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Saïd Nouh : Les trois consultations du clerc de notaire Hazin Ali Omar

Traduction de Michel Galloux, Lundi, 28 octobre 2013

Avec humour et vivacité, Saïd Nouh revisite le thème de la superstition liée le plus souvent à la religion populaire. Cette nouvelle, tirée de son recueil Feuillets de la voiture du sud, a été sélectionnée dans une anthologie des nouvelles égyptiennes intitulée Men oyoune al-qessa al-masriya.

Abdel-Azim Mahmoud, connu sous le sobriquet d’« Abou-Riou », consulta Dieu, la « Piété islamique » et le cheikh Magdi à propos de la diarrhée, dont il fut victime.

S’agissant de Dieu, il passa 3 jours à Lui demander d’atténuer sa douleur, tout en prenant du café avec du jus de citron et des poix chiches secs. Désespérant du résultat, il alla consulter la « Voie islamique ». Il s’y rendit le soir du 4e jour, à 6h30. Il paya 3 L.E., on lui remit un bout de papier lui attribuant sa place parmi les patients attendant leur tour. Il fut examiné par un médecin, dont il ne connaissait même pas le nom, puis sortit de chez lui avec un autre bout de papier, où était inscrite une liste de médicaments pour lesquels il paya 11 L.E. Il les prit pendant 10 jours sans que ne se manifeste le moindre résultat, ce qui le poussa à consulter son beau-frère, le cheikh Magdi, dont il avait suivi de près les précédents conseils. Le cheikh Magdi, qui avait un peu plus de 40 ans, avait appris la science médicale, comme d’autres médecins, suite aux diverses maladies qu’il avait subies, lui, son père et d’autres membres de sa famille. Il s’y approfondit au point de laisser tomber tout ce qu’il avait appris à l’Ecole de commerce, et s’y consacra à plein temps à partir du moment où l’Agence pour l’emploi lui trouva un poste à la clinique du constructeur automobile Al-Nasr lel sayarate, au début des années 1970. A partir de là, Dr Magdi décida de commencer avec lui à zéro. La période d’essai ne dura pas plus d’une semaine, pendant laquelle il prit la décision, après avoir passé en revue, sans succès, tous les cas de diarrhée, de faire le maximum en matière médicale et d’administrer au malade des pilules multicolores. Or, Dieu assista Dr Magdi et la diarrhée s’interrompit 5 heures seulement après que Abdel-Azim eut pris les pilules, ce qui lui fit dire à son épouse avec un visage radieux :

— « Il paraît que le cheikh Magdi fait des miracles, Oum Riou ! ».

— « Ne t’avais-je pas dit depuis longtemps qu’il était passionné de lecture et assoiffé de culture ? ».

— « Tu avais raison, par Dieu ! ».

Il prononça ces mots la bouche pleine, avant d’ajouter, en secouant la main et la tête :

— « Quel dommage, cet argent que tu as dépensé chez cet âne de docteur de la Piété ».

— « Ne t’en fais pas, Abou-Riou, louanges à Dieu, qui a été généreux avec toi, mon vieux ! ».

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La nuit s’écoula, puis une bonne partie de la journée suivante sans que Abdel-Azim n’aille une seule fois aux toilettes, ce qui lui fit concevoir des doutes, alors qu’il était assis à la table branlante devant le Tribunal. Et voici que 24 heures précises après avoir avalé les pilules multicolores, il ressentit une douleur aiguë à l’estomac, qui le fit crier si fort que sa femme entra dans un état hystérique. Elle n’en sortit qu’après qu’ils se furent retrouvés dans la voiture de leur voisin Sayed Hussein, connu comme coureur de jupons, qui lui porta secours. Lui et les autres habitants de la maison portèrent ainsi Abdel-Azim et l’emmenèrent à l’hôpital Al-Nasr (agréé par l’Assurance médicale). Mais les médecins refusèrent d’examiner le dénommé Abdel-Azim, qui hurlait de douleur, sans avoir vu sa carte d’assurance médicale. Et comme il travaillait comme journalier sans revenu fixe au Parquet et au Tribunal de Hélouan, ils ne trouvèrent pas d’autre solution que d’aller au « Mostaassiya » (hôpital public de Hélouan).

— « Qu’est-ce qu’il a pris ? ».

Question posée par le médecin de garde à l’accueil.

— « Il avait de la diarrhée, et puis mon frère le cheikh Magdi … ».

Puis elle leva les mains au ciel en ajoutant :

— « Que Dieu le protège, il lui a donné des pilules et son état s’est amélioré, louanges à Dieu, après qu’on se soit épuisé à faire le tour des médecins ces dernières semaines ».

