khédive de l’Egypte (1892-1914), avait créé un comité de secours des antiquités après avoir constaté le vol de tout le contenu de cette mosquée. La fermeture de la mosquée par des barreaux en fer avait donc été ordonnée. Malgré la beauté exceptionnelle de l’édifice, le mausolée de Qurqumas est toujours négligé par manque de moyens financiers.
Plus loin se situe le mausolée-mosquée du sultan Barqouq (XVe siècle) avec ses coupoles en pierre. Il s’agit d’un ensemble architectural construit entre 1399 et 1411 qui était un « khankah », un complexe religieux que les soufis utilisaient comme couvent. Dans ce complexe comprenant différents espaces d’enseignement religieux sont enterrés Ibn Barqouq, ses deux fils d’un côté et ses deux femmes de l’autre côté. C’est également le plus grand monument funéraire du Caire avec une superficie de 4 650 m2.
Le sultan Farag bin Barqouq sous son dôme, dans son complexe funéraire
(Photo: Nasma Réda)
Le mausolée du sultan Qaïbay (1416/18-1496) qui a été récemment restauré, reste lui aussi fermé. Il orne aujourd’hui les billets d’une livre. « Le sultan Qaïbay a pris deux ans pour construire son mausolée. Sa coupole, ainsi que son minaret, sont des chefs-d’oeuvre de l’architecture religieuse de l’époque », commente Ahmad Sérag.
Ce quartier, si particulier et très populaire, est encore peu intégré à la ville moderne. Il pourrait davantage s’ouvrir sur la ville lorsque les travaux de réaménagement seront terminés. Pour l’instant, passées 16h, moment où les visites se terminent, le quartier se referme sur lui-même.
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