Un bracelet en argent à son poignet.
Elle a dit qu’elle n’aime pas l’or.
Sa peau était pourtant d’un brun doré et pur.
Le baiser déposé au creux de sa main n’était pas révélateur.
J’ai dit : rien n’est capable de tout exprimer
car cet amour est plus grand que moi
et n’est pas entouré par l’anneau de mes phrases argentées.
Le cercle se resserre, malgré cela, sans issue.
22 mai 1995.
Ombres d’un arbre
Les ombres du mûrier stérile frémissent entre les bouts de cigarettes sur l’asphalte de la rue.
La cicatrice d’une plaie d’autrefois fait toujours mal.
Je me suis tenu silencieux devant la chose incompréhensible sans interprétation.
22 mai 1995.
La solitude blanche
Je porte en moi la terre de mon exil.
J’ai dit : toi seule tu es ma patrie.
C’est moi, en exil, à nouveau entre les murs de la solitude blanche.
C’était si important qu’il y ait une fenêtre qui s’ouvre sur le ciel ?
Il y avait un seul corbeau, non pas un symbole, devant ma fenêtre quand j’ai souffert.
J’ai trompé la mort, de sa proie, sans présage, sans apaisement.
La terre est aride et désolée
telle que je l’ai toujours connue, ou toujours haïe,
et souffle des vents de douleurs oubliées
jamais disparues.
Ton amour est ma demeure.
Pourquoi le sol de cette rue est-il abandonné ?
Comme un chemin vide des cimetières de Chatbi ?
Ici je repose.
La route de l’exil est très longue
on ne voit plus, hélas, la fin.
L’air de la mer sur la corniche venait frapper mon visage.
Pour quelle raison je me remets à poser des questions ?
Ma maison n’est pas dans cette rue.
Mes pas ressemblent aux pas de l’étranger
sur la terre d’une ville qu’il vient visiter
à l’instant où il sort de la gare
sans guide.
J’ai trébuché sur des pierres négligemment jetées,
des deux côtés de la route.
Ô étrangère, tes pas qui résonnent
dans les chemins de ma vie
sont dissipés par l’écho.
C’était cela le rythme de ma vie
et l’air du chant qui me possède.
Maintenant, le silence bat
le silence, le silence, le silence
d’un pas pesant
imperceptible
un pas, sans bruit, sans écho,
mais qui marque son empreinte.
Et pas un soupir de ce visiteur étranger,
hostile.
Le maître des créatures des chemins de ma nuit.
Je porte mon exil.
1957-1995
Tout le monde est oublié et passe
Tout le monde est oublié et passe.
Pour quelle raison je cours après le rêve ? Après les chimères ?
Pourquoi allumer des lampes qui s’éteindront
alimentées de l’huile de mon coeur ?
Pourquoi chanter quand mon chant est tissé par le vent ?
Pourquoi écrire sur le sable aux bords de l’eau ?
Pourquoi donner toute mon âme en encens de ton âtre ?
Tout, tout est vain et dans la poigne du vent.
Tout le monde est oublié et passe.
Je me suis dit : le charme est mensonge et la beauté est vanité.
Mes peines veillent près de mon lit.
Le matin sèche l’eau salée de mes yeux.
Une écume s’envolant dans l’embrasement du soleil.
Les lèvres qui s’ouvrent au baiser seront-elles rongées par les vers ?
Et les tours des villes deviennent poussière.
Et les coeurs des prophètes s’étiolent dans la folie du malheur.
La clémence, le rayonnement des étoiles vont disparaître.
Vanité. Vanité des vanités.
Les larmes, les liqueurs, les plaintes des baisers,
la hache, le lit et les tours des sages livres.
Tout. Tout est vain, dans l’étreinte du vent.
Pour quelle raison je pourchasse alors le rêve et je cours après les ombres ?
Pourquoi je brûle de l’encens alliant les cierges et l’âme ?
J’ai tant désiré comprendre
tout est vain, et si fragile,
la vie est-elle pour les humains un labeur pénible ?
Les symboles de la lumière s’ils rompent les ténèbres d’une pointe aiguë
murmurent un mot dont je ne connais pas le sens
mais je sais que ce mot signifie quelque chose
pourquoi détruire ton être, pourquoi tu ne construis pas ta ville ?
C’est pour cela que j’ai aimé entendre la lumière quand elle tranche le bord
des ténèbres,
j’ai aimé écouter la douceur du coeur.
