Nawal Issa
Chaque fois
que je creuse un trou
je trouve une trace de ton nom
C’est alors que la poésie
me ramène à moi-même.
Les lettres que j’aime
dorment seules
sur la ligne.
Qu’est-ce l’enfer ?
Qu’est-ce l’enfer ?
Ai-je demandé
Que tu aimes
sans écho
Que tu interroges
et n’obtiennes pas de réponse
Que tu écrives
et n’aies pas de lecteur
Que tu dormes
et ne voies personne dans le rêve
Que tu pries
sans dieu
Que tu portes une clé
sans avoir de maison
Que tu ouvres ta main
et ne trouves pas de femme qui lise.
Un coeur pour des chiens
Jardins d'Alexandrie, huile sur toile d'Anna Boghuiguian, crédits : SafarKhan Galerie.
Je le jetterai aux chiens errants
mon coeur
qui ne voit pas sa voix dans les miroirs
qui tinte
seul
comme une aiguille de silence
qui met en musique
le chant de son amour
sans voix pour l’interpréter
et dont le soleil
est né dans la nuit
qui, brouillée par sa fumée,
n’a pas dormi
en attendant
qu’un miracle divin
lui apparaisse dans le sommeil.
Exceptée par moi
Je préparerai la scène entièrement
Je choisirai
et laisserai un testament
Je noterai le nombre de ceux
que j’aime
Je donnerai l’occasion
à ceux qui auront raté les obsèques
de louer mes qualités
à l’exception d’une seule
Je la nommerai « Cent »
Peut-être est-elle occupée à penser à moi là-bas.
Alors il a dit
Je me suis abandonné à lui
il n’est pas venu
Je me suis abandonné à elle
elle n’est pas venue
Je me suis abandonné à moi-même
et ne me suis pas retrouvé dans les listes des vivants
Je me suis abandonné
et Ahmad me répondit :
compares-tu « Cent » à la mort ?
Le fond du puits
Est-ce parce que mes yeux
sont blessés
mon obscurité est éclairée
par un abandon
mon corps oublie dans un coin
mes poèmes ont dévoilé leur âme
ma mort souffre de sa propre mort
et perdues sont mes nuits
Est-ce parce qu’un étrange tombeau attend ce que j’écris
et des fragments de moi
sont dispersés dans la rue d’un héros
Est-ce pour tout cela
que tu m’écris sur un vent
et ouvres la porte d’un carrosse de mon feu
pour que la nuit se moque de moi ?
Mon signe
Je ne suis venu que pour
sauver la terre d’une soif
écouter la voix des anges
obliger la mort à s’enfuir
être pour une femme qui veille sur le désir
posséder ma perte répétée
m’entretenir avec un oiseau qui a fui ma mère
me réapproprier ma mémoire que les eaux
ont dérobée
et ressusciter les morts.
C’est ma voie
Je suis
le submerge dans le silence
le noyé dans le plaisir
le trempé dans sa perte
le retardataire sur terre
et celui qui part tôt
à la résurrection.
Interprétation de mon rêve
Ce dont je rêve
est encore inconnu
Je suis le parleur qui ne sait pas
et le silencieux qui sait.
Vieil égarement
Il vient au monde
pour épouser une étoile
Une langue naît et reste
témoin de leur union.
Récits du monde caché
J’aspire
à des lettres secrètes
Je veux
une autre lumière
Je poursuis un ciel
qui dort sur ma tête.
Une seule porte et des demeures
Le premier temps
est ma maison
mais la première femme
n’est pas la dernière demeure.
Il l’a rendue éperdument amoureuse
Dans le temple de sa femme
il écrit
et dans son rituel
il crée sa musique
à partir de l’entrée et la sortie
de ses versets.
et se propage en moi
Je le recrée à chaque instant
et n’arrive pas
jusqu’à moi.
Ahmad Al-Shahawy
Né à Damiette, au nord de l’Egypte, le 12 novembre 1960, il suit des études de journalisme à l'Université de Sohag à la faculté des lettres, d'où il obtient son diplôme en 1983.
Pendant ses années universitaires, il fonde La Voix de Souhaj, un mensuel dont il devient le directeur des pages culturelles.
En 1985, il devient rédacteur adjoint de l’hebdomadaire Nisf Al-Dounia et journaliste au quotidien Al-Ahram, un poste qu’il occupe jusqu’à nos jours.
Le Festival de poésie internationale de Rotterdam a publié en 2004 deux recueils de ses textes en anglais et en néerlandais. Ses oeuvres ont été traduites dans plusieurs langues, notamment en anglais, espagnol et turc.
Il a reçu plusieurs prix dont le prix de l’Unesco pour la littérature en 1995 et le prix Cavafis pour la poésie en 1998.
Il a publié au Caire une quinzaine de recueils dont Rakeatane lil echq (deux prosternations pour l’amour) 1988, Al-Ahadith (les paroles) tome 1 en 1991, et tome 2 en 1994, Qol : héya (dis : c’est elle), 2000, Lessane al-nar (la langue du feu) 2005, Assouq al-ghomam (je conduis les nuages) 2010, Samaä bi esmi (un ciel à mon nom) 2013. Les vers publiés ici sont tirés de la traduction française de Bab wahed wa manazel (une seule porte et des demeures) aux éditions Al-Masriya Al-Lobnaniya en 2009, puis publié à Paris aux éditions L’Aile en 2013, traduit et préfacé par Mohamed Miloud Gharrafi, professeur de littérature à l’Université de Toulouse.
Ce dernier note dans sa préface : « Ce recueil s’inscrit dans la suite d’une oeuvre poétique très riche, notamment dans sa dimension intertextuelle mystique. Depuis son premier recueil, Shahawy ne cesse de nourrir sa poésie par l’héritage langagier de différentes figures soufies. Ibn Arab, Niffar et Al-Hall constituent l’arrière-plan sur lequel vient se greffer une langue à la fois moderne et classique ».
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