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Un pas dans un passage

Suzanne El Lackany, Lundi, 25 mars 2013

Mohab Nasr dresse des portraits de la vie contemporaine d’avant la révolution sous forme de vers. Dans son recueil Mon Dieu, donnez-nous un livre à lire, il plonge dans un humour nouveau pour la poésie, afin de refléter un état de dispersion collective.

En cherchant mon passage

Pour la découverte de soi

J’ai trouvé une clé qui brille

Entre des dents blanches

Mon cri est tombé à mes pieds

A cause de mes idées

Mes doigts étaient froids

Et loin du centre de ma volonté

Remplacé par un genre de douleur mystérieux.

Litterature

Malgré cela, la douleur m’appelait,

Comme un acte de pénitence dans la solitude.

C’est alors que je devais arracher ma clé

Sans réveiller les dormeurs

Et convaincre l’âme enveloppée dans un drap épais

Que je suis mort également

Tout en m’étendant près d’elle

Pour vivre une vie qui ne m’appartient pas

Puis le passé me donnera sa clé

Pour une traversée vers une vie nouvelle

Entre deux puissantes mâchoires

Non pas comme un morceau mâché et craché,

Plutôt comme un mot,

Ou peut-être une phrase entière

Ou comme un individu libre

Sans signifier pour autant

L’humiliation des autres.

Mon frère,

Mon ami,

La révolution ne se produira jamais,

Sauf si les morts se réveillent,

Lorsque les temps sont embrouillés,

Et que nous entrons ou sortons,

Comme un jeu de cartes que l’on coupe

Nous tirons l’entame de notre passé

Comme une carte au début de la partie

Et ce n’est au fond qu’un jeu, tout le monde en est conscient.

Ce n’est pas grâce à notre présence hors de la soirée,

Mais parce que la lune sait,

Et le nuage qui fend la nuit,

La nuit détient à son tour le savoir

Sur la cruauté d’être seul

Sans chanson

Ou un pas dans un passage,

Ce pas serait-il au fond

Le bout d’une marche personnelle, vraiment ?

Ô mon ange

Comme un étudiant en compagnie d’une étudiante

Nous traversions le trottoir

En longeant le mur

Nos jambes étendues au soleil les pieds nus

Comme un matin de vacances.

Dans un vêtement court

Il y a quatre manches

Et quatre jambes,

On ne sait pas, ô mon ange, que faire de tout cela

Ni ce qu’en font les autres.

A nous les paroles

Les paroles

Qui avancent toujours dans le sens qui nous fait honte

Et on ne peut pas tendre les mains

Et leur dire que ce n’est pas la bonne direction

En vérité c’est une chose indésirable

Parce que, comment dire, nous savons à quel point cela est impossible

Cette chose-là nous enivre

Et fait sortir la pointe de la langue pour la passer sur le dernier morceau de chocolat.

Ô mon ange, laisse-les attendre

Au cinéma

Au jardin de l’amitié innocente

Dans cette maison qui s’appuie sur des regrets

Aux fenêtres gémissantes

Toi et moi, nous sommes complètement perdus

Comme un étudiant

Comme une étudiante

Nous posons l’index humide

En bas des pages des romans

Nous y lisons notre vie et nous pleurons

Parce que le coeur tourne dans le sens contraire des aiguilles d’une montre.

Qui nous a rejoints ?

Le jeu de l’amour a pris la forme d’une locomotive,

On éternue,

Car nous sommes nerveux sous la fumée

Sentant qu’il y a une douleur aux freins

Deux visages hors de la fenêtre

Crient à chaque gare

Et les mouchoirs des adieux

Flottent haut et bas.

Ô mon ange,

Ô toi qui ressembles à un cartable rempli de devoirs

Que ma main balance

A chaque fois que je traverse une rue

En me demandant : Qui suis-je ?

Comme si j’étais toi sans savoir pourquoi.

Ta vie demeure sous mon oreiller,

Mes rêves sont empruntés,

Dans mon sommeil je tends les bras.

