La valise
Je t’ai posée dans ma valise
Parmi mes effets personnels et mes papiers
Et le texte prévu pour cette Conférence
Dans un pli protégé entre mes chemises
Mes cravates et mon manteau de pluie
Afin qu’au cours de mon voyage
Tu ne t’absentes pas.
Au port du départ, ils ont pris ma valise
Partie au loin avec des dizaines d’autres
Je te quitte un moment mon amour
Quelques heures dans l’espace … pas de panique
Les nuages ne peuvent nous désunir
Car de nos coeurs l’amour s’est divulgué au monde
A l’arrivée, je t’étreindrai
Te porterai jusqu’à l’Auberge de la Lune
Tu me protégeras des misères de la vie
De cette lassitude
Que de ports traversés au cours de ce périple
Mes nerfs sont tendus comme une corde d’archet
Il est long ce voyage, il se distend s’étire
Comme un temps éclaté pulvérisé
Des visages se bousculent
D’où sont venus tous ces humains !
Je n’en désire aucun
Tu es le cadeau de ma vie
Par toi, je fends les hautes mers
Par toi, je fais échec à toutes les vagues
Enfin arrivé après un dur voyage
On me dit ta valise est égarée
Parmi des dizaines d’autres.
Comment ?
Vous m’avez fait manquer le rendez-vous avec ma destinée !
De quelle couleur est-elle ?
De quelle taille ?
Quel qu’en soit le prix à payer
Vous serez indemnisé
Toutes les richesses du monde ne peuvent dédommager
Le contenu de ma valise
Qu’y a-t-il donc à l’intérieur ?
Des pierres précieuses, de l’or ?
Rien de cela
Bien plus précieux que les métaux
Plus cher que toutes les pierres rares
Je transportais dans ma valise la Rose de ma vie
Le bleu de mon ciel
Le vert de mes jardins
Nous allons fouiller toutes les escales
Quand nous l’aurons trouvée nous vous aviserons … n’attendez pas.
Sans toi je suis arrivé à ma ville
Comment vais-je séjourner seul
A l’Auberge de la Lune ?
Mon âme est affligée, accablée
Mon coeur est plus lourd que la roche
Ma chambre est sombre
Dès lors, habillée de tristesses
Jusqu’à la fin des temps
J’entre seul dans mon lit
Seul face à mon être
Voilà que tu apparais
Belle dans ton sourire
Comme un matin illuminé après la dense nuit
Comme le soleil juste avant le crépuscule
Je t’étreins avec fougue
N’en croyant pas mes yeux aveuglés par des larmes de pluie
Je dis tu étais dans ma valise !
Tu dis mais dans ton coeur dès l’aube du voyage
Au creux de tes côtes, logée
Entre le nerf et l’artère
Je dis alors plus besoin de valise
Ni de papiers, ni d’effets personnels,
Ni de cravates, ni de manteau de pluie
Et que nage les mots de cette Conférence
Dans le vide du cosmos
La fleur du Nil
Ma Bien-Aimée est une fleur du Nil tendre
Lustrée, Parfumée au toucher délicat
Encerclée de barrières clôtures impénétrables
Rage et Dictature nous séparent
Armes têtues arsenal de Tyrans
Ma Bien-Aimée est une fleur du Nil sans tache
Que j’aperçois à travers les barbelés
Cultivée dans ce jardin comme un arbre solide
Où se cachent des esprits malins
Ses feuilles de velours chatoyantes
Sont scrutées par les yeux de l’envie
Alors qu’elle reste accrochée à sa branche
Ma Bien-Aimée est une fleur du Nil prisonnière
Une jolie princesse de magnifique allure
Dressée face aux forces cruelles
Battue, étouffée, abreuvée de torture
Ma Bien-Aimée est la fleur du Nil persistante
Qui fredonne parmi les fleurs du jardin :
Ancrez vos pas, le moment de la délivrance approche
Les clôtures vont s’abattre libérant les oiseaux
Le soleil va diffuser ses plus jeunes rayons
Faisant jaillir la vie dans le jardin renouvelé.
Etrangers
Toi et moi, nous sommes des étrangers
Dans la vie
Des étrangers
De l’univers
De l’existence
Etrangers d’un exil
Etrangers en un monde étrange,
Une rencontre nous a unis. Et nous nous sommes séparés
Comme deux étrangers.
