A la patrie L’exclusion
Sept novembre, c’est le commencement des années de galère,
je ne sais pas quand ça va finir,
les années de la vie commenceront à finir aussi …
La vie s’écoule si vite depuis longtemps !
Tant et si bien que je me rappelle mon premier jour à l’école
la première absence non enregistrée
le premier salut au drapeau
les premiers rangs dans la cour
la première fois qu’on m’a fait sortir pour une faute que je n’ai pas commise …
Depuis ce temps, je suis toujours exclu
sans jamais vraiment compter pour personne.
Depuis ce temps, je suis chassé
de la classe,
de l’école
et du pays …
Des fins ouvertes
Ma mère m’a manqué
et ses prières qu’elle m’accorde à travers une conversation
en téléphonant à l’international
avant de me dire au revoir
avant de me demander quel bon vent m’amène « qu’est-ce que tu as ? »
Et que ma réponse sera : ce que j’ai ? mais je vais très bien …
Oui, dira-t-elle, ta voix a mal, ce qui ne me plaît pas.
Je lui dirai : c’est un rhume passager
mais une larme me trahira.
Allô sera une parole dite, la voix sera lointaine et il faudra après l’avoir prononcée raccrocher.
Mon oncle, le frère de ma mère, me manque également
et ses bras qui vous prennent
avec une odeur de tabac
perdue parmi d’autres bonnes odeurs,
une bonne eau de cologne pour homme,
cet oncle du côté maternel n’a pas eu de fils
je suis son seul fils
il est imprévisible, exactement comme moi,
pour lui un jour ça compte pour une année
il en veut à l’Egypte et maudit le mutisme silencieux
et moi je maudis Hosni et Gamal et tous les gardiens
et on se met à rire.
Je lui dis : mon avion décolle demain.
Il demeure taciturne.
Il sort un paquet de cigarettes.
Il en tire une
et il laisse la cigarette à bout de souffle.
Un coeur de tissu
Les baskets sont usées
à force de tourner dans tes rues
et c’est péché de voir ces chaussures
vénérer une autre terre à part ta terre.
Un coeur de tissu
bien tendu par les ricochets de tes actions,
il porte encore ton parfum et odeur
ce gosse qui a vécu toute sa vie
à solliciter un de tes bienfaits
en espérant voir
son nom mentionné dans tes messages envoyés pour le rassurer que tu sais ton appartenance à son coeur.
Jour et nuit, dans la veille et le sommeil, tu le gardes en toi.
En hiver il te réchauffe
te protégeant dans les moments de danger
et si un instant il se montre cruel
et tu lui en veux à mort, invoquant des prières contre lui,
personne ne trouve repos ou tranquillité,
mais quand les choses sont clarifiées
tu fais de la monnaie
et t’en vas acheter
des baskets qui remplacent les chaussures usées.
On me l’avait raconté autrefois
On me l’avait raconté, quand j’étais petit, autrefois,
aucun être humain ne change de visage ni de fond.
La façade et les masques
ont toujours une vie très brève.
L’inné forme le caractère et les habitudes de l’homme
et écrase toutes les qualités acquises,
par une éducation en plus ou en moins,
empreinte génétique de celui qui s’amuse et prend du bon temps ?
J’aime musarder, par ma nature primitive,
je n’y peux rien, c’est incontrôlable,
je me dis parfois que c’est une période de passage
pourtant, je vois la vie passer vite
alors que j’aime beaucoup traînailler, m’amuser et me dévergonder.
Parader, c’est dans mon sang.
Je l’embrasse toujours au cinéma
elle se met à rire
et je dis à ma petite amie
un peu de retenue !
Je tourne encore dans les rues
sans savoir où aller
à l’aube sur le pont
il n’y a que moi et les deux lions.
Je fredonne l’air d’une chanson
et toi tu viens frôler ma pensée
on sent alors un trémolo dans ma voix
et une larme brille dans mes yeux.
Je sors le cahier des poésies,
je déchire toutes ses feuilles,
et les répands çà et là
aux vents qui les disséminent
sur l’asphalte de la rue.
Ô ma chère dame des dames, je te supplie …
Grâce ! Peux-tu les lire ?
Quitte à les oublier après la lecture
et même à les jeter,
par la force tyrannique de l’habitude,
mes poèmes seront un leitmotiv répété.
Puisque le métier des mots c’est mon métier
et il n’y a que toi dans mes pensées
tous mes poèmes vont demeurer,
et parmi toutes les filles il n’y aura jamais
une autre que toi
dans mes poèmes.
Am Mohamad
Il a terminé la moitié de la durée requise
Et on a ouvert la porte en tôle de sa cellule
On lui a confisqué des affaires en consignation
Son dossier fut retiré des tiroirs,
Am Mohamad est mort de solitude,
Le premier jour après la délivrance.
J’ai fait un voeu
J’ai fait un voeu qui paraissait facile
mais qui m’a damné pour pouvoir le réaliser.
Un voeu qui n’en valait pas la peine
et cette damnation n’a servi à rien.
Ô toi la femme si pure, j’ai fait un voeu,
celui de ne jamais laisser une manif ou un rassemblement
dans les grèves
dans la désobéissance
le bois dur et lourd des gros gourdins
abat et détruit
et les bâtons aussi.
Dans les commissariats,
les soirées se terminent en compagnie des stylos.
Ô la femme pure, j’ai fait un voeu.
J’ai fait un voeu, ô Dessouqi,
celui d’être franc et sincère pour la prise de conscience
des plaies et blessures et du remède nécessaire,
je trouve une solution diplomatiquement pour une vue
plus paisible des choses
et c’est une réconciliation pacifique
J’ai fait un voeu, ô Dessouqi,
j’ai fait le voeu d’Aboul-Abbass
pour que le geôlier boive à la même coupe amère
je rembourse ma dette de ses sous
lui rendant la monnaie de sa pièce.
Je le ligote de ses propres menottes
et l’attache à ses cordes
pour qu’il se brûle au feu qu’il a lui-même allumé
je l’écrase comme il a lui-même écrasé.
J’ai fait le voeu d’Aboul-Abbass,
j’ai fait un voeu, ô Rifai,
une volonté ferme, une intention très solide,
à la force du poignet je vais reprendre mon dû
parce que des gendarmes sont des voleurs,
j’ai visité en pèlerin tous les tombeaux des hommes saints
j’y soliloquais, j’y pleurais, de vraies larmes,
j’ai balayé le quartier de la Sainte, ô Imam,
j’y ai filé chaque mèche de tes cierges, ô Vierge Marie,
j’y ai fait un voeu qui paraissait facile
et même si je meurs, je serai fidèle à ma promesse
car l’objet du voeu est de valeur
puisque vous vivrez après ce voeu.
Moustapha Ibrahim
Il est né à la fin des années 1980. Ses parents quittent l’Egypte pour améliorer leurs finances et garantir un niveau de vie meilleur à leurs enfants. Le jeune poète publie son premier recueil, Western Union, branche des Pyramides, aux éditions Merit, avant le déclenchement de la révolution de janvier 2011. En un an, le recueil devient un best-seller. Moustapha Ibrahim rédige un grand nombre de chansons enthousiastes qui sont chantées pendant la révolution. Grâce à son recueil et ses chansons, Moustapha Ibrahim devient un invité assidu des programmes de télévision. Son deuxième recueil, Al-Manifesto, dont la parution a eu lieu au 44e Salon du livre l’année dernière.
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