C’est pour cela que je t’ai aimé, mon être,
et j’ai en toi édifié ma ville.
J’ai aimé voir la page de l’aube glisser sur ton front
et t’envoyer mes murmures flottant dans le vent.
Je trace des écritures sur la joue de la mer.
J’ai aimé garder les étoiles du soir
quand les nuages se hâtent et se brisent dans les prairies bleues
et nourrir mon pain de vérité
et s’il est touché par le sel du matin tant mieux
son goût n’en sera que meilleur.
Oui, ma soeur,
je n’aspire ni à la pauvreté, ni à la richesse, ni à la gloire parmi les hommes
mais au pain de la dévotion.
Je souffle entre mes murs et je te dis tout bas :
combien je t’aime, oui, que je t’ai aimée,
pourquoi fermer les yeux ?
Est-ce vrai, ô ma soeur,
qu’une bouche sincère demeure à jamais immuable ?
Quelle est la valeur de la vérité ? Quelle est l’éternité ?
La beauté est le festin de mon être, j’ai toujours faim
et mon festin est entre mes mains.
Si je suis saisi par un ciel triste que piétine le crépuscule,
les tristesses du ciel seraient-elles le remède de mon coeur ?
Et ce vin amer m’enivre-t-il ?
Tes yeux sont des grappes de raisin noir,
l’amertume du vin.
Oui, le rêve m’a égaré et je me suis enlisé dans les pas des chimères.
Et je n’ai rien trouvé à la lumière des cierges.
Les mains vides, une ironie envahit mes oreilles.
Les lèvres ourlées sont d’un carmin nageant en une mer de noirceur.
Et l’éclat de tes yeux possède la cruauté des remparts.
Me voici revenu chargé de ma récolte, une récolte vulnérable.
Cela te fait sourire si je recueille une poignée de vent
et si je capture l’eau au fond d’un vieux vêtement ?
Vas-tu pardonner si la fumée me grise
Et le tanin d’un vin ancien dans un coin du cabaret ?
Me reprocheras-tu si je chante la lune dans la vaste nuit paisible ?
Pardonneras-tu ces larmes d’hiver difficiles, ces larmes du ciel ?
C’est que je t’aime
Combien je t’ai aimée, combien je t’aime …
Les blessures de l’amour sont sincères et inguérissables.
Pardonnes-tu mes fautes ?
L’ami sincère tombe sept fois, dans l’erreur, et se relève.
Ma soeur, quand sera ma chute, sans me relever ?
C’est un chemin plein de rochers.
Ma main dans ta main,
mes mains sont plutôt vides,
et je n’ai devant moi que les rochers de ma route dans la dureté du soleil.
Tu est cruelle, ô ma soeur, et les roches sont obstinées.
Tu arrives à arpenter la route désirant des villes lointaines,
est-ce que tu te hâtes près de moi derrière les illusions,
poursuivant le rêve avec moi ?
Tu n’entends pas ? Tu m’écoutes ?
Cantique du soleil et d’une lune timide.
Tu n’écoutes pas la complainte des vents.
1955.
Edouard Al-Kharrat
Né en 1926 à Alexandrie, Edouard Al-Kharrat a obtenu son diplôme de droit en 1946. Romancier, critique, poète, critique d’arts plastiques et aussi traducteur, il a une empreinte indélébile dans le champ culturel. Il a participé à la fondation de magazines culturels comme Lotus ou Galerie 68 qui sont des publications d’avant-garde. Il reçoit de nombreux prix, dont le prix du mérite de l’Etat en 1999, et la même année, le prix Naguib Mahfouz, décerné par l’Université américaine du Caire, qui consiste à traduire l’oeuvre primée vers l’anglais, il obtient aussi le prix de la création romanesque en 2008 par le Conseil suprême de la culture.
Il a publié plus de 50 ouvrages entre récits littéraires, traductions et critiques. Parmi ses romans traduits vers le français et l’anglais, Rama wal tennine (Rama et le dragon, 1979) et Ya banat Eskendériya (ô filles d’Alexandrie, 1999). Tandis que son recueil de nouvelles Al-Hitane al-aliya (les hauts murs) a été considéré comme un tournant dans le récit arabe, loin du réalisme régnant, en plongeant dans les tréfonds de l’âme humaine. Il a publié 6 recueils de poèmes qui sont moins connus que ses proses, dont Limaza ? (pourquoi ?, aux éditons Charqiyat 1996), Sayhat wahid al-qarn (le cri de l’unicorne, 2000)
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