Lueur de la lune …
Je t’ai choisie, ô lune
Je t’ai choisie, toi,
Entre toutes les créatures nées de l’humanité
Tu es la source qui a jailli
Du coeur de la pierre
Tu es l’étoile qui a brillé
Au milieu de la nuit noire
Dans la rougeur du ciel au crépuscule
Je t’ai choisie, ô lune.
Mort d’un poème
La beauté s’est cachée derrière des voiles si vilains et que nous avons dû subir :
C’est le destin.
Tout ce qui est beau a disparu, aucun pas vers l’avant ne peut être fait : moments de déception,
en une époque qui a banni l’espoir.
Là où se posent les regards, rien autour de nous ne mérite l’attention.
Des vues désolées
Des formes flétries
Des couleurs fanées
Des voix trop désagréables pour être accordées en un air de musique.
Où est le chant du rossignol ?
Où est la cithare du ciel ?
Où se trouve la douce compagnie de la lune dans le désert ?
Des nuits entières, j’ai marché, cherchant dans les ténèbres un rayon de lumière ou une lueur d’espoir.
La noirceur de la nuit était profonde, l’étoile mélancolique, ce qui brisa mon coeur.
Par ma marche à travers le désert, je cherchais une terre de beauté et d’amour
Et des souvenirs de baisers.
J’ai crié dans le désert,
Cri d’un animal sauvage,
Et personne n’a entendu ma douleur.
Rêve d’une nuit d’Alexandrie
Je me souviens de toi, au soleil couchant,
C’est là que je trouvais l’enchantement de tes yeux en amandes
Et le sourire sur tes lèvres, l’éclat et la finesse de ton cou,
Et l’écharpe d’Iris de ton âme éthérée.
Je t’ai observée quand le soleil s’est couché
Et je voyais dans le couchant la rougeur de tes pommettes roses
Et le halo d’un ange autour de ton visage
Le jour de notre rencontre dans la nuit d’été.
Au soleil couchant, je t’ai prise, en une étreinte,
Dans ce lieu où nous avons connu l’étreinte du temps
Et nous avons dit ensemble : de quoi les amoureux auraient-ils peur ?
Si le temps porte en soi tant de tendresse ?
Mais Ingratitude fut le titre de notre roman d’amour
Quand le temps a soudain surgi, bondi, en une attaque meurtrière.
Mohamed Salmawy
Ecrivain, dramaturge et journaliste, il a suivi des études en littérature anglaise avant d’étudier le théâtre shakespearien à l’Université d’Oxford. Il est secrétaire général de l’Union des écrivains et hommes de lettres arabes, et président de l’Union des écrivains égyptiens depuis 2005. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages littéraires et politiques, dont les recueils de nouvelles Al-Ragol allazi faqad zakératoh (l’homme qui a perdu sa mémoire) en 1983 et Concerto al-nay (concerto pour le nay) en 1988. Avec aussi, entre autres, deux romans : Al-Kharaz al-molawane (les perles colorées) en 1990 et Agnehat al-faracha (les ailes du papillon) aux éditions Al-Dar Al-Masriya Al-Lebnaniya, qui est sorti un mois avant le déclenchement de la révolution du 25 janvier 2011, et qui l'a, en quelque sorte, prévoyée. Cette oeuvre a ensuite pris la forme d’un feuilleton sur la radio égyptienne.
Il a de même écrit des essais politiques, dont Les Origines du socialisme britannique en 1987, préfacé par Boutros Boutros-Ghali. En tant que dramaturge, il a composé une dizaine de pièces de théâtre, dont Fout aleina bokra (revenez nous voir demain) en 1983, qui a été jouée en langue anglaise au Sanctuary Theatre à Washington en 1991, Al-Ganzir (les chaînes) qui a reçu le prix de la meilleure pièce de théâtre de l’année et présentée au théâtre Le Trianon à Paris en 1996. La Dernière danse de Salomé a reçu le prix du Jury au Festival de théâtre de Carthage en 1999. Et dernièrement, il a sorti son recueil de poèmes Aqmar wa aqdar aux éditions Al-Masriya Al-Lebnaniya, 2013.
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