Viens à mon secours.

Mon Dieu, donnez-nous un livre à lire

D’une certaine manière

J’étais un professeur

D’une façon ou d’une autre

Je considérais que cela était une chose naturelle

C’est pour cela d’ailleurs que je m’inclinais

Face aux mots que je n’ai pas prononcés

Je transmettais leurs saluts à mes enfants

Essayant de leur expliquer qu’il est très important

Que chaque individu sache lire

Et se rappeler avec ses parents

Quand il jette ses chaussures sous le lit

Que le respect est admirable et difficile à atteindre

Sans les mots ils n’auront point d’avenir.

Toi-même papa tu te penches sur ton journal

Comme si un nuage passait au-dessus de ta tête,

Et quand je t’appelle

Je vois ton front

Estampillé de tristesse …

Il semble que la pluie y tombera là spécialement pour toi

Papa, il faut que tu lises,

Appelle maman aussi pour qu’elle lise,

Laisse le nuage passer sur nous tous tout en haut.

Mon Dieu,

Donnez-nous des livres à lire …

Des livres à l’odeur de colle

Les bords de leurs pages sont aiguisés comme des couteaux

Des livres

Qui laissent de la poussière sur nos visages et nous font tousser

Pour nous apprendre qu’au terme de la vie il y a la mort du tombeau

Des livres

Avec une dédicace sur la couverture signée par l’auteur vénérable

Adressée à un chef de service retraité

Des livres

Au grain de peau rasé de près et prêts à recevoir un soufflet

Et des livres qui aboient

Dans les marges

Pour des gens comme nous, amoureux,

Et comme nous ils sont devenus professeurs

Des livres ayant un aspect de tissu de chemises à fleurs

Au festival de la lecture

Des livres …

Et on urinait à leur gigantesque tronc d’arbre

Avant de continuer notre marche en marquant chaque pas

Hélas, hélas,

Parce que nous aussi, ô mon Dieu, nous sommes des livres

Errant aveuglément sur un lit d’amour

Hélas …

Parce que nous sommes bien serrés les uns contre les autres dans ta bibliothèque

Contemplant tes miracles

Tels des anges sur les murs.

Des perdants déchirent les documents de la Bourse.

Le désespoir des mains qui frappent

Et des mains blessées trouvent le sommeil sur les mêmes pages

Hélas,

Et un homme parmi d’autres crie : Que se passe-t-il là-bas ?

Des bureaux de présidents rangés selon la forme des oeuvres complètes.

Des serpents et des ours.

Des croix et des affiches placardées.

Une répugnance et un vieux pain rassis.

Un pêne résonne au loin,

Pourquoi mon Dieu l’avez-vous ouvert ?

Perdus dans les pensées, s’échappant sur des roues,

Perdus chez soi

Et dans les rues

Invisibles à tes yeux, imperceptibles pour nous,

Seuls face à nos chefs et à nos supérieurs

Qui sont seuls eux aussi.

Seuls avec ce verrou qui grince au loin

Pourquoi l’avez-vous ouvert, mon Dieu ? .

Mohab Nasr

Né à Alexandrie et vit actuellement au Koweït. Il compte parmi les écrivains ayant instauré le poème en prose en Egypte dans les années 1990. Son recueil de poèmes Ya Rab eiténa kétabane li naqraä (mon Dieu, donnez-nous un livre à lire) aux éditions Dar Al-Aïn 2012, est son second recueil. Il avait publié en 1999 Ann Yasraq al-taer aynayk (que l’oiseau pique tes yeux) aux éditions GEBO, dans une collection nommée Nouvelles écritures.

Malgré l’intervalle de temps entre les deux recueils, il a toujours publié des poèmes dans la presse littéraire, comme celui sur la révolution égyptienne, et des articles de fonds sur sa page Facebook, notamment un article sur la notion de l’Etat profond et l’Etat des Frères musulmans.

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