— « Et votre frère, le cheikh, quel est son nom, celui que Dieu le … ? ».

La soeur ne le laissa pas achever sa phrase, répondant aussitôt :

— « Le cheikh Magdi, mon vieux ! ».

— « Et ton cheikh Magdi est médecin ? ».

— « Non, mais il aime beaucoup lire et se cultiver, et il est souvent tombé malade. Et c’est en affrontant les épreuves qu’on apprend à pleurer ».

— « Ah ! C’est donc Al-Baz Effendi, qui lit beaucoup et comprend tout ».

— « Non, c’est le cheikh Magdi, mon frère à moi ! ».

— « Mais je sais, bien sûr, que c’est ton idiot de frère, espèce d’arriérée mentale ! ».

— « Sauvez-moi, mon ventre va exploser, faites une bonne action, je vous en supplie ».

C’est par ces paroles que Abdel-Azim mit fin à la discussion sur le frère de sa femme, le cheikh.

— « Ecoutez, soyez gentil, sauvez-le ».

— « Occupez-vous de cet homme qui agonise devant vous et ensuite on verra qui est responsable de cela ». Intervention du hadj Mahmoud, propriétaire de la maison, où habitait Abou-Riou. Puis, se rapprochant de lui, il ajouta en lui tenant la main, alors que son visage avait bleui :

— « Mais je dois savoir quelles sont ces pilules qu’il a prises ! ».

— « Faites-lui un lavage d’estomac, docteur ! ».

Autre proposition faite par Oum Housni, voisine du malade, qui avait insisté pour aller à l’hôpital et se rassurer ainsi sur son compte, comme Abou-Riou lui-même l’avait fait avec son défunt mari.

— « Faites sortir tous ces gens dehors ! ».

C’est l’ordre que donna le médecin à l’infirmière, tout en regardant avec mépris la femme qui veillait sur le malade, le réconfortait et lui remontait le moral en disant :

— « Un peu de patience, cela va passer, M. Abdel-Azim ».

— « Bon, on voudrait savoir d’abord ce qu’il a, docteur ! ».

Question sortie de la bouche de Sayed Hussein, et prononcée avec fatuité.

— « Il s’agit manifestement d’un empoisonnement, monsieur. Voulez-vous bien emmener tous ces gens-là avec leur chahut et leur bavardage, que je puisse me concentrer sur mon travail ».

— « Reste avec moi, Oum Riou, je suis en train de mourir ».

— « Non, tout le monde sauf toi, si Dieu le veut ».

Sa femme prononça ces mots, alors que la peur l’avait envahie et que les larmes coulaient sur ses joues.

Et le dénommé Abdel-Azim passa durant 5 jours de l’hôpital Madinet Nasr à celui de Moqattam puis à l’hôpital spécialisé de Aïn-Chams avant de revenir au « Cimetière des envahisseurs », dont il sortit entre quatre planches le 6e jour en milieu d’après-midi, sans qu’aucun médecin ne soit parvenu à identifier le mal dont il avait été atteint à cause du Dr Magdi, son beau-frère, laissant ainsi une veuve dans la trentaine.

*Tiré de son recueil de nouvelles : Feuillets de la voiture du sud.

Saïd Nouh

Depuis ses débuts à la fin des années 1980, Saïd Nouh est connu comme l’écrivain qui transcende les tabous. Comme d’autres écrivains de sa génération, il désacralise la langue et déjoue les règles strictes de la grammaire, mais Nouh le fait pour décrire les marginaux en adoptant une écriture poétique. Puis dans ses écrits récents, il recourt le plus souvent au mythe et à l’histoire pour le projeter sur un réel corrompu et injuste. Parmi ses romans déjà publiés Kollama raäyt bentanne héloua aqoul ya Soaad (chaque fois que je vois une jolie fille, je dis Soaad) publié aux éditions de l’Organisme général des Palais de la culture en 1995 ; Al-Kateb wal moharreg wal malak allazi honak (l’écrivain, le clown et l’ange qui est là-bas) chez le même éditeur, en 2012, et 61, rue Zeineddine aux éditions Al-Hélal en 2008. Il a également écrit 6 recueils de nouvelles, dont Temssal saghir li Chokoukou (une petite statue à Chokoukou), Oum Maliha (la mère de Maliha) et Awraq al-aaraba al-ganoubiya (les feuillets de la voiture du sud) en 1989, et dont nous publions ici une nouvelle sélectionnée parmi les meilleures nouvelles du XXIe siècle dans une anthologie éditée par le Conseil suprême de la culture en 2009.

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