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Walid El-Khachab : Celle qui est

Traduction de Suzanne El Lackany, Mercredi, 22 janvier 2014

Poète égyptien résidant au Canada, Walid El-Khachab évoque, dans son nouveau recueil de poèmes, le thème du manque. Allati (celle qui est) est cette muse au féminin qui englobe la bien-aimée, le cinéma, l’écriture et la poésie même.

Nous faisons des exercices de joie Lorsque le spleen nous froisse.

Comme la griffe du séchoir Sur des cheveux d’une quarantaine d’années Je t’achète une seule rose

Et tu m’offres un livre

Et nous rions ensemble.

L’écriture me vient en une marche simple et une Exubérante

Et c’est la pleine lune

litterature

Cette nuit les peines sont certaines.

Exil

Quelqu’un t’aurait-il dit que ton cou est si joli ?

Tu mentais en disant : oui, beaucoup …

Je mentais en disant : vraiment, un très joli cou …

Me voilà contemplant ton cou si délicat

Après vingt années passées, et je cajole ta nuque,

Le mensonge peut créer des miracles.

Soixante jours de tristesse

Soixante poèmes

Le plus beau de tout ce que tu m’as donné

Ce recueil de poésies

Est le dernier que je t’offre

Le jour où nos chemins se séparent.

L’état d’une conscience très éveillée

La jalousie

Non pas à cause d’un amoureux passé par là

Mais à cause d’amoureux potentiels

Je connais leurs noms

Bien avant que tu ne leur accordes un premier baiser.

Une grosse femme et l’homme à la main coupée

Ecrivent dans le monastère

Les plus belles histoires probables

Avec les étreintes, des bras, et non avec les mots, inédits,

Des mots qui n’ont été publiés que dans la mémoire de l’auteur chauvin

Parce que les nationalistes n’oublient jamais

Le mal fait.

Deux amoureux de légende

Ridicules tellement ils sont purs,

Ils imaginent le romantisme de papier une révolte

Et que la vie imite la littérature.

Avec l’habitude d’une routine

J’ai imprimé ton image en jet d’encre d’une imprimante

Je l’ai découpée avec méthode,

En douze morceaux.

Maintenant, je suis symboliquement une veuve

Je vais fumer cette nuit deux paquets de cigarettes,

Je laisserai mes yeux briller

D’une manière triviale et un peu vulgaire

Lorsque les conteurs vont m’expliquer

Les belles figures de style

Dans mes poésies.

Une approche

Ouvre la porte

Entre ta ville et la mienne

Peut-être que l’air que tu respires va parvenir jusqu’à moi.

Le ciel au-dessus de ton université est lavé

Peut-être tu lèveras la tête

Pour y voir l’azur qui te refera penser

A un collier de turquoise entre toi et moi.

Ne ferme jamais la fenêtre,

L’araignée sur les frises

Serait un messager, qui sait ?

Et sa toile tel un bout de tissu sur lequel les mots de l’indicible sont

Des paroles tues et ne peuvent être dites que si quelqu’un s’en vient laver le ciel

Ou dessiner un cadre dans l’air qui devient porte

Ou qui se transforme en araignée tissant de la poésie

Lue par une légion sans récits.

Elle est peut-être en réunion

Ou sur un bateau

Ou plongée dans un agréable sommeil

Elle est peut-être réveillée

Pour se rendre compte qu’elle a oublié la langue arabe

Mais jamais elle ne s’est aperçue de mon message

Mais a décidé de remettre sa réponse à plus tard.

Si le ciel n’avait pas plu des grenouilles

Dures à avaler par ces essuie-glaces.

Si je n’avais pas trébuché sur le pied d’une chaise

En sortant

Pour tomber ensuite dans le vide

Et cogner la tête à l’angle du coin du canapé

Et perdre la mémoire.

Si je quittais mon lit

Avant d’être frappé d’un coup électrocutant

Si un court-circuit se produit pour lancer lampe et abat-jour contre mon oreiller

Je t’appelle dès que j’arrive au travail

Pour t’assurer que tes yeux ont des ombres d’arc-en-ciel imprimés

Sur mon coeur et mes épaules.

Celle qui est …

Celle que j’aperçois le matin seulement

M’a fait penser à celui qui vit deux lunes

Une nuit au temple de Karnak

Il s’est débarrassé de ses vêtements

Et il a couru jusqu’au matin

Nu dans le désert.

Cette nuit sa parole était au fond

Deux paroles

La femme docile du matin

Et la femme de la nuit

Etaient réunies dans le miroir.

La mémoire de la nuit disparue,

Et lorsqu’on m’a retrouvé le matin

J’étais nu, murmurant :

Deux lunes dans la nuit de Karnak.

Celle pour qui le plastique a palpité

Quand elle a animé sa page

Et cette matière devint chair vivante.

Celle qui a lu les livres des Anciens

Et les a ressuscités pour nous aussitôt très vite venus

Avec leurs barbes fournies et leurs frocs …

Celle qui baisse des yeux de honte

Quand elle est entourée de partout par les appareils photo,

Et la paroi d’un cache orange,

Comme si elle était Mona Lisa.

Elle dissimule le regard,

Elle a l’écriture comme unique refuge protecteur

Elle a oublié le tracé des lettres

Et par elle Braque renaît après une mort,

Elle a oublié de me faire vivre à travers sa présence

Et j’ai retrouvé ma première histoire :

Celle d’une pierre de chagrin

Celle qui peut lancer un regard aux chats pour les faire s’exprimer

C’est une femme planétaire dont la poésie appartient à Babel

Deux étoiles au fond des yeux,

Et ses paroles incomprises ne sont interprétées que par les oiseaux.

Celui qui quand il t’a vu

Les angles aux quatre coins de sa chambre se sont arrondis

Comme des corps sortis sur-le-champ de la poésie des Anciens.

Que l’amour soit bref

La chair pénètre la chair

Pour que l’incandescence devienne aversion

Et pour se venger de la distinction des sentiments

Qui occupent une place inutilisée

Dans ce monde étouffé …

Toute chose s’étiole

Même la sexualité

Mais les images de la mémoire

Sont éternelles comme l’énergie contenue

Dans ses yeux

Enrobant les mots de chair

Entre battement de cils et repos

Comme une déesse qui tient la tour dans sa main gauche

Et dans la main droite le lait d’Ishtar.

Moi je cherche

A travers les mots

Ce que ma peau me dit

Quand passe l’empreinte laissée par ton parfum

Venu du passé

Fabriqué par des sentiments qui ne possèdent pas encore de nom.

Clôture

Cinq années de mensonges

Qu’un poème ne peut effacer

Mais la rose des roses

Pourrait ouvrir une porte

Pour cinq années à venir

Entre les roses du Temps.

Walid El-Khachab

Critique, traducteur et poète, Walid El-Khachab est né en 1965. Il est actuellement professeur des études arabes à l’Université de York, au Canada. Il a déjà publié la traduction de Prélude au poème oral, de Paul Zimtor (Charqiyat, 1999). Quant à l’écriture des poèmes, El-Khachab appartient à la génération littéraire des années 1990, celle qui a prôné pour un poème en prose qui mélange les détails du quotidien à l’Histoire, tout en gardant un ton moqueur et ironique. Il a publié son premier recueil de poèmes en 2000, Al-Mawta la yastahlekoune (les morts ne consomment pas), et Allati (celle qui est) en 2013, toujours chez Charqiyat.
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